La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 46 : La Fin du Tunnel
Lynn Rénier
Ils croient à une minuscule chapelle, avec son toit en pente et sa petite porte en bois. Or, cette maisonnette aussi grande qu'un cabanon de jardin n'a rien de religieux. Ils s'en rendent rapidement compte quand Dante déverrouille la porte d'une formule avant de l'ouvrir. Il n'y a rien à l'intérieur. Un espace vide et sombre, sans fenêtre ni autre sortie, à peine la place de s'y tenir à deux. Un tapis usé, couvrant le sol, attise pourtant leur curiosité.
La surprise les saisit quand ils dévoilent une trappe. Un air satisfait illumine le visage du magicien. Enfin ! Voilà ce qu'il cherche depuis le début de la nuit : un moyen d'accéder à ce fameux tunnel qui court sous leurs pieds. Jetant un regard derrière eux pour s'assurer que personne ne les suit, les deux jeunes gens se faufilent dans le passage.
Au pied de l'escalier, l'obscurité règne. Ils devinent à peine le bout de leur nez. Alors, Dante ne se fait pas prier pour user de sa magie.
- Luziolla ! clame-t-il.
Très vite, une petite sphère de lumière leur éclaire le tunnel. Il semble interminable et au vue du chemin qu'ils ont fait en surface, en suivant le fil doré, Anya et le magicien savent que la nuit va être longue.
Le couloir souterrain s'étend à perte de vue. Des câbles courts le long du plafond, ponctués de petites ampoules. Ni Anya ni Dante ne cherche à les allumer. Ce serait révéler leur présence si quelqu'un d'autre arpente le tunnel. La luciole magique les précède, leur permettant de voir où ils vont sans que la lumière ne trahisse leur présence.
Ils marchent un moment encore, sans que rien ne vienne croiser leur chemin. Anya se plaindrait bien de ses pieds douloureux mais s'en abstient. La curiosité est plus forte que la fatigue qu'elle sent pointer. Et même si elle a le sentiment qu'ils sont coupés du temps, que ce tunnel est sans fin, elle ne souhaite qu'en atteindre le bout et découvrir ce qui s'y cache.
Ils débouchent bientôt sur un escalier qui descend quelques mètres plus bas. Après avoir échangé un regard, ils l'empruntent prudemment. Ils retrouvent le tunnel venant du Domaine de Richwel et le suivent vers l'Ouest. La pente douce sous leur pied leur confirme qu'ils marchent vers les Aiguilles du Géant. Et bientôt, l'impatience les tenaille. Ce couloir sans fin les lasse, mais l'espoir de découvrir ce qui se cache au bout les persuade de ne pas abandonner.
Le long du chemin, Dante constate avec déception qu'il n'y a rien qui puisse le mener sur la voie du sorcier ou répondre à ses questions sur l'affaire du meurtre du palefrenier. Pas le moindre indice, pas la moindre trace. Seulement un couloir interminable où courent quelques ampoules. Il ne veut pas qu'Anya puisse voir cette amertume dans son regard et s'efforce de paraître sûr de lui. Au fond, il est persuadé de découvrir le fin mot de l'histoire. Ce n'est que le manque de preuve jusqu'à présent qui le désespère et l'inquiète.
- Je n'avais pas l'impression que ce soit si long quand nous suivions le filament en surface, soupire Anya.
- Nous arrivons bientôt au bout, lui assure le magicien. Ne sens-tu pas cette odeur saline ?
- Si, à peine.
- La mer n'est pas loin. Nous approchons du but !
En effet, après plusieurs mètres, ils débouchent sur une salle, porte grande ouverte et vide de tout occupant. Seules y trônent une simple table et quelques chaises. Un jeu de cartes a été abandonné là à la fin d'une énième partie, avec de nombreux cadavres de bouteilles de bière. Une désagréable odeur de rance les prend au nez sans qu'ils ne voient ce qui peut en être la cause.
Tandis qu'Anya s'attarde sur les cartes à jouer, Dante passe à côté du mobilier sans y prêter attention. Ce qui l'inquiète d'avantage, c'est cette porte épaisse qui leur fait face. Il l'inspecte, surpris qu'elle soit renforcée de rivets et de barres de métal. Que dissimule-t-elle ? Une autre salle ? Il remarque alors l'entrebâillement : elle n'est pas fermée. Une étincelle brille aussitôt dans son regard.
