Chargé d'Ombres

le-baron

Chapitre 1

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Je venais de découvrir cet endroit, attiré sans doute par ses effluves, oh combien alléchantes.

Mélange d’odeurs rances de poissons, de sueurs anciennes collant aux aisselles des dockers, de parfums de piètre qualité déversés au litre sur le corps de ces vieilles putes vérolées afin de masquer les relents de foutre oublié aux commissures de leurs lèvres par des marins déchargeant, lors de leurs trop rares escales, le trop plein d’images de sirènes les attirant de leurs atours tant espérés, jamais rencontrés.

Ha, ces ports, lieux ouverts sur l’immensité des océans et pourtant microcosme clos à tout étranger de ce monde particulier.

Ici, coulait, à flot, le mauvais alcool servit au cours de repas pantagruéliques fait de tonne de pommes de terre et de lards cuit au saindoux.

Les bars ne sont accessibles qu’aux gros bras et aux filles faciles.

Les bagarres quotidiennes mais toujours vécues dans la bonne humeur et oubliées aussitôt le premier verre de réconciliation.

Ici, pas de rancœurs, pas d’hypocrisie.

Des vies simples faites de plaisirs basiques.

Ici on ne faisait pas la fine bouche.

Qu’allais-je y découvrir ?

Oui, qu’allais-je y découvrir ?

Avant de pousser la porte du premier bouge rencontré, une multitude de souvenirs m’assaillent.

Ce temps bénit, où Sir Titram, capitaine de piraterie et Le Baron, son second, nous menaient de mers en mers, d’iles en iles, de ports en ports, de femmes en femmes.

Qui d’autre qu’un marin de flibuste pouvait comprendre la valeur de ces escales ?

Lorsque quatre mois durant, nous ne touchions terre, nous nourrissant de viandes outrageusement salées afin de ralentir son pourrissement.

Cette viande au goût de mer qui engendrait une soif perpétuellement inassouvie par le peu d’eau croupie et rationnée qu’il nous était donné de boire.

Ce parfait antagonisme entre la rareté de l’eau douce et l’infinité des flots qui nous entourait.

Souvenirs de tempête également, de celles dont l’angoisse qu’elles vous procurent vous font oublier qu’une frontière existe entre la vie et la mort.

Tempête de nuit, où les astres ont définitivement disparus derrière d’impénétrables nuages, où la notion même de lumière n’existe plus.

Lorsque la houle empêche d’allumer toutes lampes par crainte de bouter le feu au navire, lorsque seuls les cris de vos frères vous parviennent au milieu du déchainement des éléments, lorsqu’il vous faut dans ces instants tirer le hauban, baisser le grand foc, fermer les écoutilles, lorsque enfin, votre esprit chavire, votre raison se perd.

Tempête de jour, affront permanent à vos yeux que l’immensité des vagues, lorsque au creux de celles-ci, les lames qui vous entourent dépassent la hauteur du grand mat, semblant vous plonger dans la gorge d’un monstre gigantesque dont jamais vous ne ressortirez.

Ces vagues si hautes qu’un instant elles vous plongent dans l’obscurité, porte ouverte vers l’antre des enfers.

Cet enfer où vous ne pouvez même plus vouer votre âme au diable, celui-ci ayant fuit vers des cieux plus cléments.

Puis s’en suit le calme plat.

La mer lisse comme une lame de rasoir.

Les voiles tombant lamentablement tels des linceuls recouvrant vos lambeaux d’âmes.

Les longues semaines à récurer les cales et les ponts afin de ne pas sombrer dans la folie qu’engendre l’oisiveté dans ces espaces infinis.

Ces jours où l’on maudit sa génitrice d’avoir procréer les bâtards que nous sommes.

Ces jours où l’on se jure de plus reprendre la mer… avant la prochaine fois.

Puis enfin, les escales, oui les escales tant attendues et l’oubli.

L’oubli dans les bras d’une grosse, dans le goulot d’une bouteille…

Pourquoi cette auberge plutôt qu’une autre ?

Bien sur, elle semblait sordide à souhait.

Mais laquelle ne l’était pas en ce lieu ?

Un reste d’enseigne branlant à l’unique chaine qui l’empêchait de finir son office aux pieds des latrines ouvertes qui bordaient le bistrot.

