La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 31 : Présomption d'Innocence

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Anya lui fait sans doute un peu plus confiance. Au fond, il ne lui ment peut-être pas. Il n'a pas le regard d'un assassin. Il est si prévenant avec elle. Il lui propose spontanément de passer la nuit chez lui en sachant qu'elle ne peut plus rentrer au Domaine des Arflors, il lui a préparé de quoi manger, lui fait une tasse de tisane.

Il est vrai qu'en d'autres circonstances, elle n'aurait même pas envisagé de passer la nuit chez un inconnu. Ça aurait été impensable, surtout pour une demoiselle célibataire et non fiancée. Or, là, a-t-elle vraiment le choix ? Où irait-elle dormir sinon ? Qui accepterait d'accueillir une jeune femme en fuite, suspectée de complicité de meurtre par la Brigade du Lynx ?...

Et puis, à bien y réfléchir, si c'était vraiment lui qui avait tué si froidement Gautier, il n'aurait pas fui avec elle, mais il l'aurait tué elle aussi avant d'échapper à la milice. Seul point encore obscur : pourquoi l'avoir entraîné dans sa fuite ?

Plus elle le questionne, et plus elle se met à douter de sa culpabilité. Ses propos sont cohérents, ses explications tiennent la route. Même si elle a encore un doute sur cette institution magique à Armonis. Elle qui pensait que ce n'était qu'une ville célèbre pour ses artisans hors pair. Plus encore, ce qui lui fait se dire qu'elle se trompe sur son compte est qu'il n'a rien d'un criminel assoiffé de sang. Elle peut bien lui donner le bénéfice du doute.

Elle finit par venir s'asseoir à la petite table tandis qu'il fait chauffer de l'eau dans une bouilloire en fonte noire. L'odeur qui emplit la pièce est tranquillisante. Il lui tend une tasse qu'elle saisit. La couleur d'un rose léger de la boisson la laisse dubitative, mais il lui apprend que ce n'est que de la tisane et l'odeur qui s'en échappe est apaisant, bienfaisante, et elle se laisse convaincre.

- Si ce n'est pas vous qui avez assassiné Gautier, alors pourquoi être venu sur le lieu du crime ? Et pourquoi si tard ?

- Je devais voir où ce garçon a été tué. Les traces de l'assassin y sont toujours. Les chiens les sentent, mais les hommes ne les voient pas. Sans magie, les êtres humains sont incapables de les voir. Je devais me trouver dans les écuries où le palefrenier a trouvé la mort pour me lancer sur la piste du tueur. Je ne pouvais y aller à un autre moment. Dans la journée, j'aurais été vite remarqué. Et la Brigade du Lynx ne doit pas savoir que les Hauts-Mages sont sur l'affaire.

- Pourquoi ? demande à nouveau Anya.

- Parce que cette affaire est trop sombre. Personne ne doit savoir.

- Avouez que c'est suspect de votre part.

- Je sais bien. Mais quelque chose se trame. Et il me faut découvrir ce dont il s'agit avant qu'il ne soit trop tard. Je soupçonne de la magie noire, je ne vois que cela. Mais ça reste une hypothèse. Une seule chose est certaine : ton ami a découvert quelque chose qu'il n'aurait jamais dû voir ou savoir. Il s'est trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et ça lui a été fatal.

Le visage d'Anya s'assombrit.

- C'est bien ce qu'il me semblait. Gautier est un garçon trop gentil pour s'être attiré des problèmes. Mais il est fort possible qu'il ait vu quelque chose qui ait pu lui être fatal.

- Je suis désolé pour ton ami.

- Merci…

- Mais sans son décès tragique, l'Assemblée des Hauts-Mages n'aurait sans doute jamais suspecté qu'il se tramait quelque chose à Félinin.

- Sans doute. Au moins, sa mort n'aura pas été vaine.

- Le coupable sera arrêté, sois en assurée. J'y veillerais. L'Assemblée ne peut laisser un acte pareil impuni. Et si je parviens à démasquer le coupable, je le livrerai à la Brigade du Lynx. Il sera jugé pour ses actes.

