La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 47 : Vision du Passé

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Les verres sont ronds et sombres, prêts desquels les branches de métal travaillé s'épaississent pour venir les englober. La monture dorée tranche avec la noirceur des verres. Des lunettes de soleil ? Pourquoi ? La jeune femme les observe, curieuse et intriguée. Que compte faire le magicien ? Elle remarque un étrange œilleton sur le verre gauche, comme une petite loupe de microscope que l'on actionne avec une petite molette sur le côté de la branche. Mais avant qu'elle ne puisse poser de question sur ces étranges lunettes, il lui fait signe de les enfiler.

Tandis qu'il en glisse une autre paire sur son nez, Anya s'exécute donc sans oser demander quoi que ce soit. La monture devant les yeux, elle ne constate rien d'anormal et l'œilleton ne la gêne pas. D'ailleurs, malgré le verre fumé, c'est un peu comme si elle y voyait comme en plein jour.

Se plaçant entre elle et la porte de la cellule, le magicien glisse une main dans son manteau. Il en sort une fiole au liquide visqueux de couleur gris perlé qu'il jette sur le sol. En se brisant dans un bruit de pétard, le petit flacon laisse échapper un nuage de fumée qui emplit peu à peu tout l'espace. Et le temps est comme figé, laissant seulement les deux jeunes gens hors de la boucle temporelle qui s'est arrêtée.

Dante s'empare de sa montre à gousset. Un très joli objet, remarque Anya, en laiton bruni aux détails dorés. Le couvercle de métal brun est travaillé. On croirait à de la dentelle tant la découpe des volutes et autres arabesques du mandala est fine. Un lion doré en reliefs doux en sertit le centre. Le cadran, quant à lui, affiche les heures en chiffres romains et les aiguilles sont semblables à des flèches dorées terminés par des fleurs de lis. Le cœur de la montre est un petit cercle de verre, dévoilant ainsi les rouages et petits engrenages qui la font fonctionner.

Le magicien tourne le remontoir dans le sens contraire des heures jusqu'à faire un tour complet aux aiguilles. Puis, effectuant un mouvement circulaire du poignet au-dessus du cadran, il clame d'une voix forte :

- Reversusque est in tempore.

Les flèches dorées de la montre se mettent à tourner toutes seules dans le sens contraire des aiguilles, et dans la fumée des images apparaissent. Elles défilent à l'envers, comme rembobinées.

Anya met un peu de temps à comprendre ce qui est en train de se passer. Elle sursaute même lorsqu'elle voit les deux hommes revenir, à reculons. Mais ils lui semblent être comme un mirage. Le mouvement s'accélère, jusqu'à ce qu'elle ne parvienne plus à distinguer et que tout devienne flou. Après de brèves minutes, le temps reprend son cours normal sur une scène étrange ayant à priori eu lieu quelques semaines plus tôt.

Dante observe avec attention, le moindre détail, le moindre geste. Les mots ne leur parviennent pas, mais ils ne sont pas nécessaires pour saisir ce qui se passe. Là devant eux, sous l'effet du sort du magicien, le temps s'est rembobiné comme on remonte la bibine d'un film alors qu'on est en train de le visionner. Ça fait un drôle d'effet. En l'espace de quelques minutes de marche arrière, ils sont revenus plusieurs semaines en amont. Anya n'arrive pas à y croire et reste interdite.

Bientôt ils distinguent un homme inerte que l'on jette dans la cellule. À son réveil, sa panique est perceptible. Et sa stupéfaction aussi quand un autre passe la lourde porte, habillée d'une tenue très soignée et ayant bien meilleure mine que son prisonnier.

- Est-ce lui le sorcier ? chuchote la jeune femme.

- Je ne saurais le dire…

Les visages sont trop flous pour qu'ils puissent les reconnaitre, mais Anya et Dante n'ont pas besoin de plus pour comprendre que l'un est le geôlier de l'autre. Les chaînes qui entravent la cheville et les poignets de l'homme derrière les barreaux sont assez équivoques de sa situation.

La scène se poursuit, le temps accéléré de la vision leur révélant des images sur plusieurs mois qu'ils auraient préféré ne pas voir. La jeune femme en détourne presque les yeux. Puis, il aperçoive un jeune homme hésitant déboucher du tunnel : Gautier, sans aucun doute possible. Le cœur d'Anya se serre. Il jette un œil par la fenêtre de l'épaisse porte mais un molosse le surprend. Le palefrenier prend la fuite, le chien sur ses talons. Les deux jeunes gens comprennent ce qui s'est passé, pour partie.

- C'est ce que je pensais, siffle Dante. Ton ami a découvert qui était retenu ici. Mais on ne lui a pas laissé le temps de le dire à quiconque.