En fait de latrines, une simple rigole accueillant tant les vomissures des marins atteint du mal de terre, l’urine fétide dégorgée de panses suintantes de sueurs, les pleurs, et oui les pleurs, de ces gaillards exhortant leurs angoisses refoulées dans un amour perdu pour une belle dont ils ont déjà oubliés le nom.

La pancarte virevoltant au gré de la brise indique « au bateau ivre ».

Ce nom évoquant bien quelque chose dans une de mes nombreuses mémoires. Sans doute une autre vie. Qu’importe.

Je chevauche un ou deux cadavres de matelots ivre morts gisant devant la porte et pénètre les lieux.

A nouveau ces odeurs qui m’envahissent.

Mélange épicé de sang, de sueurs, d’excréments, d’alcool et de vieux tabacs dont une grande partie se chique avant d’être recraché à même le sol dans un agglomérat noirâtre de baves et de plantes mâchées.

Les odeurs assimilées, vient la vue.

Ha, quel délice que cette foire aux monstres.

Ces gueules de jeunes mousses taillés aux couteaux, ces traits gravés dans leurs visages racontant tant d’histoires extraordinaires.

Ces corps fait de muscles et de privation décorés de dizaine de tatouages, aussi inesthétiques les uns que les autres.

Et les femmes, multiples invitations aux plaisirs de la chair que ces drôlesses adipeuses dont les énormes cuisses vous engouffrent des frégates entières et dont les bouches édentées vous en avalent toute la cargaison.

Ces seins lourds et pendants auréolés de multiples veines bleuâtres tranchant violemment sur leur peau blafarde mais palpitant sur des cœurs d’or.

Le bonheur m’envahissait.

Comme je les aimais.

Comme je les chérissais.

Ceux que l’on nommait la lie de la société, ceux qui n’avaient en eux la moindre once de méchanceté, ceux dont la simplicité en faisait des anges.

Je me dirige vers le bar, sourire aux lèvres.

Etonnement !!!

Une créature pendue au bar semblant vouloir étancher dans l’alcool ses manières de petite bourgeoise.

Oh, sa tenue ne dénotait en rien avec l’endroit, bien que l’état de propreté qui s’en dégageait indiquait bien que cette garce n’était pas du cru mais sa peau trop lisse, nacrée de surcroit, ses seins trop fermes et surtout ce regard hautain de celles qui croient souffrir et estiment pouvoir se permettre de vendre leur âme au diable dans ces bas fonds.

Un soupçon de haine m’envahit.

« Tavernier, une bière vite.

Que chasse de mon esprit cette ombre à mon tableau »

La tenancière me présente deux chopines en lieu et place de celle demandée.

Un instant j’ai bien cru qu’il s’agissait d’un homme tant sa pilosité lui rendait les traits masculin.

Un clin d’œil de celle-ci.

Elle m’indique l’arrivée d’une nouvelle bourgeoise comme si elle avait devinée que j’aurais pu en faire une proie de choix pour réchauffer à bon prix les maigres paillasses proposées par l’endroit.

Bien sur, elle ne peut savoir que la seule envie qui m’étreint serait de leurs planter mon poignard au fond des tripes et de les laisser souffrir à mes pieds pour qu’enfin leurs regards implorants ai une signification, pour qu’un court instant elles comprennent ce que souffrir signifie.

Une odeur de poudre détourne mon attention de ces vipères.

A mes côtés un canonnier.

Ceux-là, je les repère à dix lieues.

Leur odeur est caractéristique.

Il m’avait bien semblé apercevoir un vaisseau de guerre à l’entrée du port.

Mon admiration était sans borne pour cette race de marins.

Telles des fourmis aveugles, ils obéissaient lorsque, au plus chaud de la bataille, ils ne savaient rien de ce qui se passait au dessus de leurs têtes.

Lorsque l’abordage se faisait, les canons ennemis étaient si proche qu’ils pouvaient en distinguer le boulet qui bientôt serait vomit en leur direction.

Jamais avant l’ordre d’arrêter le feu, ils ne pouvaient connaître l’issue du combat.