- Malheureusement, à l'heure actuelle, c'est vous que la Brigade du Lynx recherche et pense coupable…

- C'est pour cette raison que je ne peux pas me présenter sans preuve tangible.

- Je comprends. Du moins, je commence à comprendre.

- Me croirais-tu ? Sérieusement ?

- Je ne sais pas si je vous crois sur tout ou pas. Mais vos explications sont crédibles. Disons que je vous accorde la présomption d'innocence.

Un sourire lumineux apparait sur le visage du magicien. Anya se sent rougir presque aussitôt et cache ses joues pourpres derrière ses mèches de cheveux clairs. Le sorcier, quant à lui, ne peut retenir un léger soupir de soulagement, rasséréné.

- Je te remercie d'avoir écouté mes hypothèses. Enfin, mes élucubrations devrais-je dire plutôt, sans doute...

- Non, non, le rassure aussitôt Anya. Vos explications sont plausibles. Il n'y a rien de farfelu dans ce que vous venez d'exposer. Ma curiosité m'y a poussé. Le décès tragique de Gautier me turlupine. Alors, d'avoir trouvé quelqu'un que ça intrigue sans doute autant que moi me rassure. C'est à moi de vous remercier. D'autant que vous acceptez de me loger pour la nuit.

- C'est bien normal, je ne vais pas te laisser dormir dehors tout de même. Je ne laisse pas les chats errants dormir dans la rue, alors une demoiselle moins encore. À ce propos, je te laisse une seconde, le temps de préparer la chambre. Tu m'excuse ?

- Oui, bien-sûr.

Mais avant qu'il ne s'éloigne, elle lui demande :

- Dites-moi : où est-ce que je peux me rafraichir ?

- Suis-moi, c'est à côté.

Ils rebroussent chemin et retrouvent le couloir. Dante lui présente la porte à sa droite tandis qu'il s'engouffre derrière celle sur leur gauche.

Cette maison est étrange, songe Anya. L'entrée donne sur ce long couloir qui, arrivée au bout, ne dessert que trois pièces. Une petite salle d'eau face à la chambre, et la cuisine entre elles. Rien de moins que le nécessaire. Mais une bien curieuse façon de disposer des pièces dans une maison. Pas d'étage, pas de grandes ouvertures. Peut-être dans la chambre. Et cette lumière qui la suit partout comme une luciole et lui offre une clarté de plein jour.

Dante lui a dit que ce n'est qu'un point d'attache lorsqu'il se rend à Félinin. Mais elle ne conçoit pas que quelqu'un puisse vivre là, dans une si petite bâtisse, ne serait-ce que pour un temps. Après tout, c'est son choix. Et la petite salle de bains qu'elle découvre n'a rien de vétuste. Elle est presque surprise, s'attendant d'avantage à une pièce minuscule avec un simple robinet et une vasque laissant à désirer. Or, il n'en est rien.

La robinetterie cuivrée est belle, brillante, comme si elle était neuve. La vasque de porcelaine blanche est impeccable de propreté et un savon rond parfumé est posé à côté. Un crochet porte une large serviette beige et une petite fenêtre haut-perchée apporte un peu de luminosité à la pièce. Au fond, une baignoire à pieds de lion siège, bordée d'un tapis de douche couleur crème. Une salle de bain digne d'une chambre d'hôtel, ne peut s'empêcher de siffler Anya.

Elle aurait presque envie de se laisser couler un bain chaud plein de mousse. Elle ne fait que se rafraichir rapidement, se passant un peu d'eau fraiche sur le visage, avant de retourner dans la cuisine. En attendant que Dante l'y rejoigne, elle observe distraitement ce qui l'entoure. Finalement, cette petite maison n'est pas si désuète que ce qu'elle pensait.

Elle remarque un chat paresseusement assis sur le rebord de la petite fenêtre. Sa queue se balance avec nonchalance tandis qu'il scrute l'ensemble de la cours d'un regard joueur. Son pelage clair tranche avec la pénombre du soir. Une seule tâche brune habille son dos comme si un pot de peinture lui était tombé dessus.