Malheureusement, son enthousiasme retombe aussitôt. De l'autre côté, des barreaux séparent la pièce en deux. La grille de la geôle est ouverte. Il n'y qu'un vieux matelas usé à l'intérieur et une petite fenêtre à barreaux trop haute pour l'atteindre.
- C'est une cellule, lâche-t-il. Et quelqu'un s'y trouvait encore il n'y a pas si longtemps.
Anya le rejoint, curieuse. Elle jette un regard dans la geôle et fait les mêmes constatations que son compagnon : les traces de sang séché sur le matelas, les chaînes qui pendent du mur, le pichet d'eau renversé, les marques de griffures sur le sol. Oui, une pauvre âme a été détenue ici. Mais comment Dante en a-t-il déduit que le prisonnier s'y trouvait encore il y a peu ?
- Facile, sourit-il. Il n'y pas assez de toiles d'araignée et de poussière pour que ce soit plus ancien.
- C'est aussi simple que ça ?
- Les lieux ont été vidés à la hâte, il y a quelques jours à peine. L'odeur vient du matelas, qui a trop vécu. Mais les bouteilles vides ne portent presque pas de poussière. Le jeu de cartes a beaucoup servi mais les couleurs sont encore très vives. Et le journal date d'il y a dix jours, à peine.
Anya n'avait pas remarqué le quotidien posé sur une chaise. Le magicien a un œil avisé.
- Crois-tu que la personne qui était détenue ici est en vie ?
- On ne se serait pas donné tout ce mal autrement. Regardes, on lui apportait à manger et à boire, dit-il en désignant une trace circulaire sur le sol. Il y avait un bol ici. Le jeu de cartes appartient certainement aux gardiens. Quant aux bouteilles vides sur la table, on n'offre pas de la bière à un prisonnier.
- Sauf si c'est son dernier souhait avant de…
- Non, je ne pense pas, Cat. L'odeur de renfermé n'est pas seulement du au matelas et elle est mêlée à autre chose. Urine, sang, sueur. Le prisonnier était là depuis plusieurs semaines avant qu'on ne le déplace, sans qu'on ne lui accorde intimité ou dignité…
Anya affiche alors un air peiné :
- Qui a bien pu faire ça ?
- Je ne sais pas. Mais il s'agit de quelqu'un qui a des choses à cacher.
- Y a-t-il un lien avec l'assassinat de Gautier et le sorcier ?
- Eh bien, je pense que nous avons trouvé ce que ton ami n'aurait jamais dû voir. Le tunnel a été abandonné peu après la mort de Gautier, si je me fie à la date du journal. Et il existe une sortie dans les écuries. Je suppose donc qu'en effectuant ses tâches, ton ami a découvert l'accès au tunnel. Il y serait entré par curiosité et aurait découvert cette pièce et vu qui se trouvait enfermé là. Pour ce qui est du sorcier, il est forcément mêlé à tout ça. Le sort de dissimulation et la façon dont est mort le palefrenier pour preuves.
- On l'a tué pour qu'il ne divulgue pas ce sordide secret. Mais, je ne comprends pas : à quoi sert tout ça.
- Pour l'instant, je n'ai pas de réponse à te fournir. On ne peut que faire la liste de ce qu'on a trouvé.
- Un trafic d'organes, une cellule qui sent la moisissure, un tunnel interminable, une trappe dans le mur du Domaine de Gast, une autre dans les écuries du Comte et un ami à qui un sorcier fou a volé la vie, énumère Anya défaitiste. Tout ça ne nous mène nulle part.
- Ce n'est pas tout à fait juste. Il nous manque l'élément qui relie tout ça. Ce n'est qu'une question de temps.
- J'admire ton sens de l'optimisme, Dante. Seulement, rien ne nous dit que ces différents éléments sont reliés d'une façon ou d'une autre. Et nous ne sommes pas certains qu'il y ait vraiment eu quelqu'un enfermé ici. Qui nous dit qu'il n'y a pas eu plusieurs personnes retenues dans cette geôle ? Et n'y a-t-il pas d'autres accès au tunnel quelque part ?
- Tu n'as pas tort. J'en ai déduit qu'il n'y a eu qu'une seule personne emprisonnée, mais peut-être me suis-je trompée.
- Et si cette cellule servait à enfermer les gens avant qu'on ne leur vole leurs organes ? S'emballe Anya.
- Pas de conclusion hâtive, Cat, l'arrête le magicien.
La jeune femme retrouve son calme, inspire profondément avant de tourner son regard vers son compagnon.