A chaque rencontre avec un bateau ennemi, une partie de roulette russe où, qu’ils soient vainqueurs ou vaincus, nombre d’entre eux iraient nourrir les fonds marins.

Inutile de parler à celui-là.

D’avoir trop côtoyé la mort au sein de vacarmes évoquant la fin du monde, son esprit s’était éteint, seule son enveloppe subsistait.

Demain, il reprendrait les flots sans même savoir pour quelle cause il allait mourir.

La vue et l’odorat satisfaits de tant de délices, un troisième sens se met en éveil.

Lentement, je distincte les voix dans ce brouhaha de rires et de rixes.

Une table, au fond, à gauche.

La tonalité d’un Bosco, elle aussi reconnaissable entre mille.

A terre comme sur mer, sa voix perce, sa parole s’écoute et ne se discute pas.

Maître à bord, il le reste loin des flots.

A ces pieds cela roucoule.

Deux biches en manque de rêves écoutent le ténor narrer ses aventures édulcorées.

Leurs bouches grandes ouvertes, leurs corps en pamoison.

Laquelle finira la nuit soumise à ses ordres d’un tout autre type ?

Laquelle sentira sur son corps déjà meurtrit, les coups de ceinturons qui font oublier au bosco son impuissance.

Pauvre bosco, à vouloir tellement paraître il a retourné sa haine de soi sur ses pauvres matelots et ces naïves donzelles.

...

Un bruit sourd à ma droite.

Une bouteille sur le bar.

La catin se manifeste.

Elle feint de m’ignorer et cela à raison.

Je ne suis rien pour elle et cela me convient.

Si elle est dans ce bar, c’est que comme toutes les autres de son monde, l’ennui la poursuit.

Ici deux sortes de femmes.

Celles qui sont nées putes, celles dont les ascendantes n’ont pas parcourus plus de deux lieux autours de ce port, celles qui survivent du bonheur offert aux marins contre quelques piécettes, celles qui n’ont pas de passé et dont l’avenir est déjà éteint.

Celles là, si belles derrière leurs crasses, si intelligentes derrière leurs jugeotes simplistes mais toujours exactes, si douces que leurs cicatrices laissées par quelques rares marins réellement violents n’entachent en rien leur ardeur au travail.

Celles la qui sont de ma race, qui ne sont rien, qui ne possèdent rien, celles la dont les autres se moquent.

Oui, les autres, ces rares catins dans leurs âmes, celles qui intellectualisent, celles qui pensent, celles éternellement insatisfaites de tout avoir, celles qui croient tout savoir, celles qui ont toujours raison, celles qui vous toisent de leurs regards arrogants, qui vous pissent au visage, celles qui n’offrent rien d’elles, qui jamais ne s’abandonnent mais prêtent des parcelles de leurs corps en vous faisant comprendre qu’elles vous font là un honneur immense, celles dont les motivations sont aussi tortueuses que leurs esprits malsains.

Dieu, que la haine me reprend.

Il faut que j’oublie, que je pense à autre chose, je n’étais pas là pour ça.

Mon esprit vagabonde.

Il en oublie ces créatures qui côtoient l’univers que je désire me réserver.

Je poursuis mon observation des lieux ne m’arrêtant que sur ceux dont l’histoire se termine bientôt et dont je découvre dans les traits les rêves et cauchemars qui les habitent.

avachit contre le mur, un guetteur.

Ceux là, on ne peut ni les plaindre ni les envier et encore moins les comprendre.

Sans doute un des métiers les plus durs de la mer uniquement accessible à ceux dont la folie les a déjà quittés transformant leurs êtres en de sombres spectres aux aguets.

Ceux là, dont le visage brulé par le soleil, rongé par le vent et les sels marins, crevassé par le gel, pourri par la pluie, conserve des yeux à l’acuité sans pareil.

Perpétuellement seul dans leur nacelle, des fourmis chantantes à leurs pieds, scrutant l’horizon sans relâche.

Eux seuls peuvent distinguer à des miles la voile naissante d’un navire ennemi de la houle des vagues.

Eux seuls peuvent percevoir l’ile tant convoitée de l’ombre sans forme des horizons lointains.

Leurs songes en proie à mille tourments torturent sans cesse leurs esprits jamais au repos.

