Chasseur de problèmes
Marie Barré
Un lundi matin de plus. Avant même que ma sonnerie n'ait fini de m'agresser je l'avais rageusement éteinte. Tentative vaine pour échapper au commencement d'une nouvelle semaine de pénible labeur puisque ladite sonnerie retentirait à nouveau dans 5 minutes. Puis encore 5 minutes plus tard. Jusqu'à ce que je me décide enfin à me lever, en retard et de mauvaise humeur. Comme tous les lundis matin. Comme tous les matins en fait.
Une heure plus tard, les chats nourris, moi-même débarbouillée, nourrie et surtout réveillée par un bon café (mais toujours pas de bonne humeur), je m'apprêtais à sortir de chez moi pour aller au bureau, la mort dans l'âme, quand mes rétines furent agressées par une vision d'horreur : une araignée, sur ma porte d'entrée !
Si je devais dresser un portrait succinct, à peu près fidèle et objectif de moi voici à quoi il ressemblerait : Ambre, 32 ans, célibataire assumée, autonome, libre, maladroite, hypersensible, gourmande, créative, rêveuse, dépensière, vulnérable et forte à la fois, en colocation avec 3 chats, employée de banque en dépression pendant ses heures de travail ET arachnophobe.
Cette phobie des araignées est telle qu'elle est même inscrite sur mon CV et mon profil Instagram, au cas où. C'est la phobie qui gâche ma vie. Enfin pas trop souvent heureusement : je vis en ville, dans un appartement au 5ème étage, ça limite les risques. Enfin en principe.
La situation était problématique. Impossible de franchir une porte sur laquelle repose une abominable araignée. Inenvisageable. Même m'attaquer à la bestiole avec un balais était hors de portée, elle aurait pu me sauter dessus ou aller se planquer quelque part dans l'appartement, le cauchemar ! Plusieurs options se présentaient néanmoins à moi : appeler les chats à la rescousse (solution aléatoire, lesdits chats ayant tendance d'une part et 98% du temps à ignorer mes sollicitations et d'autre part à jouer pendant des heures avec les araignées et autres insectes échoués entre leurs pattes), appeler mon frère à la rescousse (mais vue l'heure matinale je risquais de lui être redevable de ce service pendant des années et d'en entendre parler à chaque réunion de famille) ou appeler mon super aspirateur à la rescousse. Quelque soit l'option choisie l'araignée passerait un mauvais quart d'heure, ce qui ne me faisait pas particulièrement plaisir malgré le dégoût qu'elle m'inspirait. Je choisis l'option qui me parût la moins contraignante : l'aspirateur. Néanmoins je mis une demi-heure avant de faire ce choix et encore une demi-heure à passer à l'acte. Ce qui fait que je partis au boulot avec une heure de retard.
J'arrivai à mon poste encore une demi-heure plus tard (embouteillages obligent), à 10h30. Me fit engueuler par Monsieur POIGNARD, mon irascible, odieux et stupide supérieur hiérarchique, à 10h35, avant d'avoir eu le temps d'allumer mon ordinateur et sans aucune possibilité de me justifier. Et devant mes collègues, lesquels ne m'apportèrent par le moindre soutien, étant des crétins arrivistes. A 10h45 je quittai mon bureau, définitivement. J'avais au préalable donné ma lettre de démission à Monsieur POIGNARD, à 10h42 exactement. Le temps d'allumer mon ordinateur et d'imprimer la lettre qui était déjà rédigée depuis des années et attendait son heure, patiemment. A 10h48 j'entrai dans ma voiture et poussai un profond soupir de soulagement. Enfin j'étais libérée de cet abominable emploi ! A 10h52 je réalisai la portée de mon acte (plus de revenus, pas de chômage, aucune piste de boulot…) et fondai en larmes. A 10h55 j'essayai de joindre ma meilleure amie au téléphone, en vain. A 11h00 je reçus un appel qui allait changer ma vie.
Maître Nestor PIGAMA n'était pas du genre rigolo, conforme en tous points à l'image désuète qu'on peut se faire d'un notaire. Néanmoins il avait le mérite d'être concis, clair et précis, en un mot efficace. Je fus donc convoquée à son étude le lendemain du coup de fil, fut introduite à l'heure prévue dans son bureau, pas une minute plus tard, et compris au bout de 5 minutes seulement qu'une tante décédée dont je n'avais jamais entendu parler avait décidé de me nommer légataire de sa maison. Pardon de son manoir. Elle n'avait aucune dette de sorte que je n'avais aucune raison de refuser cet héritage, selon les conseils de Maître PIGAMA que je ne songeai pas une seconde à remettre en question.
Ainsi donc à peine 24 heures après avoir démissionné d'un horrible emploi je me retrouvai propriétaire d'un manoir normand de plus de 1.000 m2 sur une propriété de plusieurs hectares. C'est ce qu'on appelle une sacrée veine !