Anya est irrésistiblement attiré par ce petit félin. Pour être tout à fait honnête, les chats, elle les adore. Elle ne peut s'empêcher d'être comme une petite fille émerveillée avec eux. Elle adore leur gratter le menton, les caresser derrière les oreilles et sentir leur douce pelisse sous ses doigts. Une attirance qu'elle ne parvient pas toujours à contrôler. Et qui fait tendrement sourire Évelyn.

Mais de se trouver dans cette petite maison qu'elle ne connait pas, ou du moins qui n'est pas la sienne, Anya se retient d'aller câliner le petit animal. Elle ne fait que l'observer, un rictus au coin des lèvres, suivant du regard le balancement de sa queue. Puis, un quelconque rongeur attirant son attention, le chat saute dans la nuit et la jeune femme regagne le temps présent.

Dante revient et semble bien pensif tout à coup. Elle aimerait lui poser la question de ce qui occupe ainsi ses pensées. Mais elle n'ose pas. Il porte son attention sur elle, lui adresse un sourire qui se veut rassurant.

- La chambre est toute à toi, Catanya.

- Merci. Mais, et vous ? Où allez-vous dormir ?

- Ne t'en fais pas pour moi. Je vais veiller. On ne sait jamais. La Brigade du Lynx est susceptible de nous retrouver malgré tout.

- Vous n'allez pas dormir, donc.

- Non, mais je n'en ai pas besoin. Je ne me suis que trop reposé avant ce soir. Il est temps que j'accélère les choses.

- Ça ne vous ennuie vraiment pas si j'occupe votre chambre cette nuit, vous êtes sûrs ?

- Oui, certain. Tu peux aller t'y reposer en toute sérénité, Catanya.

Bien que profondément embarrassée de profiter ainsi de son hospitalité, la jeune femme capitule devant la fatigue. Il est tard et elle est épuisée. Elle le remercie plus d'une fois et s'apprête à gagner la chambre qu'il lui a préparé quand il l'interpelle doucement :

- Catanya, tutoyons-nous, dit-il simplement en guise de bonne nuit.

Elle ne lui répond que d'un sourire, qu'il lui rend aussitôt. Non, elle en est certaine : il n'a vraiment rien d'un meurtrier froid et sans cœur.

 

La chambre est petite mais chaleureuse. La jeune femme s'y sent bien presque immédiatement. Des draps clairs sur un lit au matelas large. Des rideaux aux couleurs chaudes sur une fenêtre apportant beaucoup de lumière. Une chaise dans un coin pour qu'elle y pose ses vêtements sans les froisser. Une petite armoire pour y ranger quelques affaires. Et une maigre étagère parcourue de livres dont elle ne parvient pas à lire le titre inscrit sur la tranche.

Ayant défait les boutons de sa robe et dénoué la ceinture de son tablier pour ne garder que son jupon et son maillot-de-corps, Anya se glisse sous les draps, songeuse. Le sorcier a sans doute raison. Ses explications sont plus que plausibles. Elle veut les croire. Il n'a rien d'un tueur en cavale. Elle le sent. Il est prévenant. Peut-être est-ce trompeur. Mais elle en doute. Il semble si sincère qu'elle a du mal à mettre sa parole en doute.

Une affreuse pensée traverse soudain son esprit : et si tout ceci n'est que de façade ? Et s'il tente de la tuer dans son sommeil ? Et s'il la trompe sous ses airs de gentlemen ? Elle ne peut pas s'empêcher d'y songer et en a un frisson incontrôlable.

- Reprends-toi, se souffle-t-elle. S'il avait voulu te tuer, il l'aurait déjà fait.

Elle tente de se rassurer, imaginant ce qu'Évelyn lui aurait dit. Et elle est certaine qu'elle aurait le même raisonnement. Alors pourquoi se taraude-t-elle ainsi ?

Mais cette idée lui reste malgré-ce et elle ne parvient pas à trouver le sommeil avant une heure des plus tardives. Elle tourne et retourne dans les draps, sans parvenir à fermer l'œil. C'est épuisée et à une heure indue qu'elle finit par tomber dans les bras de Morphée.


***

© Lynn RÉNIER
Signaler ce texte