Seule la mort peut leur apporter le repos.

Pour celui-ci, son heure est proche.

Chapitre 2

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Il y a si longtemps que je le connais.

Un premier croissant de lune montante et je sais que c’est son heure.

Pour quelles raisons en est-il ainsi ?

Certaines questions ne se posent pas.

Les évidences s’imposent d’elles mêmes.

Le rationnel est ailleurs en ce monde gouverné par des forces invisibles.

Ce soir, il est Ombre.

La Lumière l’a quitté et ne reviendra que ses méfaits commit.

A ses yeux pourtant pas de mal.

Il épargne ceux qu’il hait car il sait ne pouvoir agir sous le travers de l’émotion.

Son choix se porte sur un guetteur, une race de marins que la vie a quittés depuis leurs berceaux.

Ceux-là sont nés pour ce métier. Il ne peut en être autrement.

Celui-ci mourra ce soir. Il ne peut en être autrement.

Je pourrais l’en empêcher.

Cela serait si facile pour moi.

Il suffirait qu’il m’aperçoive pour que la lumière le baigne.

Il suffirait d’un regard.

Cependant je reste tapi dans l’obscurité d’une chambre d’étage et je l’observe au travers d’une fente de ces fines cloisons censées préserver un semblant d’intimité en ces lieux.

Chacun de nous porte sa forme de survie.

En moi aucun jugement.

Il me faut juste le protéger.

Il me faut juste me protéger.

chapitre 3

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Je m’approche de la table la plus proche de l’endroit où se trouve, debout, le guetteur.

Deux marins y sont attablés, à moitié endormis par le trop plein d’alcool.

Entre eux, au milieu de la table qui les sépare, je dépose mon pendentif que j’ai lentement fait glisser le long de mon torse.

Les marins regardent celui-ci étonné.

Au centre du médaillon, une mandragore stylisée, couleur émeraude sur un fond noir.

Leur regard s’emplit de terreur.

Ceux-là on comprit.

Ils quittent précipitamment la table.

Je m’y installe face au guetteur.

D’un revers de la main, j’appelle celle qui fait office de serveuse et je commande deux chopines.

J’invite le guetteur à me rejoindre.

Celui-ci hésite un instant.

Pourquoi viendrait-il vers moi ?

Il a assisté à la scène avec les deux marins.

Rien ne lui échappe. C’est son métier, son naturel.

Il est curieux.

Il ne résiste pas longtemps et s’assoit silencieusement face à moi.

Ma main qui recouvrait le pendentif s’en éloigne, le dévoilant à ses yeux.

Lui aussi sait ce qu’il signifie.

Il fait mine de se relever.

Ma main se pose fermement sur la sienne.

Le froid l’envahit.

La terreur le submerge.

La folie le paralyse.

Chapitre 4

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Je l’observe.

Sais t’il que je suis là ?

Je l’observe.

Toujours le même rituel.

Il l’observe.

Il sait qu’il va mourir.

Le froid l’envahit.

Des gouttes de sueur glacée coulent le long de son front.

Il sait qu’il va mourir.

Il ne résiste pas.

Comment le pourrait-il d’ailleurs ?

Je sais qu’il va mourir.

Je pourrais l’en empêcher.

Toujours le même rituel.

Toujours le même dégout.

Je pourrais l’en empêcher.

Toujours le même rituel.

Je ne ferai rien.

Je dois le protéger.

Je dois nous protéger.

Je dois me protéger.

Je l’observe.

Il sait qu’il va mourir.

Toujours le même rituel…

Chapitre 5

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Ces yeux deviennent vitreux.

Son regard se trouble.

Les larmes remontent de son ventre, débordent de ses paupières, nettoient ses joues crevassées.

Son corps tremble de toutes ses douleurs refoulées.

Il voudrait crier, implorer ma pitié, me vendre son âme.

Mais d’âme il n’en a plus.

Il est mort né. Il est né mort.

Rien qu’une question de temps.

Le temps de souffrir.

Je savoure ce moment où le temps s’arrête, où les derniers instants que je lui octrois, ne lui sont que tortures sans nom.

Ma main ne le lâche pas… pas encore !

Je lui laisse le loisir de regretter.

Les pires des regrets.

