Chapitre 7

Anthéa Claux

'' Sur l'eau calme voguant sans trêve,

dans l'éclat du jour qui s'achève, qu'est notre vie, sinon qu'un rêve ''

Lewis Carroll


Mon visage est collée contre la seule source de lumière naturelle de la pièce. Une petite fenêtre enclavée par d'épais barreaux me donne une première impression du monde extérieur. Il n'a pas changé depuis que je suis rentrée. Enfin, je crois. Je ne peux seulement que croire ce que je vois. Et de ce qu'en vois, il est le même. Mais peut-être que ma perception me joue des tours; croire ses sens est souvent trompeur. Peut-être que le monde ne ressemble plus à ce qu'il était quand je l'ai quitté et alors pour ne pas me bouleverser, mes sens me donneraient une illusion du monde que je connais. Il n'y a aucun moyen de vérifier si ce que je vois est vrai, est réel. Je ne peux que l'imaginer, le croire. Je vois de grands murs d'enceinte qui abritent sûrement des miradors, entourées de fils barbelés, comme ceux d'une prison fédérale. Mais si je suis dans une prison fédérale, alors pourquoi n'ai-je pas entendu d'autre prisonniers ? Pourquoi ai-je l'impression d'être seule ici ? Dehors, je vois de la verdure, et j'imagine alors la sensation du gazon sous mes pieds nus. Il me suffit de fermer les yeux pour sentir l'herbe glisser entre mes orteils et caresser ma plante de pied. Je peux aussi sentir une légère brise souffler contre mes joues et s'emmêler dans mes cheveux. Le soleil, brille alors haut dans le ciel et éclaire mon visage. Je rayonne et sens à nouveau la vie parcourir mon corps. Pourtant il me faut rouvrir les yeux et affronter la réalité. Le vent souffle contre les branches des arbres et le soleil est bien là lui aussi. Mais il n'éclaire pas mon visage. Comme j'aimerais être dehors... Ici, il fait gris tous les jours et la seule lumière que mon visage rencontre est celle artificielle provenant des néons au-dessus de ma tête.

Lire m'aide à m'échapper de cette réalité. Alors que les mots sont avalés par mon cerveau, je me retrouve plongée dans un autre univers palpitant, aux couleurs chatoyantes. Dans cette autre univers, je suis libre de tout mouvement. Dans cette autre univers, je suis Rose et non ce mort-vivant que je suis devenue. '' Est-ce que, par hasard, on m'aurait changée au cours de la nuit ? Réfléchissons : étais-je identique à moi-même lorsque je me suis levée ce matin ? Je crois bien me rappeler m'être sentie un peu différente de l'Alice d'hier. Mais, si je ne suis pas la même, il faut se demander alors qui je peux bien être ? Ah, c'est là le grand problème ! '' A vrai dire, j'ai tellement changé depuis la Communauté que je ne saurais plus dire qui je suis...



'' Rose ! On retourne au travail ! Je peux entrer ? '' demande le jeune inspecteur derrière la porte. Je me retourne brusquement et manque de tomber de ma périlleuse installation. Pour atteindre la petite ouverture, j'avais réussi à déplacer le petit bureau de la cellule ainsi que le tabouret et les avais assemblé pour ensuite les escalader sans alerter personne. Si la Communauté m'a bien apporté quelque chose, c'est bien la discrétion. Si je ne voulais pas me faire repérer par un Ange ou un proche du Guide, je devais être discrète et silencieuse dans mes sorties nocturnes.

'' Non non attendez ! Je...euh...je ne suis pas prête ! '' hurlé-je en essayant de remettre tous les meubles à leur place avec la plus grande discrétion possible.

Contre mes instructions, il insère les clés dans la serrure et ouvre la porte. Il reste droit, sans un mot et je le fixe avec un sourire bête, le même qu'aurait un enfant après avoir fait une bêtise. Je glousse '' Qu'il y a t-il ? Vous semblez avoir vu un fantôme ! ''

Tout est remis à sa place, comme si rien n'avait été déplacé. Je crois qu'il se sent bête. Il voulait sûrement me prendre en flagrant délit. En quoi bouger des meubles est-ce un délit ? Me serais-je défendu. Bouger un meuble n'a jamais été un crime, même dans la Communauté. Et pourtant là-bas, je fus punis pour moins pire...

'' Je...il me semblait avoir entendu du bruit venant de votre cellule... '' souffle t-il un peu perdu.

Je continue à lui sourire bêtement '' Alors vous devez entendre des voix. Je n'ai pas bougé d'ici et comme vous pouvez le constater tout est à sa place. ''

Moi aussi j'entends des voix, enfin, seulement une; et toujours la même. Toujours cette même voix envoûtante, modulée et gutturale. Entendre des voix est-ce être fou ? Si c'est le cas, alors je suis folle. Nous sommes tous fou ici a dit un jour un grand homme. Je ne me souviens plus de son nom mais je crois qu'il avait raison.