- N'avons-nous pas un moyen de nous assurer que nos hypothèses sont justes ?
- Si, il y en a un, mais il n'est pas sans risque et…
Dante n'a pas le loisir de terminer sa phrase. Les ampoules s'éclairent en grésillant et des bruits de pas leur parviennent. Quelqu'un arrive dans le couloir. Aussitôt le magicien fait signe à Anya d'entrer dans la cellule. Réticente, elle s'y engouffre tout de même, lui derrière elle. Il prend soin de refermer la porte sans la claquer, la laissant entrebâillée comme il l'a trouvée.
- Occultatum totare, chuchote le jeune homme en serrant Anya contre lui.
Un frisson court dans le dos de cette dernière. Elle retient son souffle, tremblante. Est-ce le sorcier qui approche ?
- Je te dis que j'ai vu un fouineur tourner autour du domaine, grogne un homme.
- Es-tu certain qu'il ne s'est pas tout simplement égaré ? répond un autre.
- Il vaut mieux s'en assurer. Le Maître n'aimerait pas savoir que son plan peut être déjoué à ce stade.
L'esprit des deux jeunes gens blottis dans la cellule tourne à plein régime. Anya en est persuadée : ces voix, elle les connait ! Mais impossible d'y associer un visage. Quant à Dante, il voudrait en entendre d'avantage. Cette discussion pourrait lui en révéler plus. Serait-ce les deux gardes amateurs de bières et de jeux de cartes qui reviennent ?
Le son des bouteilles que l'on cogne les unes contre les autres résonne, celui des chaises trainées sur le sol que l'on déplace. Puis un calme inquiétant s'installe. Le magicien et son amie retiennent leur respiration. Les deux hommes sont-ils partis ?
Soudain la porte de la cellule s'ouvre en grinçant. Anya en aurait crié de frayeur si elle n'était pas rendue muette par l'angoisse.
- Doit-on également emporter tout ça ?
- Tu as entendu ce qu'ils ont dit : on ne doit rien laisser.
Le premier homme bougonne puis pénètre dans la geôle. Anya se recroqueville un peu plus, le visage enfouie dans les bras de Dante. Ce dernier ne bouge pas, figé.
L'homme ne semble pas les voir dans l'angle de la cellule. Il ramasse le pichet, décroche les chaînes et embarque le matelas. Avant de sortir, il tourne le regard vers eux, sans les apercevoir. Il ne voit qu'une ombre s'ajoutant à l'obscurité de la pièce et décide de ne pas y prêter attention.
- Il faudra brûler cette chose, se plaint-il à son collègue en désignant le matelas défraichi.
- Penses à prendre une douche surtout, se moque l'autre. L'odeur va te suivre, autrement.
Leurs pas s'éloignent. Dante retient un soupir de soulagement. Mais les deux amis restent accroupis dans l'ombre quelques minutes encore.
- Sont-ils partis ? ose timidement Anya en redressant la tête.
Pour toute réponse, le magicien balai l'air devant eux d'un geste de la main :
- Ostende, chuchote-t-il.
Le mur face à eux s'efface, devenant aussi translucide qu'un filet d'eau, leur révélant ainsi la pièce et l'entrée du tunnel. Les deux hommes ne sont plus là. Ils ont emporté avec eux cartes, journal et bouteilles. Les chaises ont été rangées sous la table et les deux lampes encadrant la porte sont éteintes.
- Ils sont partis, confirme Dante. Nous pouvons y aller. Nous ne trouverons rien de plus ici, surtout maintenant qu'ils ont tout emporté.
Encore tremblante, la jeune femme sort de son étreinte. Elle n'en revient toujours pas qu'ils soient passés inaperçu face aux deux hommes. Ces derniers n'ont même pas remarqué leur présence. La magie de Dante la surprend et la fascine. Ça semble si simple quand c'est lui qui en fait usage.
Elle le suit du regard tandis qu'il se dirige vers l'embouchure du tunnel, s'assure d'un coup d'œil qu'il n'y a personne pour les surprendre à nouveau. Puis, il revient vers elle, lui tendant la main pour l'aider à se remettre debout.
- Nous n'avons pas beaucoup de temps, lui dit-il. Je vais devoir faire vite.
- Faire quoi ? demande-t-elle en époussetant ses vêtements.
Mais il ne lui répond pas et lui tend simplement une étrange paire de lunettes.
© Lynn RÉNIER