Ceux des instants qu’il n’aurait pas dut vivre, qu’il n’a pu empêcher, qui ont fait de lui un spectre aux mille tourments.

Je peux entendre les battements de son cœur, prêt à rompre.

Lentement je relâche sa main.

D’un sourire, je l’invite à me suivre et me dirige vers l’extérieur.

Chapitre 6

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Tout deux se lèvent et se dirigent vers la sortie.

L’Ombre se tient fier sous sa cape.

Il connaît par cœur le déroulement futur des événements, au détail prêt.

Les lieux toujours différents, quelques variantes au modus operanti, des êtres divers issus de maints horizons mais toujours une fin identique.

Je suis le seul qui pourrait y changer quelque chose.

L’ombre le sait et cela le fait sourire.

Je sais qu’il devine que je ne suis pas loin.

Il sent que je l’observe et s’en délecte.

Il connaît mon pouvoir autant que mes faiblesses.

Le guetteur, lui, n’est qu’un pion sur l’échiquier, un faire valoir, une vie sans importance.

Il n’est que l’objet d’un jeu dont il ne peut sortir vainqueur.

Est-ce bien un jeu par ailleurs où ne sommes nous pas tout deux l’objet de forces qui nous dépassent ?

Ces jambes le lâchent à plusieurs reprises.

Il trébuche sur un de ses congénères qui le regarde d’une étrange manière.

Sans doute l’abus d’alcool se dit-il.

En ces lieux, on ne se pose pas beaucoup de questions.

Chacun est maitre de son destin.

Le guetteur ne l’est plus mais lui seul le sait.

D’ailleurs l’a-t-il seulement été un jour ?

Telle une marionnette, il suit l’ombre et s’engouffre dans la nuit extérieure.

Je me lève et me dirige vers la petite lucarne de ma chambre.

La nuit est fraiche, quelque peu ténébreuse au sein de ces halots de lumières blafardes que distillent les quelques lampions ornant l’établissement.

De mon promontoire, je les distingue nettement tous les deux, face à face, tels deux duellistes prêt pour un combat, oh combien inégal.

Chapitre 7

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Qui de nous deux est le spectre de l’autre.

Ce pantin, ce jouet, qui me suit, soumis à une crainte irrationnelle, balloté par le doute, torturé par ses faiblesses, rongés par ses regrets dont les forces sont annihilées par la seule certitude de sa mise à mort prochaine ?

Est-ce moi, fruit de la démence, sombre création d’une ambivalence où le plaisir est absent, les victimes sont ternes, la haine omniprésente ?

Qu’importe !

Il en est ainsi

Il ne peut en être qu’ainsi.

Je sens qu’il me regarde du haut de cette fenêtre.

Il sait que je le sens, que je le ressens.

Serait-ce là mon unique contentement ?

Ce soir il ne fera rien.

Ni ce soir ni les autres soirs.

Il en faudrait pourtant peu pour que tout cela change.

Il n’en sera rien.

Pas ce soir.

Ni un autre soir.

Le guetteur me regarde, les yeux écarquillés et injectés de sang.

Mon regard le pénètre.

Les premières larmes coulent, noires…

Une dernière once de désespoir et sa vision disparaît sous les coulées de sang qui coulent lentement de ses narines, sous ses paupières, le long de ses tempes.

Autant de petits ruisseaux se rejoignant bientôt pour couler le long de sa gorge en un majestueux fleuve flamboyant.

La vie l’a déjà quitté. Son corps ne s’en rend compte qu’avec retard.

Les jambes cèdent, le tronc se ploie, le crane s’incline en une dernière révérence et il s’écroule à mes pieds.

Je ne pose même pas un regard sur cet être dont je n’ai rien à faire.

Mes yeux le toisent, lui !!! là haut.

Je ne le vois mais je devine son rictus crispé.

Chapitre 8

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Il est des espaces interdits que l’on ne devrait traverser.

Certaines portes ne devraient être franchies.

Les frontières de l’âme sont fragiles et la folie guette à chaque détour.

Y a-t-il une possibilité de retour en arrière ?

J’en doute de plus en plus.

Je le vois qui me scrute.

Croit-il m’impressionner ?

S’imagine-t-il un seul instant qu’il échappe à ma volonté ?