Nate ne semble pas satisfait de ma réponse et préfère passer à autre chose. '' Peut importe. On doit y retourner. ''

Je m'approche mécaniquement vers lui et comme ce qui est devenue une habitude à présent, je lui présente mes poignets en silence. Il descend le regard vers ces derniers avant de le poser sur mon visage. Je crois que cela ne lui plaît pas, car sinon, il ne réfléchirait pas comme il le fait en ce moment. Il agit lui aussi mécaniquement, par habitude. Il fait son travail. Ils ne font que leur travail ! Croyez-vous que les Anges aiment participer aux Rédemptions ? Accrocher tous ces corps sur le Pont des Pendus ? Ils agissent pour le bien collectif, soyez bons avec eux. Ne leur refusez rien. Disait Sœur Gulia au Centre de Rééducation. Je ne comprenais pas ce qu'elle voulait dire par rien, mais aujourd'hui j'ai compris, et Serena aussi. Une fois mise hors d'état de nuire, nous sortons tous les deux et traversons le couloir en direction de ma salle de torture quotidienne.

Les menottes me font mal mais j'essaye de ne pas y penser. La douleur est passagère, tu vas avoir mal quelques semaines et tu verras, un matin, tu te réveilleras et tu oublieras cette vilaine douleur. Tout, n'aura été finalement qu'un mauvais cauchemar. La douleur physique n'est rien comparée à la douleur mentale que j'ai subi à la Communauté. Je peux très bien supporter les picotements infligés par les menottes. Mes poignets seront rouges et comme l'a dit Elijah, un jour je me réveillerai et tout n'aura été finalement qu'un mauvais cauchemar. Mais si tout n'est qu'un mauvais cauchemar alors je vais me réveiller; un jour; dans une réalité meilleure.


Je rêve souvent que tout ceci n'est qu'un songe, que je me réveille alors chez mes parents, dans ma chambre, dans mon lit aux draps sentant la douce lessive. Nous sommes le matin et les rayons du soleil traversent les fins rideaux roses. J'ai peur de cette illusion et inspecte la pièce. Il s'agit pourtant bien de ma chambre, la même depuis mon adolescence. Rien n'a changé depuis que je l'ai quitté. Il y a toujours les étoiles au plafond, les murs recouverts de vieux posters et le bureau rangé. Je me lève et sors de ma chambre. Je crois entendre du bruit en bas et descends les escaliers sur la pointe des pieds. Je commence à distinguer le son et mes narines sont embaumés d'une douce odeur de pancakes. Je me dirige vers la cuisine, toujours avec prudence et m'arrête subitement. Ils sont tous là; papa, maman et Finn. Mon père est aux fourneaux et ma mère l'embrasse discrètement dans le cou. Finn est assis à table, sur son téléphone comme à son habitude. Tout a l'air si normal que cela en devient étrange. Finn est le premier à remarquer ma présence. '' Regardez qui vient de se lever ! '' s'exclame t-il. Mes parents se retournent et m'incitent à les rejoindre à table. Je reste sans voix, à l'entrée de la cuisine, perturbée. Suis-je dans un rêve ? J'ai perdu la notion de la réalité. La scène semble trop belle, trop parfaite pour être vrai. Pourtant, rien ne semble faux.

'' Allons Rose ! Ne reste pas comme ça ! Viens te maître à table ! Tu veux des pancakes ? '' demande ma mère en se servant.

Je déglutis et m'assis finalement à leur côté en restant tout de même méfiante. Je ne prends rien à manger et préfère les écouter parler de tout et de rien. Finn parle de sa nouvelle petite-amie et papa et maman du bar. Une petite voix en moi me dit d'y croire. Que c'est ici la réalité, et nul part ailleurs. Alors je veux sourire. Je veux rire avec eux, manger avec eux et ne plus jamais me rendormir. Une autre petite voix en moi me dit que tout ceci n'est qu'un mirage, une illusion, un piège crée de toutes pièces par mon esprit. Et alors je ne veux pas sourire. J'ai peur et je veux partir. Qui dois-je croire ?

'' Vous n'êtes pas réels. '' lancé-je de but en blanc en fixant mon assiette vide.

Tout le monde cesse son activité et me regarde avec de grands yeux. '' Pardon ? '' déglutit mon père.

'' Vous n'êtes pas réels. '' répété-je. '' Tout ceci....ça n'existe pas. Vous êtes morts. '' Je me lève immédiatement et les regarde avec une certaine peur dans le regard.

Ils sont déconcertés et mon père tente de me ramener à la raison. '' Rose...qu'est ce que tu racontes ? '' Il tend son bras vers moi et veut me prendre le poignet mais je me lève aussitôt et fais tomber ma chaise dans ma lancée. '' Non t'approches pas ! Vous n'existez pas ! Vous êtes morts ! ''

Ma tête tourne dans tous les sens et je sens le besoin de la tenir. Suis-je réellement en train de parler à des morts ? Qu'est ce qu'il m'arrive ? Rose, tu es folle.

'' Assis toi Rose, tu ne sais pas ce que tu dis... '' dit calmement ma mère en se levant et en s'approchant de moi.

Je recule instinctivement et hurle dans toute la maison '' Mais merde t'es morte maman ! Vous êtes tous morts ! '' Je regarde ma mère et lui balance '' Maman tu as été pendu ! '' je me tourne vers mon père '' Papa toi tu as brûlé avec le bar ! '' Puis je termine avec Finn. Et à ma grande surprise, les mots sortent simplement. '' Et toi Finn c'est moi qui t'aies tué ! Je t'ai tué putain ! Tu es mort ! ''

Une forte migraine me prend subitement et ma tête tourne dans tous les sens. Je ferme les yeux et quand je les rouvre, il n'y a plus rien. Plus de cuisine, plus de famille. Il fait noir et je me sens tomber dans un trou sans fond, le terrier du lapin. Et alors je me réveille en sueur. Je regarde autour de moi et me voilà de retour dans ma cellule, dans ce qui doit être la réalité. Pourtant je doute encore. Je retire le drap qui me couvre et baisse le haut de mon t-shirt pour m'assurer que cette fois-ci, je ne rêve pas. Elle est bien là, la marque du Guide, brûlante sur ma poitrine en sueur. Alors je ne rêve pas, et la réalité est un vrai cauchemar.


