La Prophétie du Lion Sorcier - Chapitre 9 : Une Grande Famille

Lynn Rénier

Anya & le Magicien - Tome 1 : La Prophétie du Lion Sorcier

Cela fait quelques jours à peine que le petit Ioan est venu au monde. Et son arrivée au Domaine des Arflors est comme un rayon de soleil. Cet enfant illumine tous ceux qui le croisent. La tristesse qui hantait un peu le cœur des habitants de la petite villa semble alors moins sombre, presque évaporée. Ce n'est pas Anya qui dirait le contraire. Tandis qu'elle nettoie la chambre de la jeune Sarah, elle ne peut s'empêcher de chantonner.

Son esprit est guilleret depuis la naissance du nourrisson. Et tout en faisant le lit, elle a le sourire aux lèvres et l'esprit léger. Elle plie l'épaisse couverture au pied du matelas et tape les coussins pour leur redonner forme. Les rideaux tirés apportent une incroyable clarté à la pièce, dont on ne peut que constater l'ordre et la propreté.

Sarah est une adolescente ordonnée, ce qui soulage la jeune femme-de-chambre de devoir ranger. Les livres sont classés sur les étagères, les vêtements pendus dans la penderie, la coiffeuse toujours impeccable et propre. Pas de jupon qui traîne, pas de cahier oublié dans un coin, de stylo qui roule sur le sol. La nièce de Dame Inarah prend même le soin de rabattre les draps en bas du lit quand elle se lève.

Anya adore cette jeune fille, pétillante et pleine de joie de vivre, alors qu'elle a vécu un véritable drame. Son handicap, elle semble parfois ne plus en avoir conscience, ne plus y prêter attention. Son fauteuil n'est plus un obstacle, depuis bien longtemps maintenant. Et son précepteur a bien du mal à la faire tenir en place. Il lui arrive même parfois de venir tenir compagnie aux employés dans leurs tâches quotidiennes.

Le soir, Anya et Sarah passent de longues heures à discuter, la jeune femme brossant l'épaisse chevelure blonde de l'adolescente. Cette dernière préfère souvent l'appeler sa demoiselle de compagnie, plutôt que sa femme-de-chambre. Une simple appellation qui touche pourtant beaucoup Anya.

En réalité, au Domaine des Arflors, il n'y a pas vraiment de maître et de domestique. C'est plutôt ami et famille. Du moins, c'est le sentiment général. Anya ne se sent pas employée d'une grande maison, mais plutôt membre de cette grande famille dans laquelle chacun joue son rôle et effectue sa tâche.

Elle a toujours vu Dame Inarah mettre la main à la pâte, que ce soit en cuisine, dans le jardin ou pour les affaires de son défunt époux. Monsieur Josh était comme elle, toujours à participer aux diverses tâches du domaine malgré son rang de Marquis.

Un sourire étire ses lèvres tandis qu'elle ramasse le petit panier de linge sale posé près de la porte. Oui, ici, elle se sent bien. Pourquoi voudrait-elle partir ? Évelyn, Sarah, Sébastien et les autres lui manqueraient bien trop. Elle le sait. Elle s'est tellement attachée à tout ce petit monde qu'elle aurait bien du mal à tous les quitter pour chercher du travail ailleurs.

 

Jetant un dernier coup d'œil à la chambre pour vérifier qu'elle n'a rien oublié, elle ferme doucement la porte derrière elle. Puis, descendant les escaliers, elle prend le chemin de la laverie. Trottinant dans le couloir, Anya se surprend à fredonner. Elle croise Joseph qui la salue d'un air amusé. Passant devant le salon, elle aperçoit Dame Inarah bercer Ioan et entend Sarah jouer du piano sous les leçons de Zacchari.

Se laissant guider par les odeurs de la laverie, elle retrouve Évelyn en pleine lessive. Sa tresse noire posée sur son épaule gauche et les manches remontées jusqu'aux coudes, la jeune femme brune est au milieu des bulles de savon et d'un entêtant parfum de propreté et de jasmin. Anya pose son panier et l'observe en silence.

Elle se demande parfois comment son amie parvient à laver tout ce linge dans les temps, à elle toute seule. Les vêtements et milles jupons ne sont pas le plus compliqués à nettoyer à la main, ce sont plutôt les draps et autres linges de ce type qui doivent être difficiles à laver dans une simple bassine.

Celui qui mettra au point une machine capable de nettoyer tout ce linge tout seul, de l'essoré et de le rendre propre sans que personne ne doive s'en charger, fera certainement fortune. Et de voir son amie à sa fastidieuse tâche, Anya est persuadée qu'un tel engin ferait gagner du temps à toutes les ménagères. Et éviterait qu'elles ne s'épuisent.

Évelyn remarque enfin sa présence. Elle essuie son front perlé de sueur d'un revers de manche avant de lui adresser un sourire qu'Anya lui rend.

- Je m'excuse, je t'amène encore du travail.

- Du moment que tu ne t'amuses pas à changer les draps tous les jours, je ne t'en veux pas.

- Ce n'est que du petit linge, lui assure la jeune femme-de-chambre.

- Merci. Je m'en occupe dès que j'ai étendu ma bassine.

- Tu sais que ce n'est pas urgent. Prends le temps de finir ce que tu es en train de faire. Mademoiselle Sarah ne t'en voudra pas si tu ne t'occupes pas de sa lessive aujourd'hui.

- Elle ne court pas après ses affaires.

- Oh non, sourit Anya. Pas le moins du monde, même. Sa penderie est assez pleine pour qu'elle ait de quoi changer de tenue tous les jours pendant deux semaines sans attendre après son linge à laver.

Évelyn lui rend son rictus, et s'en retourne à sa bassine.