Ose-t-il se percevoir hors de mon pouvoir ?

Pense-t-il m’impressionner par son lot de victimes innocentes ?

Qu’ai-je à faire de corps décharné, vautré dans ces latrines d’où il n’aurait jamais dut sortir ?

Qu’ai-je à faire faire de cette âme vide de désespoir dont personne ne pleurera l’absence ?

Non, il ne me fera pas porter le poids de ces charniers.

Il ne fera pas de moi le coupable du destin de ces malheureux.

Ils étaient faibles, ils n’avaient pas choisis la vie.

Je me moque d’eux, oui je me moque.

Je me moque d’eux.

Je me…

Chapitre 9

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Je retourne dans le bouge où rien n’a changé.

Personne n’a perçu le drame qui venait de se commettre.

Est-ce un drame par ailleurs ?

La vie n’est qu’un passage. La porte de sortie les attend tous.

Les deux bourgeoises sont toujours affalées sur le comptoir.

Elles rient toutes deux à gorges déployées. L’alcool commence à les entrainer dans les excès qu’elles sont venues chercher en ce lieu.

Leurs parfums outranciers ne cachent en rien la puanteur de leur âme ni leur stupidité.

Un sourire se dessine sur mon visage.

S’il croit que cela en est terminé pour cette nuit, il se trompe ?

S’il croit que je lui laisserai un répit, il se pourvoit.

Je m’insère entre ces deux hontes envers l’éternel féminin.

« Oh là, étranger pour qui te prends tu ? » hoquète une de ces deux oies.

Je la regarde, la renifle, pénètre son regard.

« Vous ne serez pas trop de deux »

La blonde est tellement offusquée que les mots restent au fond de sa gorge, lieu de dépôt du foutre de tous les noblions qu’elle côtoie.

La brunette prend part à la discussion.

« Pas trop de deux ? Monsieur se prend donc pour un Apollon ! Nous ne ferions qu’une bouchée de toi »

Je ne réponds pas. Seul mon sourire s’adresse à elle.

Puis je m’en désintéresse, m’adresse à la tavernière et commande une nouvelle bière.

La grosse accourt avec un plaisir manifeste.

Elle a déjà compris qu’elle loura une chambre supplémentaire cette nuit.

Les deux putes de pacotilles continuent à m’invectiver.

Je n’écoute même pas leur piaillement.

Je les connais, il suffit de laisser couler le poison en eux.

Celles-ci sont, à ce point, imbues de leur personne qu’il faudra peu de temps pour qu’elles mordent à l’hameçon.

C’est tellement simple que je n’y prends aucun plaisir.

"Mooooonsieur a-t-il seulement quelques deniers afin de nous montrer ces extraaaaaordinaire capacités ? » me lance la blonde. Toutes deux se mettent à glousser de leur « excellente » provocation.

J’extraits une lourde bourse de dessous ma cape et la lance à la tavernière à qui il ne faut pas plus pour me désigner une chambre à l’étage.

Parfait ! Celle-ci est contigüe à la sienne. Je vais lui offrir le spectacle qu’il craint.

Sans un mot je me dirige vers l’escalier.

Un moment d’hésitation, puis la blonde m’emboite le pas, suivie de la brunette.

Chapitre 10

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Pourquoi faut il que je me perde dans mes pensées ?

Celles ci ont elles une moindre utilité ?

Que ne puis-je rejoindre l'état animal dont je suis issu ?

Lui, le peut !

Il n'est qu'instinct.

Il n'est que survie !

Non ! Il est bien pire que cela.

Il ne serait survie que si la mort l'inquiétait, que si la vie avait une once de valeur.

Il est pire que l'animal qui vit en moi et que je refoule.

Il est pire que l'abjecte de la pire âme car en lui, aucun dessein.

Toute vie a un objectif.

Même la plante la plus basique cherche à rejoindre le soleil et à puiser, au plus profond des entrailles de la terre, ce qui lui en donnera la force.

Quant à lui, il ne possède qu'une chose. Le néant !

Je le vois, monter les escaliers, accompagné de ces deux offrandes qu'il dépose à l'autel de ma damnation.

Serai-je à ce point lâche de ne point pouvoir fuir ?