'' Vous n'êtes pas très bavarde aujourd'hui '' souffle Nate pour briser le silence entre nous deux.

Je relève les yeux vers lui, '' Je ne parle pas jamais. Sauf qu'en je ressens l'utilité. ''

'' Et là vous n'avez rien à dire je suppose ? '' enchaîne t-il.

La seule réponse que je lui accorde est mon silence. Je ne suis pas bavarde d'ordinaire, et encore moins avec des personnes que je ne connais que depuis peu. Je parlais beaucoup avant. J'ai été une personne qu'on pouvait qualifier de sociable. Je crois que c'est le fait de naître dans le milieu de la restauration qui m'a rendu comme ça. Depuis que je suis toute petite j'ai toujours rencontrés de nouvelles personnes, de nouvelles têtes. Et certaines sont restées des inconnues, mais d'autres sont devenues familières comme M.Robinson le gérant du supermarché du coin, M. Morrison le coiffeur et barbier, Mme O'Brienne l'institutrice et M et Mme Smith, le jeune couple d'agents immobilier. Aujourd'hui je ne parle plus, ou très peu. J'ai appris à me taire et à tout garder pour moi. Ils pouvaient sûrement contrôler mes paroles mais jamais mes pensées. Mes pensées m'appartiennent, tout comme la nuit, le seul moment où je me sens libre; libre de rêver. Je me décide enfin à engager la conversation :

'' Merci. '' lâché-je simplement en espérant qu'il me comprenne.

Il m'interroge du regard '' Merci ? Pour quoi ? '' rigole t-il.

Je ne vois pas ce qu'il a de drôle. '' Pour le livre, Alice. Je sais que vous ne l'avez pas emprunté à une bibliothèque ou...à un proche. Vous l'avez acheté. '' Il reste muet et je continue '' Le ticket de caisse. Vous l'avez laissé dans le livre, il y était encore. Donc...je crois que je dois vous remercier. ''

Il sourit '' Pour ça ? Ce n'est qu'un livre vous savez, rien de très précieux. ''

Peut-être pour lui, mais pour moi un livre est devenu précieux depuis le moment où la Communauté les a interdit et les a tous brûler. A présent que ces tissus de mensonges n'existe plus, nous pouvons à présent écrire le présent et le futur dans la lumière de notre Guide ! Les flammes montaient haut dans le ciel nocturne et donnaient une teinte rouge à la nuit noire, une lueur d'apocalypse. Je ne savais pas que les mots brûlés avaient une odeur...

'' Peut-être, mais 13 $ c'est tout de même une sacrée somme ! Alors merci à vous. Il...il y a longtemps qu'on ne m'avait rien acheté de pareil... '' Je lui souris gentiment. Je veux être gentille avec lui, comme il l'est avec moi.

'' Maintenant vous avez une dette envers moi ! Vous me devez 13 $. '' s'exclame t-il avec beaucoup de sérieux.

'' Mais je pensais que c'était un cadeau... '' soufflé-je déconcertée. Je ne peux pas le rembourser, je n'ai pas d'argent et je n'ai rien à échanger. Au marché noir, dans la Communauté, on pouvait se procurer n'importe quoi; du moment qu'on avait de quoi payer, ou au moins, quelque chose à échanger. Tout le monde y gagnait à cette échange. D'habitude quand on échange, c'est toujours quelque chose que l'on ne désire plus contre une autre que l'on désire. Dans la Communauté, nous désirions tout et il fallait faire des concessions pour avoir un livre, un film ou un accès à un téléphone. Tout avait prix. Le marché noir ne se faisait pas directement entre deux personnes car c'était trop risqué. Il y avait un chef qui s'occupait des commandes de tous les Croyants et des mules qui faisaient la distribution. Pour ne pas se faire repérer, l'échange se faisait dans le seul endroit où nous étions sûr qu'il n'y aurait personne pour nous surveiller; dans les toilettes des lieux publics, principalement celles du stade où ont lieu les grandes Rédemptions. Plus personne ne va dans les toilettes publiques, sauf pour le trafic. Mais ça, personne ne le sait. C'était un trafic très lucratif, encore plus que celui de la cocaïne ou des armes. En possession d'un livre, j'avais l'impression d'être une criminelle, d'être en possession de cinq kilo de cocaïne ou autres stupéfiants. Et comme toutes criminelles, je devais faire profil bas pour ne pas me trahir moi et toute l'organisation. Maintenant que j'y pense, dit comme ça, cela sonne excitant; être dans une organisation criminelle, comme dans les films ou dans les séries que j'aimais regarder avant que la Communauté ne les interdisent et les jugent '' contraire aux principes du Guide ''. Cette phrase veut tout dire et pourtant elle ne veut rien dire non plus; un peu comme la Communauté en elle-même. C'est un tout et un rien. Je me rappelle de mon premier échange avec le marché noir.