- As-tu besoin d'un coup de main ? lui propose alors la jeune femme-de-chambre.

- Ça devrait aller. Je te remercie. Files donc profiter de ta journée.

Mais la lavandière sait que son amie reste là, à l'observer.

- Allez, lui dit-elle alors avec amusement. Sors de ma laverie. Il y a un nouveau-né qui t'attend.

Anya ne peut lui donner tort. Dame Inarah a repris les affaires de son mari depuis la naissance de son fils, et il faut quelqu'un pour s'occuper du bébé. Le jeune femme-de-chambre s'est trouvée toute désignée pour cette tâche.

Seulement, de voir la pile de linge qu'Évelyn doit encore laver l'attriste. Elle aurait aimé pouvoir profiter de cette journée avec elle et s'occuper du petit Ioan en sa compagnie. La lavandière est si bienveillante et attentive en présence du bébé qu'Anya se sent plus rassurée. Elle n'est pas des plus à l'aise avec un nourrisson alors qu'Évelyn lui donne le sentiment de s'être déjà occupé d'enfants si jeunes. À croire parfois qu'elle a déjà été mère.

Pourtant, la jeune femme aux cheveux sombres parvient à la convaincre qu'elle saura se débrouiller seule et Anya s'en retourne malgré elle vers le salon où les rires d'Ioan résonnent. Sarah a une fois encore fait faux bond à son professeur pour aller dorloter son cousin. Ce pauvre Zacchari ne sait plus comment tenir l'adolescente et abdique le plus souvent devant ses vagabondages lors des leçons. Après tout c'est une jeune fille intelligente et lucide, il n'est pas nécessaire de l'abrutir à trop étudier.

Une marionnette à la main, la nièce de Dame Inarah amuse le nourrisson. Son rire est clair, presque contagieux. Anya ne peut s'empêcher d'esquisser un sourire.

- Ah, Anya, tu arrives à point nommé, lui lance Sarah. Ma tante a été appelée pour une affaire en ville et Ioan n'a pas eu son biberon de onze heures.

- Je m'en vais le demander à Béatrice.

Et la jeune femme-de-chambre s'exécute, prenant le chemin des cuisines.

Béatrice est affairée à la préparation du repas de midi. Alors, Anya se charge aussitôt de la préparation du biberon. Elle ne veut pas faire attendre le petit prince de la maison. L'entendre pleurer est insupportable pour tout le monde. Il est une lumineuse étincelle de joie pour cette maison, et il serait malheureux qu'elle s'éteigne.

 

Repu, l'enfant finit par s'endormir dans le creux des bras d'Anya. La jeune femme ne s'est jamais senti l'âme très maternelle, mais devant cette adorable bouille d'ange, elle se sent fondre. Ioan est si calme, un bébé si paisible. On l'entend si rarement pleurer. L'image négative qu'elle avait des enfants s'effondre en un instant face à ce petit être qui somnole contre elle.

Pas qu'elle se voit déjà mère, oh ça non. Elle est bien trop jeune. Et puis, un bébé, ça ne se conçoit pas toute seule. Il faut un partenaire pour cela. Un mari. Et elle ne voit pas l'ombre d'un prétendant à l'horizon pour l'instant. Son travail chez la Marquise est bien trop important, bien trop précieux. Elle aura tout le temps pour ça plus tard, elle le sait.

Être une petite nourrice pour Ioan lui suffit amplement. Elle peut profiter de le bercer et de jouer avec lui. C'est un enfant déjà très éveillé pour son si jeune âge. Son regard est attentif, il sourit toujours. Son prénom lui va comme un gant. Et Anya ne peut qu'adorer le fils de Dame Inarah. Il est si attachant.

Elle comprend l'engouement de la jeune Sarah. Ioan est un peu ce petit frère qu'elle n'a pas eu. Et pour Anya, c'est sans doute un peu la même chose. Sa sœur Cléo n'a jamais été très proche d'elle. Elles s'entendent bien, mais guère d'avantage. Leur père dit souvent qu'elles sont très différentes de caractère et d'aspiration, malgré leur incroyable ressemblance physique.

Alors ce petit garçon souriant est un peu ce petit frère qu'elle n'a jamais eu, elle non plus. Et avec Mademoiselle Sarah, elles sont comme deux grandes sœurs attentionnées. Depuis qu'Ioan est né, il ne se passe pas une journée sans qu'elles s'occupent de lui, sans qu'elles viennent le voir, sans qu'elles l'éveillent avec marionnettes et autres jeux.

Anya doit bien avouer que depuis qu'il est là, les journées sont bien moins monotones, bien moins tristes aussi. Car depuis la disparition de Monsieur Josh, la villa est emplie de mélancolie et de chagrin silencieux. Ioan égaille tout ça un peu plus chaque jour. Et ce n'est pour déplaire, à personne au Domaine des Arflors, bien au contraire.

Que ce soit Joseph, Sébastien, Béatrice, Ophélie, Taho, ou même Cidji, tous sont ravis de sa présence. Le jardinier a hâte de le voir gambader dans les allées fleuris. En cuisine, le chef et sa commis s'impatiente de pouvoir lui préparer des petits plats qui le raviront. Le majordome est à ses petits soins depuis son arrivée. Et Évelyn prend un soin tout particulier quand il s'agit du linge d'Ioan.

Personne n'ose le dire, mais ce petit a tout de son père. Ce regard bleu et profond. Ce sourire franc. Ces cheveux bruns et épais. Quelque part, c'est un peu comme si le Marquis était rentré chez lui. Son fils l'incarne, et avec le temps, Anya est persuadée qu'il lui ressemblera plus encore, la grâce et la douceur de sa mère en plus.


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© Lynn RÉNIER
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