Serai-je à ce point complice de cette servitude à ne pas pouvoir fermer les yeux ?

Il n'est en ce monde qu'une seule hypocrisie, celle de rejeter notre plaisir de l'immonde...

Ce soir, je suis las.

Je m'abandonne.

Cela n'y changera rien.

Je place mon œil dans l'interstice des panneaux de bois qui sépare ma chambre de celle où, d'instinct, je sais qu'il pénétrera.

Chapitre 11

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Couché sur le lit, je les observe, toutes deux.

Leurs pupilles s'humidifient de l'excitation du spectacle qu'elles pensent m'offrir, en se dandinant, se voulant lascives or qu'elles ne sont que fade lubricité.

L'harmonie !

Elles ne savent pas ce qu'est l'harmonie.

Tout est laid et vulgaire dans leurs gestes.

Tout est empreint de clichés basiques.

La blonde ne manque pas de s'apercevoir de mon manque d'intérêt quant à sa danse de charme.

Elle relève son jupon et se pose à califourchon sur mon bassin, riant à gorge déployée, fière de son intrépidité.

Je lui souri.

C'est elle qui mourra ce soir.

Bien entendu, elle interprète mon sourire comme un encouragement et commence à se dandiner d'avant en arrière, frottant, au plus près, son corps en demande sur mon sexe échauffé.

La brunette nous rejoint rapidement, s'empressant de ne pas faire mauvaise figure, elle commence à retirer le haut de corps de la blonde, laissant apparaitre de voluptueux seins maintenu par un serre-taille particulièrement étroit.

Je ne peux m'empêcher de penser que, tout compte fait, celle-ci a, au moins, l'habilité de ses choix vestimentaires.

Leurs lèvres se rejoignent dans un langoureux baiser et ces corps s'enlacent et se caressent sans que pour autant, la blonde ne modifie sa position et ne cesse son va et vient.

D'une main, je lui caresse la cuisse droite, lentement, glissant non loin de son entrejambe.

Avec douceur, je choisit le chemin de son serre taille, glissant vers son dos.

J'évite ses seins, laissés aux mains habiles de la brunette.

Du bout des doigts, j'effleure sa nuque, l'arrière de son oreille et lui remonte les cheveux, dégageant bien son cou.

Je sens les battements de son cœur qui palpitent au travers de sa peau.

Le rythme est régulier et peu rapide malgré son excitation.

Un cœur destiné à battre de nombreuses années.

Ma main se raffermit autour de son coup, mon pouce s'enfonce lentement sur son artère.

Sans crainte encore, elle tente de repousser ma poigne, voulant me faire comprendre, sans mots dires, que mon étreinte est trop ferme.

J'accentue ma poussée.

Elle comprend que quelque chose cloche et très rapidement essaie de repousser ma main, puis s'y agrippe de toutes ses forces et là, elle comprend.

Elle voudrait hurler mais l'air déjà lui manque, la douleur l'anesthésie.

La brunette n'a encore rien perçu et continue à lui embrasser goulument ses tétons, or que, quelques centimètres au dessus d'elle, sa compagne tente désespérément de se rappeler le goût de l'air que l'on respire.

Ses yeux, exorbités, s'injectent de lignes rouges et noires.

Son regard n'est plus que peurs, incompréhensions, souffrances, regrets.

D'un geste ferme,mon doigt traverse la peau, brise l'artère, ôte définitivement l'once de vie restante.

Le sang se met à jaillir tel l'eau d'une fontaine après une nuit d'orage.

La brunette sent ce liquide chaud et inconnu glisser, de par son encolure, le long de ses épaules.

Elle relève le visage, aspergée par ce flot sanguinolent et odorant.

Elle en tombe à la renverse, se redresse vaille que vaille, trébuchant sur le guéridon.

Là, elle se tient debout, pétrifiée, observant impuissante toute l'horreur de la scène.

Elle me voit, couché, mon visage inexpressif la scrutant.

Elle voit ma main, maintenant un corps sans vie en position assise à califourchon sur mon sexe.

Elle voit ma main, engloutie par le flux de liquide épais.

Son cerveau se réveille et elle hurle et hurle encore, en proie à une hystérie incontrôlable.

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