'' Serena....bon sang t'es où ? '' soufflai-je à moi même en regardant autour de moi. Il n'y avait aucune trace de mon amie. Mais je savais qu'elle était là. Personne ne pouvait manquer une Rédemption car celles-ci étaient obligatoires pour tous les Croyants. Tout le quartier était là, assis sur les genoux sur les moelleux coussins qui nous étaient assignés. Assis de cette manière, cela nous donnait une illusion de prier. Pour quoi prions-nous ? Pour le salut de ces pauvres âmes qui allaient finir sur le Pont des Pendus sûrement. Je n'avais plus vu Serena depuis deux semaines et je me doutai bien qu'elle avait fini au Centre de Rééducation à coup sûr. On ne disparaissait pas comme ça subitement; même dans la Communauté. Deux semaines, cela faisait beaucoup trop. J'espérai la trouver parmi les impures, derrière moi. Par mon statut de pure, j'avais le privilège d'être aux premières loges pour la Rédemption; un spectacle que je ne pouvais manquer pour rien au monde. Les Rédemptions étaient pour moi l'occasion de parler à Serena sans que les Anges ne nous séparent à cause de notre statut différent. Faire des Rédemptions des spectacles n'avait qu'un seul but, celui de montrer le sort que la Communauté réservait aux traîtres du Guide. En face de moi, se tenait une immense estrade qui permettait à tous d'admirer le jugement. Au milieu, il y avait un pupitre avec un micro, et sur le côté gauche, trois chaises occupées par les traîtres. Tous portaient un sac sur leur tête qui les rendaient anonymes avec seulement deux petits trous pour respirer et une tenue noire, tous des impurs. Ils ne voyaient pas et semblaient perdus, confus. Il y avait une caméra des deux côtés de la scène pour pouvoir retranscrire la Rédemption en direct sur tous les postes de télévisions de la ville; pour ceux qui ne pouvaient pas assister au spectacle. Je regardai derrière moi toujours à la recherche de mon amie, mais en vain.

'' Que fais-tu ?! C'est de ce côté que ça passe ! '' me souffla un Ange en me bousculant avec le canon de son arme et me désignant ensuite l'estrade.

Je ne répondis pas et reportai alors mon attention sur la pièce de théâtre qui se jouait devant moi. Caméra ? Moteur ? Action ! Les caméras tournaient et le rideau se leva. Une femme tout de blanc vêtue monta les escaliers sur le côté droit et rejoignit le pupitre central. Un silence de mort régnaient dans l'assemblée, elle commença alors :

'' Bonjour à tous et Béni sois le Guide pour cette magnifique journée ! Quelle dommage que celle-ci doit être tachée par la Rédemption de ces trois traîtres... '' Elle pointa du doigt les trois inconnus sur la scène et continua '' Ces femmes et cet homme que vous voyez devant vous ont commis des atrocités contre le Guide. Des actes si horribles qu'ils sont difficiles à entendre. ''

Ils disaient tous la même chose à chaque Rédemptions. C'était toujours des choses horribles à entendre. J'aimerai bien connaître leur crime moi...

'' Comme vous le savez, la punition pour ce genre de crimes, est la peine de mort. '' souffla la Croyante.

Le silence me glaçait le sang. Personne ne réagissait. Étaient-ils d'accord avec cette Rédemption ? Trois Anges montèrent sur l'estrade, l'arme à la main et rejoignirent les traîtres et les firent se lever. Ils allaient mourir dans quelques secondes et mon cœur battait sûrement plus vite que le leur. Je n'aimai pas les Rédemptions. Ces femmes et cet homme ne représentaient rien pour la Communauté, seulement des parasites. Et que faisait-on généralement des parasites ? On les exterminait. Les trois gardes positionnèrent les coupables sur une même ligne horizontale et les espacèrent les uns des autres par deux ou trois mètres pour que les cadavres ne puissent pas s'entrechoquer. La femme au pupitre fit un bref signe de la tête et les Anges tirèrent tous une balle simultanément, si bien qu'on cru entendre une seule détonation. Les corps tombèrent ensemble à l'unisson dans un bruit sourd. Je n'avais pas cligné des yeux une seule fois, j'étais restée impassible devant la mort de ces Croyants. Au moins ils étaient morts debout me disai-je. Tous finirent au Pont des Pendus comme exemple de ce qu'y arrivait à ceux qui dépassèrent les limites. Ils n'étaient que des feuilles de plus accrochées à cet arbre. Des morts anonymes, des oubliés.

Les Anges traînèrent les corps en dehors de l'estrade laissant derrière eux une longue traînée de sang. La foule se leva et hurla en chœur '' Gloire au Guide ! Que la lumière du Guide nous inonde ! '' avant de quitter l'immense espace verdoyant.


Je suivi en silence les pures devant moi sans perdre de vue mon objectif; retrouver Serena. '' Mais merde.... t'es où ? '' crachai-je en inspectant les lieux.

'' Bouh ! '' hurla dans mes oreilles une voix familière.

Je sursautai et me retournai aussitôt. C'était Serena et cette dernière était heureuse d'avoir réussi sa blague. Je lui lança mon poing dans l'épaule '' Putain Serena ! Je te cherchai partout ! Je me suis même fait reprendre par un Ange. "

'' Donne une arme à un mec et il va tout de suite se prendre pour le maître du monde. Si tu veux mon avis, le gros canons qu'ils ont c'est pour compenser ailleurs ! '' s'exclama Serena en me faisant un clin d'œil.