- L'homme qui se trouvait là est-il si important pour que le secret doive être gardé ?

- Il semblerait.

Peu de temps après, les deux hommes finissent par venir chercher le prisonnier. Leur hâte trahie ce que le magicien soupçonnait :

- On l'a déplacé parce que Gautier les a surpris, conclue-t-il. Leur prisonnier est certainement toujours en vie.

- Je l'espère, avoue Anya.

Dans la vision, le geôlier refait son apparition dans ses habits de lumière, pressant ses acolytes. Le pauvre bougre enfermé dans la geôle n'a visiblement plus assez de force pour leur tenir tête et se défendre.

- On sent qu'il est en colère, remarque la jeune femme vis-à-vis du geôlier.

- Celui qui a fait enfermer cet homme-là a besoin de son prisonnier. J'ignore encore pour quelle raison.

- Qui sont ces hommes ? Pourquoi ne peut-on voir leur visage ?

- Ce sort n'est pas toujours parfait, maugrée le magicien. D'autant que, si on prend en compte que ça a lieu à Félinin, tu dois certainement connaître ces hommes…

- Serais-tu contrarié ?

- Oui, un tantinet. Si cette magie était moins aléatoire, nous aurions déjà résolu cette histoire.

Anya ne peut pas lui donner tort. Le sentiment de savoir qui est impliqué le tenaille depuis qu'ils ont manqué d'être surpris par les deux hommes venus nettoyer les lieux. Ces voix, elle est persuadée de les avoir déjà entendues quelque part. De fait, qu'elle puisse également connaître le mystérieux geôlier et son prisonnier ne l'étonne pas. Après tout, à Félinin, tout le monde se connait ou presque.

Alors qu'ils pensaient avoir vu ce qu'il fallait, une troisième personne entre dans le cadre. Sous la capuche de son manteau, ils ne parviennent pas à voir s'il s'agit d'un homme ou d'une femme. La silhouette fine leur suggère qu'il s'agit probablement d'une femme, mais la conclusion est trop hâtive. Après tout, il ne faut pas se fier aux apparences.

L'inconnu discute longuement avec le geôlier, tous deux s'emportent tandis que les deux gardes transfèrent le prisonnier ailleurs. Leurs gestes sont secs, vifs, sans équivoques.

- Ils se disputent, traduit Anya.

Son regard couleur caramel ne lâche pas le capuchon sombre du curieux personnage. Elle cherche à voir un visage à travers l'ombre mais la vision déjà floue ne l'aide pas à distinguer quoi que ce soit. Seules les mains fines de l'inconnu laissent à penser qu'il s'agit bien d'une femme.

- Qui est-elle ?

- Je n'en ai vraiment aucune idée… Mais elle m'intrigue, admet Dante. Elle a une curieuse aura. J'ai l'impression de la connaître.

Il jure dans sa barbe.

- D'où est-ce que tu la connaitrais ?

- Impossible de m'en souvenir. C'est comme si… ma mémoire me fait curieusement défaut.

- Ça te reviendra.

- Sand doute.

La vision s'évanouit, le temps revenant à celui présent. Ils retirent les lunettes pour revenir à la réalité.

- À quoi servent-elles ? demande Anya en tendant la paire de verres ronds et fumés au magicien.

- Sans ces vérobscurs, on ne peut voir les effets de ce sort et cela permet aussi de protéger nos yeux des visions dans le temps. Ces flashes ont tendance à agresser la cornée.

Ils échangent un sourire.

- Il faut qu'on s'en aille. Ils pourraient revenir.

Anya ne discute pas. Maintenant qu'ils ont pu voir ce qui les a amenés ici, elle ne souhaite que sortir de ce maudit tunnel au plus vite. Cette pièce souterraine la met mal à l'aise. Pas qu'elle soit claustrophobe. Il se dégage de l'endroit un rien qui lui fait dresser l'échine.

Le magicien jette un œil dans le tunnel, s'assurant qu'ils peuvent l'empreinter sans risque. Puis, prenant la main d'Anya dans la sienne, il s'engage dans le couloir souterrain d'un pas pressé. Les ampoules qui courent le long du plafond sont toujours allumées et le jeune homme craint que les deux hommes qu'ils ont vu ne reviennent.

Dante rumine. Il aurait aimé pouvoir pister la trace du prisonnier. Mais les deux gardes ont emporté tout ce qui aurait pu lui servir d'ancrage pour son sort. Certes, on ne résout pas tout grâce à la magie. Et parfois en faire trop usage peut s'avérer néfaste. Cependant, cette histoire n'a que trop duré. Si seulement lui avait-on laissé le temps…


© Lynn RÉNIER
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