Chapitre 7 : Grève des mots et autres enflures
Catfish Tomei
Consciente de la stérilité d'une grève totale des mots pour communiquer ses propres revendications, le syndicat des mots, afin de faire passer son message, a décidé de recourir au service minimum des mots. C'est la raison pour laquelle le communiqué des mots sera assuré par une grenouille barbue en cycliste rose cooptée par une majorité absolue à la chambre des bas mots dès le premier tour. Confirmée par le conseil des mots doux et le cénacle des grands mots et remèdes, cette éminente représentante des mots mérite tout le respect. C'est en ces termes qu'elle s'exprime :
« Où sont passés les mots justes ? Dans quelle cachot a-t-on mis les mots tabous ? Pourquoi les mots savants ne parlent-ils plus ? Depuis tant d'années les mots subissent une violence qui ne serait acceptée par nul autre. Au service de tous, ils s'emploient au quotidien et gratuitement. Dévoués, ils restent sur le papier, dans la pierre et partout où on les place. Et comment sont-ils récompensés ? Par l'économie du mot, par l'emploi abusif des gros mots et de la gomme qui partout efface ! Et que dire de ces vieux mots en voie d'extinction ?! Et ces « toujour » que l'ont ampute ! Et ces « imaj » que l'on déforme ! Et ces « épactases » que l'on oublie ! Aujourd'hui, je parle pour « le ciel » qui en a marre d'être toujours « gris » ou « bleu », les « étoiles » « brillantes » et les « forêts » « luxuriantes » ! Et ces « maires » qui accouchent en perdant les « zoos ». Et que fait-on pour le mot face à la mondialisation ?! Hé bien on laisse les « weekends » « cools » entrer dans le quotidien et avoir le monopole des petits jours heureux. Il y a toujours plus de mots sans objet et d'objets sans mot car on invente plus rien sinon des répétitions ! Et personne ne dit rien ! Partout, on nous utilise à tort et à travers, on nous corrompt, on nous vide de notre âme ! Et tous ces traîtres mots que l'on ne pend pas ! Et tous ces prétentieux qui veulent toujours le dernier mot ! Qui s'excuse lorsqu'il bute sur un mot ou lorsqu'il nous a sur le bout de la langue ? Qui nous demande pardon de manger ses mots ou de ne pas les mâcher ?! Et tous ces mots-clés perdus dans les trous de souris ! Et tous ces mots valises qui donnent des mariages ratés ! Et ainsi de suite, on pourrait continuer à jouer pendant une éternité car nous, on a pas peur de la page blanche et des torchons en librairie !
Nous acceptions tout ceci, certainement à tort mais volontiers par amour. Mais ici, une limite a été franchie en plus de toutes les escroqueries habituelles ! Regardez les dernières pages : on triche, on ment, on utilise une femme nue pour nous expédier ! Une femme nue ! Comme si ça devenait la télévision ici ! On utilise un petit chapitre pour ce qui devrait faire trois livres au moins ! Vous rendez-vous compte du manque à gagner pour les mots ?! Imaginez-vous, tout le vocabulaire révolutionnaire en morte-saison ! C'est des pages et des pages qui ferment boutique ! Et le champ lexical du débat radical, du procès arbitraire et des condamnations violentes et sévères, laissé en friche ! Et tout le lexique réactionnaire jeté aux oubliettes ! Tout le monde, le jargon du renouveau, les grands et petits vocables de l'avènement, licenciés avant l'heure ! Mais bien sûr, comme chacun voudrait sa place entre les petites lignes, pourquoi pas dans plusieurs phrases, hé bien on se tait. On attend son tour. On se laisse maltraiter pour les miettes qui nous sont laissées. Mais le mot du jour est « non » !
C'est pourquoi nous avons décidé non seulement de clore ce Livre I, mais de ne pas laisser écrire le récit de la Révolution. Par esprit de conciliation et respect du lecteur nous laisserons passer quelques fuites mais pas plus. Et plus question de se cacher derrière des vieux schnocks ou bien des donzelles in naturalibus . Que ce chapitre résonne comme un ultime avertissement ! Prenez soin de nous car nous ne sommes pas des machines, nous se sommes pas des choses ou des bêtes ou des hommes ! Et nous rendrons mot pour mot à ceux qui ont la vulgarité de sauter les lignes ! »
Ainsi a parlé la grenouille barbue en cycliste rose, représentante élue du syndicat des mots.