Je voulais rire mais cela aurait alerté les autres alors je me contentai de sourire. Elle avait toujours réussi à me faire rire.

'' Pardon mesdames mais vous ne pouvez pas rester ensemble... '' commença un Ange derrière nous.

Nous nous retournions aussitôt et nous nous échangions des regards rapides. Nous devions trouver une excuse et vite. '' Je me porte garant d'elle. J'ai pensé que si cette impure marchait avec moi, une pure; et bien elle changerait d'avis sur le Guide et verrait en lui l'homme bon qu'il est. '' dis-je pour convaincre l'Ange. Il fronça les sourcils et je lui lançai un sourire pour le persuader. Il resta silencieux un moment avant de nous dire '' Bien... ça va pour cette fois-ci. Béni soit le Guide. '' souffla t-il en commençant à partir. Serena et moi lui répondirent en chœur et en le suivant du regard " Que la lumière du Guide vous inonde. ''

Nous rions et quittons la place, nous marchons ensemble loin des regards des autres Croyants et des Anges :

'' Alors Serena, t'étais où pendant ces deux semaines ? Je t'ai cherché partout et personne n'a voulu me répondre quand je leur demandai de tes nouvelles... '' commençai-je.

'' A ton avis ? J'étais au centre. Ils ont voulu me faire changer d'avis mais ces cons n'y arriveront jamais ! '' répondit Serena avec beaucoup d'assurance.

Je la regardai et relevai un sourcil '' Et qu'as tu encore fait pour t'attirer des ennuis ? "

'' Oh tu sais... quelque chose de contraire.... '' commença t-elle.

'' Contraire aux principes du Guide... '' continuai-je en riant. '' Ouais je connais la chanson. Mais sérieusement Serena t'as fait quoi ? ''

Elle souffla et me répondit '' J'ai critiqué ouvertement notre Seigneur et Maître le Guide.... Et j'ai fini au centre pendant deux semaines. A bouffer de leur satané fin du monde, de leur Communauté et de leur foutu Guide. Putain ils m'ont bien faits chier ces cons ! ''

Serena a toujours était quelqu'un qui ne réfléchissait jamais avant de parler, quelqu'un de plutôt vulgaire, d'authentique.

'' Mais là-bas, '' continua t-elle '' J'ai rencontré quelqu'un qui pourrait rendre notre séjour ici un peu moins ennuyant... ''

Serena disait toujours '' séjour '' et pas '' notre vie '' car pour elle, la Communauté n'était qu'un passage, une mode éphémère. Pour elle, 'était un séjour car elle prévoyait comme elle disait '' de se casser de cette asile de fous. ''

'' Tu connaissais l'existence d'un marché noir ? '' me demanda Serena.

Je fis non de la tête et la laissa continuer '' Eh bien figure toi qu'il y aurait plus d'un Croyant qui l'utiliserait. Quelqu'un dans la Communauté aurait des contacts extérieurs avec qui il peut faire passer de la marchandise clandestinement. Tout ce que ton cœur désire, il peut te le trouver pour un prix disons... raisonnable. Tu veux un livre ? Il l'a ! Tu veux voir le dernier film hollywoodien ? Il l'a aussi ! ''

'' Est ce qu'il peut avoir un téléphone ? Avec de la musique ? '' demandai-je aussitôt. Il y avait longtemps que je n'avais pas écouter de la musique, de la vrai.

Elle acquiesça d'un bref signe de la tête '' T'es intéressée ? ''

'' Putain Serena si tu savais combien je payerais cher pour écouter un bon vieux Hendrix... '' soufflai-je en pensant déjà à toutes les musiques que je pourrais à nouveau écouter. Led Zep, The Doors, Manson...

Serena rit doucement '' Écoute, je peux peut-être t'avoir ça. Mais tu sais, ce marché c'est pas aussi simple. Je vais essayer de contacter Riley, il va mettre en contact avec Kyle et quand Kyle m'aura donné une réponse je te tiendrai au courant pour le lieux de la transaction. Tu devra quelque chose en échange de ce téléphone t'en es consciente ? T'as quelque chose à échanger dont tu ne tiens pas ? '' demanda t-elle.

Je haussai les épaules '' Je sais pas encore. Je trouverai bien. '' Je baissai les yeux sur mon bras et vis le bracelet en or de ma mère. Etais-je prête à échanger le bracelet de ma mère contre un vulgaire téléphone avec une vieille playlist ?


Deux semaines plus tard, Serena avait réussi à rentrer en contact avec son indic et elle me donna l'adresse de la livraison. Je devais rejoindre les toilettes du stade, seule; les instructions étaient très clairs à ce sujet. Alors je m'enfermai dans une des toilettes dont le mur était percée d'un petit trou pour la transaction et attendis que mon dealer arrive. Je ne devais pas voir le visage de mon dealer car si je me faisais prendre, je ne pourrai jamais le dénoncer. J'entendis des bruits de pas cinq minutes plus tard et quelqu'un rentra dans les toilettes d'à côté.

'' Rose c'est ça ? '' murmura la voix d'homme.

'' Oui '' répondis-je simplement en approchant mon visage de l'incision.

