La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 8 : Les Enfants D'Avila
Lynn Rénier
L'orage s'est enfin calmé, aussi brusquement qu'il a commencé. Et un silence presque trop lourd s'est installé dès lors. Les domestiques n'entendent plus le moindre bruit dans la chambre de Dame Inarah, et l'inquiétude s'accroit. Que se passe-t-il ? Pourquoi le médecin ne vient-il pas les informer ? Même Fidèle est bien silencieux tout à coup.
Sébastien en a presque mangé sa cravate tant il est préoccupé. Joseph fait les cents pas devant la porte au point de creuser un sillon. Anya, quant à elle, se ronge les ongles à s'en faire saigner les doigts. Puis, un pleur leur parvient. Un pleur de nourrisson. L'enfant est en vie ! Mais sa mère l'est-elle aussi ? C'est ce qui les angoisse le plus. La jeune femme-de-chambre s'apprête à saisir la poignée de la porte quand le médecin leur ouvre enfin.
Il les rassure d'un bref sourire. Mais ça n'est pas suffisant pour leur assurer ou non si la maîtresse de maison est en bonne santé. Devant leur mine des plus inquiètes, il prend alors le temps de leur expliquer :
- Madame D'Avila se porte bien. Le bébé est arrivé avec un peu d'avance, mais il est vigoureux. Il doit tenir cela de ses parents. Il devrait survivre. Le père est informé ?
- Monsieur n'est plus, murmure doucement Joseph.
- Veuillez m'excuser, j'avais omis que le Marquis était décédé. Je ne me fais toujours pas à cette tragédie. Je vous présente mes sincères condoléances.
- C'est une vie pour une autre, entendent-ils dire Dame Inarah depuis la chambre.
Anya se précipite à ses côtés.
La Dame a meilleure mine que quelques instants plus tôt. Contre elle, elle serre le chétif bébé qui boit sa première gorgée de lait. Emmitouflé dans un linge chaud et épais, l'enfant est si petit que la jeune femme craint qu'il ne tienne pas les jours qui s'annoncent. Mais le médecin dit qu'il est vigoureux et il semble sûr de lui. Anya lui fait donc confiance. Après tout, c'est son métier. Il sait de quoi il parle. Et le Docteur Fitsh est le médecin de famille depuis aussi longtemps qu'il a commencé à exercer dans la cité. Il sait combien perdre ce bébé serait une tragédie. La famille D'Avila a déjà bien trop souffert de la perte d'êtres chers.
Arrivant depuis l'une des chambres de l'étage, la nièce de Dame Inarah se glisse dans la pièce, son fauteuil roulant poussé par son précepteur. Sarah, âgée de seize ans, est une jeune fille aux magnifiques yeux bleus et aux cheveux qui ondulent en une cascade blonde. Handicapée suite à l'accident qui lui prit autant ses jambes que ses parents, elle est pourtant d'une gaieté constante.
Zacchari Douana, son précepteur, lui a sans aucun doute recommandé d'attendre que sa tante soit reposée, mais Sarah n'a rien voulu entendre. Elle veut voir son cousin tout juste né. Et personne au domaine ne sait lui tenir tête. Non pas qu'elle ait fort caractère ou soit du genre princesse capricieuse à qui l'on cède tout. Au contraire.
Sarah est une enfant calme et douce, avide d'apprendre et de comprendre, qui se satisfait de ce que la vie lui offre et soucieuse des autres, bien plus que d'elle-même. Ce qui explique sans doute qu'elle veuille voir sa tante et son cousin sans attendre, pour s'assurer que tous deux se portent bien.
Après s'être assuré que l'enfant et la mère sont en bonne santé, et après avoir prodigué les premiers soins et examens au bébé, le médecin les laisse à leurs réjouissances. Joseph le raccompagne poliment et lui adresser ses profonds et plus sincères remerciements pour avoir sauvé Dame Inarah et l'enfant. Le Docteur Fitsh lui assure que ce n'est que son devoir et qu'il rendra visite à l'enfant ces jours prochains pour s'assurer que tout va bien pour la mère et le nourrisson.
- La sage-femme passera dès que ce maudit temps le lui permettra, afin de s'assurer que l'enfant est en bonne santé et pour remplir les papiers. Ne restera à votre charge que la déclaration de naissance à la mairie.
- Je m'en chargerais, précise Joseph. Voulez-vous une tasse de thé, Docteur ?
- Ça aurait été avec plaisir, vraiment. Mais je tiens à profiter de l'accalmie pour rentrer chez moi avant que la pluie ne se remette à tomber.
- Je vous appelle une voiture.
- Merci, mon brave.
- C'est la moindre des choses après ce que vous avez fait pour Dame Inarah. Le chauffeur de Madame va vous reconduire chez vous.
Le Docteur Fitsh monté dans la moderne automobile à vapeur de la famille D'Avila, Joseph retourne auprès de la maitresse de maison et du bébé.
Étrangement, ce nouveau-né est comme un rayon de soleil dans la villa. Et comme le beau temps revient après l'orage, il apporte avec lui sourire et bonheur. Voilà des semaines qu'Anya n'avait pas vu Dame Inarah sourire ainsi. Depuis la disparition de Monsieur Josh. Et elle sent son cœur se réchauffer à la seule image de la maitresse de maison ainsi rayonnante.
La jeune femme-de-chambre croit même que rien ne pourrait ternir cette joyeuse humeur. Un seul regret, que Monsieur Josh ne soit pas là pour serrer son fils dans ses bras… Mais Dame Inarah ne voit pas les choses ainsi. Certes, une évidente tristesse habite son regard. Cependant, un espoir vient d'y naitre en même temps que son enfant.
Ses employés tous regroupés autour d'elle attendent avec impatience qu'elle leur dévoile le prénom du bébé. Anya, assise au chevet de la Dame, aperçoit Évelyn s'arrêter dans l'encadrement de la porte sans vraiment oser entrer. Fidèle vient s'asseoir près d'elle et elle caresse distraitement le chien derrière les oreilles.
La jeune femme-de-chambre connait Évelyn pour sa retenue et sa discrétion. Mais qu'elle n'ose entrer dans la pièce la surprend un peu. Pourquoi cette timidité soudaine ? Parfois, Anya a le sentiment que son amie n'est qu'une ombre vigilante dans cette grande maison.
Évelyn a un regard brillant, plein de tendresse mais pas seulement. Comme si elle sait quelque chose qu'elle veut garder secret. La curiosité d'Anya est mise à rude épreuve, mais elle se contient. Elle lui demandera plus tard ce qui lui vaut ce petit sourire au coin des lèvres. Puis, elle voit son amie aux cheveux sombres murmurer quelques mots à Fidèle, qui retourne doucement près de sa maîtresse.
Il glisse son museau sur le bord du lit et pose son regard sur Dame Inarah. Celle-ci lui sourit et lui adresse une caresse tendre.
- Toi aussi tu veux savoir.
- Nous voulons tous savoir, ma tante, corrige Sarah.
La Marquise laisse planer une minute de silence, son regard posé sur l'enfant qui dort contre son sein. Puis, un nouveau sourire illumine son visage.
- Ioan, nous voulions l'appeler Ioan.
- Monsieur Josh et vous ne pouviez mieux choisir pour cet enfant, souligne Joseph.
- Bienvenu parmi nous, Ioan, lui chuchote Sarah avec un sourire que le nourrisson lui rend dans son sommeil.
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© Lynn RÉNIER