Chapitre 7 - Digression itinérante

Romain Lbstrd

Archibald Delavigne est un solitaire pétri d'angoisses vivant dans une routine déprimante. Jusqu'au jour où un mystérieux inconnu lui lègue trois pouvoirs sans aucune raison particulière ...

 

 

 

.7.

Digression itinérante

 

 

 

Arch n'avait jamais voyagé. Pour des raisons évidentes qu'il décrivait à ceux qui le demandaient comme financières, mais dont la réalité était en fait bien moins glorieuse : il éprouvait une frousse bleue à la simple vue d'un avion, se sentait mal en présence d'autres personnes et plus largement, sortir de son train-train habituel le rebutait. Tout cela sous la coupe impitoyable de ses angoisses profondes et intangibles. Même le bus qu'il prenait tous les matins ne le rassurait pas toujours complètement. Les symptômes en devenaient rapidement physiologiques : il suait beaucoup, ses mains étaient gelées et ses intestins faisaient entendre leur mécontentement à grands coups de gargouillis qui n'annonçaient rien de bon. Plus jeune, il avait essayé de lutter contre ses angoisses, mais mis à part un énorme trou dans son portefeuille, les séances de psychothérapie avaient fait chou blanc. Il avait donc penché vers la solution de facilité : limiter les déplacements et les interactions. Et boire un peu, pour se donner du courage quand il le fallait. Ça avait plutôt bien marché si on exceptait le fait que maintenant, il buvait beaucoup.

Et il fallait préciser qu'Arch détestait ceux qui voyageaient, autant par jalousie que par réelle rancœur. Il ne haïssait pas grand monde en vérité, il se définissait plutôt altruiste, voire profondément humaniste, mais il ne supportait pas qu'on lui dise ce qui était bon pour lui. Et dans ce domaine ces dernières années, tout avait été mis en œuvre pour démoraliser le sédentaire, celui qui aime son chez soi. Le nomadisme étant la dernière mode, on voyait partout des études stupides fleurir dans les magazines. Voyager rend plus intelligent, voyager rend plus ouvert, voyager vous évite les hémorroïdes… La soi-disant ouverture d'esprit de tous ces voyageurs, qui se retrouvaient soudainement propulsés au niveau ultime de coolitude par les faiseurs de mode, se traduisait bien souvent par une condescendance exacerbée, quand ce n'était carrément pas du mépris envers ceux qui ne possédaient pas la fibre de l'odyssée. Arch se sentait bien chez lui, même si c'était par défaut.

Mais la téléportation changeait la donne à tous les niveaux. Peu importe l'endroit où il se trouverait, il serait capable de revenir dans un lieu rassurant en un seul ordre mental. Et il ne se sentirait jamais coincé, puisqu'il pouvait arrêter le temps afin que les gens se trouvant autour de lui ne constatent aucune disparition soudaine. Il lui suffisait de bien se souvenir de la position qu'il avait avant de partir. Dans son cas, cela constituait une libération de taille. Jamais il n'aurait à affronter l'avion et ses longues files d'attente angoissantes avant l'embarquement. Jamais il ne se retrouverait dans des taxis bloqués par les embouteillages, à prier pour que cela se termine rapidement. Jamais il ne se sentirait oppressé par son environnement. Arch sentit que les possibilités de ce qu'il qualifiait comme sa nouvelle vie étaient infinies.

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