Le dealer passa rapidement le téléphone avec des écouteurs dans la fente. Le téléphone était emballé dans un filme plastique et n'était pas récent. Je retirai l'emballage rapidement et l'alluma. '' La playlist, il y a quoi comme morceaux ? " demandai-je avec empressement à mon voisin de toilettes.

'' Écoute et tu verras. J'ai pas beaucoup de temps Rose alors va falloir faire vite. Tu as mon payement ? ''

Je baissai les yeux vers mon bracelet, pris une grande inspiration et me décidai à le céder. '' Il était à ma mère '' dis-je en le passant dans le trou '' Prenez en soin c'est tout ce que je vous demande. ''

'' T'en fais pas ma belle. Bon allez. Je vais sortir et toi tu partiras dix minutes après moi. Comme ça, s'il y a des Anges ils ne pourront pas nous relier l'un à l'autre. ''

Le dealer partit et me laissa avec mon nouveau trésor. J'enfilai les écouteurs dans mes oreilles et laissai défiler la playlist. Les premières notes jouées à la guitare me procurèrent une sensation de bonheur indescriptible. J'étais monté au Septième Ciel '' If I leave here tomorrow? would you still remember me? For I must be traveling on, now. Cause there's too many places I've got to see. But, if I stayed here with you, girl, Things just couldn't be the same. Cause I'm as free as a bird now, And this bird you can not change. And this bird you can not change. And this bird you can not change. Lord knows, I can't change... ''

Je passai ainsi plus de dix minutes à réchauffer mon cœur de douces mélodies envoûtantes. Le temps passait si vite en écoutant de la musique. Je sortis des toilettes en prenant soin de bien cacher ma précieuse drogue.


Mais comme toutes les bonnes choses dans la Communauté, elles ont toutes une fin. Et le marché noir aussi. Je crois avoir participé à cette fin. Mais j'y étais forcée. Je crois qu'on m'a torturé.


Quand je rentrai dans le dortoir, je vis des Anges qui fouillaient mon lit. Je m'incrustai dans le groupe de Croyants qui observaient la scène et demandai à une femme '' Qu'est ce qu'ils font ? ''

Elle ne quitta pas des yeux les Anges et me répondit sans me reconnaître '' Ils fouillent le lit d'une Croyante, je crois que c'est le lit de Rose. Qu'est ce qu'elle a encore fait celle-ci ? ''

Je paniquai aussitôt en prenant conscience qu'ils étaient sûrement à la recherche du téléphone que j'avais acheté au marché noir. Je fouillai les poches de ma robe blanche en espérant que ce dernier s'y trouvait mais il n'y était pas. Je l'avais laissé sous mon oreiller. '' Merde...'' crachai-je en me rendant compte de mon erreur. J'essayai de quitter la foule curieuse et décidai de m'enfuir tout de suite mais à peine réussis-je à m'extirper de la masse que deux bras musclés me prirent par l'épaule et me neutralisèrent. J'essayai de me débattre de toutes mes forces mais les Anges étaient bien plus forts que moi. Ceux qui fouillaient mon lit se rapprochèrent de nous et tandis que l'un dispersé la foule, un autre me mit au nez le téléphone '' Alors comme ça on a décidé de jouer sa rebelle... Tu feras moins la maline quand tu seras au Centre. '' Il me frappa violemment au visage et les deux Anges me retinrent par le bras. Ils me traînèrent ainsi jusqu'à leur camionnette de fonction; le Cortège des Anges comme nous l'appelions. Ils m'enfermèrent dans l'arrière du Cortège avec deux Anges pour me surveiller.

Je sentis ma joue me brûler et se gonfler sous le coup. Un filet de sang perlait sur le côté gauche de ma bouche.


Je crois m'être endormi lors du trajet car je ne me souviens pas ce qu'il se passe entre le moment où je monte à l'arrière de la camionnette et quand j'arrive au Centre. Je crois qu'on m'a drogué. Je crois me souvenir d'une seringue. Peut-être est-ce pour cela que je pense m'être endormie et que mes souvenirs sont brouillés. Dans tous les cas, je me souviens bien de ce que j'ai vécu dans le centre. Je n'avais pris qu'un téléphone, et ne je ne l'avais même pas volé. Je ne pensais pas que le prix était si dur pour avoir acheté clandestinement un téléphone sur le marché noir. Je connaissais des gens qui avaient fait bien pire et qui n'avaient pas étaient torturés comme moi.

'' Pourquoi m'infliger ça ? Ce n'est qu'un téléphone ! ''

On me gifla aussitôt et un Ange me répondit '' C'est contraire aux principes du Guide ! Dîtes nous simplement qui vous a fourni et nous vous relâcherons. Vous seriez une impure pendant deux semaines et reviendrez aussi pure qu'une Sainte. Nous savons qu'il y a tout un réseau derrière tout ça. Nous ne voulons que des noms. Dîtes tout ce que vous savez sur ce marché clandestin. ''

