La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 4 : Orage sur la Ville

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Tandis que la matinée s'achève en cette fin d'hiver, le vent se lève sur la tranquille ville commerçante et son port, apportant avec lui de gros nuages sombres et chargés de pluie. Les plus âgées des habitants de Félinin ont prédit que ces nuages épais et noirs annonçaient un important orage. Ils ne se sont pas trompés. Ils se trompent rarement.

Avec le début d'après-midi, le vent s'intensifie et les éclairs zèbrent alors le ciel, sans discontinue depuis. Puis, brusquement, tout s'emballe inexplicablement. Les gens et les animaux s'empressent de gagner un abri, pour échapper aux puissantes rafales et au lourd rideau de pluie. Et même le petit funiculaire cesse de circuler, par mesures de sécurité.

La nuit à peine tombée, l'orage s'abat, puissant, violent. Sur le Domaine des Arflors, les allées du jardin, les pelouses vertes et toujours impeccablement tondues sont désertées, au profit de l'abri qu'offre l'intérieur de la villa. Même les bêtes restent dans l'étable et une agitation certaine active les domestiques à l'intérieur de la résidence.

Chacun est à son poste, près à réagir dès qu'il le faudra. Majordome, commis, femmes-de-chambre, jusqu'au jardinier. Le majordome de la maison cherche désespérément à joindre le médecin de famille mais le téléphone ne semble pas fonctionner. La liaison grésille. Et lorsqu'il perçoit enfin une voix, la communication se coupe brusquement. Peut-être la foudre a-t-elle endommagé les lignes.

Pour rajouter à la situation, avec l'orage qui déferle sur la ville, impossible pour qui que ce soit de sortir sans prendre de risques. Sinon, le majordome se serait déjà déplacé pour ramener le médecin… Seulement, c'est urgent, pour Dame Inarah. D'où cette agitation quasi panique qui règne chez l'ensemble des domestiques.

Soudain, un bruit assourdissant fait trembler la maison et les lampes s'éteignent, plongeant la demeure dans le noir. Le réseau électrique de la maison n'a pas supporté la foudre tombée toute proche. Cette fois, ce n'est pas uniquement le téléphone qui ne fonctionne plus. Les domestiques s'empressent de sortir chandelles et autres bougies pour fournir un peu de lumière. Cela ne fait que rajouter à la crainte qui les tient tous.

 

Comme ses collègues et camarades, la jeune femme-de-chambre est quelque peu angoissée. Et ce n'est pas l'orage persistant qui l'inquiète le plus. Elle presse le pas dans le long couloir, un linge propre sur le bras, une lampe dans une main et une petite bassine d'eau dans l'autre qu'elle tente de maintenir en équilibre tant bien que mal pour ne pas la renverser.

Une agitation palpable règne dans la résidence alors que le calme y règne d'ordinaire. Elle n'a souvenir de pareille ambiance. Il y a bien quelque chose d'anormal ce soir, comme de l'électricité dans l'air. C'est indéniable.

Anya travaille pour la famille D'Avila depuis quelques années déjà. Elle connait la Dame, le domaine, les gens. Plus rien n'a de secret pour elle désormais. De fait, parcourir le couloir qui mène à la chambre d'un pas pressé alors que les lumières sont éteintes ne la dérange nullement. Elle sait où elle va. Il lui faut seulement prendre garde à Fidèle, le chien du maître des lieux, qui a tendance à traîner dans les environs.

Ce grand chien ne quittait jamais Monsieur D'Avila d'une semelle. Et désormais, c'est sur la femme de ce dernier qu'il veille. La nuit, il reste devant la porte de la chambre en fidèle gardien. Mais ce soir, il traîne dans le couloir, surveillant les allées et venues des domestiques. Ces derniers mois, il se sent investi d'une mission, et pour cause : Madame D'Avila, enceinte de plus de huit mois, approche du terme.

Depuis l'aube, la Dame essuie des douleurs insupportables. Et avec la tempête au dehors, les contractions ont commencé. Mais le bébé ne semble toujours pas vouloir sortir. Et Dame Inarah s'épuise. C'est insoutenable de voir la Dame souffrir ainsi. Elle qui est si douce, si gentille. Elle ne mérite pas cette souffrance. Anya le sait, elle en est persuadée. Dame Inarah a toujours été si bonne avec elle, avec tous les autres domestiques du domaine. La jeune femme espère alors qu'il n'arriva rien de grave à sa maîtresse et à l'enfant qu'elle porte. Si seulement Monsieur Josh était encore là…

 

Dès l'instant où les premières contractions ont commencé, Joseph, le majordome de la demeure, a bien tenté de joindre le médecin ou la sage-femme, mais personne ne répond. Avec l'orage qui gronde au-dessus de leur tête et les éclairs qui zèbrent le ciel depuis le début d'après-midi, les gens préfèrent rester chez eux. Cependant, Dame Inarah ne peut pas rester ainsi.

Le majordome est anxieux et Anya peut le comprendre. Après la perte de John, le frère cadet du maître de maison, il y a neuf ans et la disparition de son aîné Josh il y a à peine deux mois, Joseph craint de voir partir la Dame et l'enfant qu'elle porte. Cette grossesse, il y veille depuis que Monsieur Josh n'est plus là pour le faire. Et il espère, comme les autres dans la maison, que tout se passe bien jusqu'au bout.

Il est au service de la famille depuis des années. Il a vu naître et grandir les deux garçons, les a vus se marier. Et les a vus disparaître avant lui, aussi… Joseph ne tient pas à laisser la demeure du Domaine des Arflors se vider de ses occupants. Il ne veut pas voir s'en aller la Marquise. Pas comme ça. Si la fin de la grossesse de Dame Inarah vient à mal se passer, il fera tout pour qu'elle ne succombe pas.

Cet enfant, le couple l'espérait tant. La disparition de Monsieur Josh a été une véritable tragédie. Lui qui allait enfin être père… Joseph se laisse parfois à dire qu'une malédiction pèse sur la famille. Les autres domestiques en rient. Mais Anya se demande de temps en temps s'il n'a pas raison, au fond.

 

La jeune femme arrive devant la porte de la chambre. Derrière, elle entend Dame Inarah gémir de douleur et hésite à entrer. Son cœur la serre. Madame D'Avila a déjà traversé tant d'épreuves. Pourquoi le sort s'acharne-t-il ainsi ? C'est si injuste. Pourquoi ce neuvième mois ne se déroule-t-il pas comme les autres ? Cette grossesse s'est pourtant bien passée jusqu'à présent.

Une truffe humide vient lui toucher la main. Fidèle est venu à sa rencontre, penaud. Il doit sentir que sa maîtresse ne va pas bien. Il est aussi inquiet qu'Anya. Elle lui adresse un sourire triste, cherchant à le rassurer, mais l'animal n'est pas dupe. Il se tourne alors vers la porte, l'incitant à l'ouvrir. Ce qu'elle fait, timide et anxieuse.


© Lynn RÉNIER
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