Serena n'aurait rien dit elle. Elle aurait préféré mourir plutôt que de vendre des connaissances. Serena est courageuse; pas moi. Après avoir supportée pendant une semaine la simulation de la noyade, les brûlures à la cire et la privation de sommeil, j'ai tout dit. Ils m'ont drogué à '' La Grâce '' pour atténuer ma douleur et m'ont récompensé de ma participation pour l'amélioration de la Communauté. J'ai eu le droit de voir un médecin qui m'a arrangé du mieux qu'il le pouvait avant de quitter le centre. Il soigna mes nombreux ecchymoses et mes brûlures aux cuisses. Je ne devais pas alerter les autres Croyants sur les pratiques des Anges. Personne ne connaît cette histoire; pas même Serena. Pour moi j'ai été torturé, pour tous les autres, je n'ai subi que des punitions aggravées. On ne dit pas '' torture '' dans la Communauté car celle-ci n'existe pas. Dans la Communauté on ne torture personne mais plus simplement on n'inflige des punitions et châtiments aggravés. La formulation change mais la manière d'agir reste la même. C'est là que l'on peut constater l'importance des mots. Si je disais '' torture '', les gens réagiraient. Ils se révolteraient et plaideraient l'indignation face à la cruauté humaine. Alors que si je disais '' punition aggravée '', la pilule passerait mieux. Tel un magicien je détournerai l'attention de mon public pour effectuer à la perfection mon tour de magie. On ne dit pas non plus '' tuer '' dans la Communauté, mais plus simplement '' trépasser '' ou plus spirituellement '' rejoindre notre seigneur ''. Je crois que le but est d'atténuer les circonstances. '' Tuer '' est un verbe plutôt fort alors que '' rejoindre notre seigneur '' est plutôt raffiné. Oui c'est cela, je crois qu'ils veulent rendre la mort raffinée. Ou bien peut-être pensent-ils ainsi qu'ils ne tuent personne ? Ces morts pendus sur le Pont des Pendus, les traîtres des Rédemptions, les disparus du Centre, mon frère, mes parents... ils n'ont pas été tués. Ils ont trépassaient, ils ont rejoint le Seigneur. Et que Béni soit le foutu Guide pour les avoir éclairés et les avoir conduit dans la vérité de leur vivant. Je les emmerde tous avec leurs conventions et leurs expressions. Disons les choses telles qu'elles sont non ? Appelons un chat, un chat. Serena a été violée, j'ai été torturé et tous les traîtres ont été tués. J'ai tué mon frère. Je ne l'ai pas aidé à rejoindre notre Seigneur. Je l'ai tué de sang-froid, comme une bête sauvage. L'homme est une bête sauvage. Je suis une bête sauvage dans une jungle où la loi du plus fort gagne. Dans la bergerie, le Guide est le berger, celui qui maintient l'ordre parmi les moutons et dirige le troupeau. Il ramène la brebis égarée sur le droit chemin comme on dit souvent. Dans le troupeau, il y a les fervents Croyants, les loups menaçant et effrayant. Heureusement pour les moutons, ils ne sont que très peu. ¨Parmi les moutons, il y a les moutons noirs, ceux qui refusent de suivre le berger. Ils sont rejetés du troupeau la plupart du temps mais ne sont que très peu aussi. Le plus grand nombre, la masse, sont des sages petits moutons qui suivent gentiment, sans se poser de question. Nous sommes tous des moutons et comme tous les moutons, nous suivons. Et nous suivons si bien...



Le rire de Nate me ramène au temps présent '' Je plaisante. Il est à vous. C'est un cadeau. '' dit-il finalement.

Je le remercie à nouveau et nous continuons notre marche en silence. Je commence à oublier la douleur des menottes. Non pas oublier, je me suis habituée à la douleur plutôt.

'' Pourquoi avoir choisi Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll ? Pourquoi ce livre et pas un autre ? '' me demande t-il curieux.

Je lui réponds honnêtement '' Mon père me lisait cette histoire quand j'étais petite avant de m'endormir. En Alice, j'ai l'impression de me retrouver... ''

'' Vous vous sentez perdue dans un monde que vous ne comprenez plus...tout comme elle '' me coupe t-il pour terminer ma phrase.

Il a raison. Alice et moi sommes perdues. Nous sommes toutes les deux tombées dans le trou du lapin et nous avons atterri dans un lieu inconnu. Sauf que le sien est merveilleux; alors que le mieux est affreux.

Il souffle et se décide enfin à poser une question qui semble t-il lui trotte depuis longtemps dans la tête. '' Vous étiez encore dans vos pensées ? Il y a deux minutes à peine ? '' demande t-il.

Que croit-il ?

'' Je pensais qu'on avait un accord. Vous ne deviez plus garder vos pensées pour vous... '' souffle t-il.

Je réplique aussitôt '' Seulement lorsque je suis dans cette salle d'interrogatoire. En dehors je suis libre de garder mes pensées pour moi et moi seule. ''

Il ne perd pas la main et continue sur sa lancée '' Oui, mais vous pensiez à la Communauté je présume ? ''

Comment pourrais-je penser à autre chose ? La Communauté fait partie de moi. Je suis la Communauté. '' Je ne peux penser qu'à ça. Elle m'a marqué à vie. ''

Il ne répond pas cette fois-ci. Je crois qu'il n'a pas compris la signification exacte de ma phrase. Marquée. Je le suis; mentalement c'est certain mais physiquement aussi. Et ça, je crois qu'il ne le comprend pas. Comment le pourrait-il après tout ? Lui qui n'a connu que cette douce ville américaine votant démocrate à chaque élections, n'ayant connu aucune guerre, aucune Communauté. Il ne peut pas imaginer ce que j'ai vécu. Pourquoi l'imaginerait-il ? Personne ne veut penser à l'impensable. Et personne ne peut imaginer l'inimaginable.

Nous arrivons devant la salle. Il ouvre la porte et alors que je m'apprête à y rentrer, il me stoppe par le bras et me force à le regarder dans les yeux. Il y a des yeux très expressifs, marron comme le chocolat. J'espère qu'il a pensé à amener une barre de chocolat. Je crois que j'ai faim à présent.

'' Promettez-moi, '' Il commence '' que vous ne cacherez plus vos pensées sur la Communauté en rentrant dans cette salle. Nous devons tous savoir. C'est important pour l'enquête. Vous comprenez ? ''

Je suis têtue pas idiote pensé-je. Je hoche la tête de haut en bas.

Il continue '' Alors promettez le moi. Vous me devez bien ça; pour le livre... ''

Je déglutis et lui réponds '' La dernière fois que j'ai promis quelque chose, je n'ai pas réussi à tenir ma promesse. Désormais je ne promets plus rien ''

J'ai promis à ma mère de retrouver mon père et Finn, résultat ils sont morts tous les trois. J'ai promis à Serena que les Anges allaient payer pour ce qu'ils lui avaient fait, résultat ils ont eu une promotion par le Guide. J'ai promis à Anna que je l'aiderai à s'enfuir avec son fils, résultat elle est morte et Jack est élevée dans la pure tradition des Croyants. J'ai promis des tas de choses à des tas de gens et à chaque fois, le résultat a été toujours le même; j'ai échoué.

Je rentre dans la salle et m'assoie par habitude à la place qui m'est attitrée. On prend toujours habitude de tout; même de l'improbable. J'ai pris l'habitude dans la Communauté à voir des corps suspendu par le cou sur le Pont des Pendus. J'ai pris l'habitude d'entendre les cloches qui rythmaient mes journées entre messes et Rédemptions. J'ai pris l'habitude de voir des personnes rejoindre le Seigneur devant mes yeux, de côtoyer la peur de la mort. C'était devenu l'ordinaire. Bien sûr l'ordinaire n'arrive pas comme cela. L'ordinaire c'est à quoi vous êtes habituées. Ceci peut ne pas vous paraître ordinaire maintenant mais cela le deviendra après un temps. Le temps est la clé de tout chose dans ce monde. Comment fait-on si l'on perd la notion du temps ?

Nate me retire les menottes et patiente en silence. Mes poignets sont rouges mais la douleur a disparu. Je crois que je m'y suis habituée. La douleur est devenue l'ordinaire.

'' Vous savez ce que vous allez demandé à la fin de la séance ? Un livre encore ? '' demande Nate pour briser le silence.

Je hausse les épaules. Je ne sais pas encore. Il y a tellement de chose que j'aimerais avoir.

'' Oh j'y pense '' souffle t-il en fouillant dans la poche de sa veste. Je relève les yeux vers lui et l'observe. Il s'approche de moi, les mains derrière son dos, comme s'il cachait un cadeau. Je ne crois pas mériter de cadeau pourtant.

'' Dîtes une main. '' dit-il avec un sourire enfantin.

Ai-je l'air d'une enfant qui veut jouer ? Je n'aime pas les devinettes. Mais je ne veux pas le brusquer alors je me prête au jeu. '' La droite '' réponds-je.

Il me présente alors sa main droite, vide. J'ai encore échoué. C'est pour cela que j'aime pas les jeux. Je n'aime pas perdre. Il présente alors sa main gauche dans laquelle se trouve une barre de chocolat. Mon ventre se met alors à crier famine. Comme j'aimerais avoir cette barre de chocolat... Il me la tend et me dit '' J'ai pensé que vous en vouliez encore une. ''

Je la prends et le remercie.

'' Mangez la vite par contre. Avant que l'autre vieux arrive. '' Il me sourit et va s'appuyer contre le mur en face de moi. Je lui souris et mange en vitesse mon petit plaisir. Il me regarde manger. C'est assez dérangeant, mais j'essaye de ne pas y prêter attention.

'' J'ai demandé à des gardiens de déposer une barre de chocolat dans votre cellule chaque jour. Comme ça, à la fin de la journée, vous aurez votre douceur qui vous attend sous votre oreiller. Ça vous plaît ? '' demande t-il sans cesser de me fixer avec ses yeux noisettes.

Pourquoi est-il si gentil avec moi ? Attend-il quelque chose en échange ? Comme au marché noir ? Encore une fois, je n'ai rien à échanger. Je ne possède plus rien.

'' Oui...merci '' réponds-je simplement.

Je continue à manger en silence le fin mets et je repense alors au petit téléphone et au bonheur qu'il m'avait procuré. Je repense aussi à la musique et fredonne un morceau dans ma tête. See my lonely life unfold. I see it everyday. See my lonely mind explode. When I'v gone insane. I wanne get out of here. I wanna, I wanna get out here. I gotta get out of here. [...] And so I am not free. I didn't wanna be. I didn't wanna be.... Cette chanson parle d'un homme enfermé dans un asile pour les fous. Et si j'étais moi aussi enfermée dans un asile au lieu d'une prison ? Après tout, n'entends-je pas des voix ? Ne suis-je pas folle ? Je sais ce que je veux à présent à la fin de la séance. Je crois que je vais demander un téléphone.

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