Une fois remise de mes émotions j'appelai ma mère pour l'informer de la nouvelle et surtout m'enquérir de l'identité de cette fameuse tante dont je n'avais jamais rien su : Rose PAPILLON, un nom qui ne s'invente pas ! Ma mère ne put me renseigner, elle savait juste que c'était une cousine de sa mère qui avait été plus ou moins mise de côté par la famille. Une excentrique qui avait épousé un homme fortuné et mené une vie des plus inhabituelles. Elle ne put m'en dire davantage et surtout pas m'expliquer comment cette Rose avait eu connaissance de mon existence ni pourquoi c'est à moi qu'elle avait choisi de léguer son bien. Néanmoins elle se réjouissait pour moi et me conseilla de bien réfléchir à la meilleure façon de tirer profit de ce cadeau tombé du ciel.
En réalité l'idée était déjà toute trouvée. Je rêvais depuis des années d'ouvrir une maison d'hôtes. Décorer de jolies chambres, entretenir un jardin plein de fleurs, peut-être même avoir quelques animaux, préparer de succulents petits-déjeuners et accueillir des gens le temps d'un petit séjour de rêve, c'est ce à quoi j'aspirais depuis longtemps, sans croire ça possible un jour. Mais ce manoir normand tombait à pic, j'allais enfin pouvoir faire ce que je voulais.
Quelques interminables semaines plus tard, les notaires étant ce qu'ils sont, le titre de propriété et les clés du manoir étaient enfin miens. Je m'empressai dès lors d'aller visiter mon tout nouveau bien, emportant avec moi toutes mes affaires pour m'y installer immédiatement et me mettre à préparer les chambres. D'après ce que m'avait dit Maître PIGAMA le manoir était en relativement bon état. Les quelques économies que j'avais devraient donc suffire à financer les menus travaux de décoration que j'avais en tête. Une vraie chance.
En arrivant je ne fus pas déçue, loin s'en faut. Le manoir était très joli, très élégant et entouré d'un ravissant jardin fleuri. Ma grand-tante, feu Rose PAPILLON, s'y entendait manifestement en fleurs. Le contraire eut été dommage ! L'intérieur, comme je l'avais imaginé, était un peu défraîchi mais sain. Si tout allait bien je pourrais accueillir mes premiers clients d'ici quelques semaines. C'était très excitant !
Le temps de m'installer et d'acheter le matériel nécessaire, je commençai à m'attaquer à la première tâche, indispensable : le ménage ! Pour ce qui était du rafraîchissement des tapisseries notamment j'entendais faire appel à un professionnel, étant moi-même parfaitement inapte à tous les travaux manuels du fait d'une maladresse assez prononcée hélas. Ensuite je n'aurais plus qu'à faire du shopping et dénicher quelques meubles anciens dans les brocantes du coin et éléments de décoration dans des boutiques chics et le tour serait joué. Du moins c'est ce que je pensais.
A peine mon opération dépoussiérage commencée qu'il fallut que me rende à l'effroyable évidence : les lieux étaient déjà occupés, par les pires colocataires qui soient à mon sens, des araignées ! Il y en avait un peu partout, de toutes sortes, de toutes tailles, mais toutes aussi abominablement effrayantes. C'était un véritable cauchemar ! J'aurais dû m'en douter évidemment : une grande maison à la campagne c'était inévitable. Et puis ce manoir tombé du ciel c'était trop beau pour être vrai, il fallait immanquablement que quelque chose cloche…(peut-être aurais-je préféré un toit qui fuit…).
Après avoir hurlé une dizaine de fois et ne parvenant évidemment pas à mettre la main sur les chats, je dus me rendre à l'évidence : j'allais devoir faire appel à quelqu'un pour me débarrasser de tous ces monstres et assainir la maison. Sans quoi s'en était fini de mon rêve de maison d'hôtes. Je ne savais pas s'il existait un équivalent des dératiseurs pour les araignées, je n'avais jamais entendu parler de ça…pourtant il fallait que je trouve la personne susceptible de me sortir de cette mouise.
En fouillant dans différents tiroirs (fort heureusement n'abritant aucune bestiole) dans l'espoir de trouver un produit miracle pour repousser les araignées, je tombai sur une carte de visite qui attira immédiatement mon œil : elle était d'un noir mat avec une typographie très particulière et d'un doré excessivement brillant, très jolie. « Tonio, chasseur de problèmes. Disponible 24h/24 » était écrit sur le recto, un numéro de téléphone sur le verso. Voilà qui était pour le moins énigmatique. Je la mis dans la poche de mon jean, ne sachant trop quoi en penser.
Vingt minutes plus tard je n'avais trouvé dans l'annuaire et les prospectus repêchés dans tous les tiroirs de la maison aucune entreprise susceptible de régler mon problème. Je sortis la carte énigmatique de ma poche et la regardai longuement, indécise. Pour moi les araignées étaient indiscutablement un problème et le type disait être disponible 24 heures sur 24, ça ne coûtait rien d'essayer, surtout faute d'une autre solution. Il décrocha à la première sonnerie. Une demi-heure plus tard il était en face de moi.
Tonio était un homme plutôt séduisant, 30 ans, brun aux yeux bleus, élégantes manières. Il avait un style indéniablement désuet, un look un peu dandy des années 50 dirais-je. C'était une sorte de gentleman, autant par ses frusques que par ses manières. Et Tonio était farfelu. Déjanté même. Comme venu d'une autre planète. Quand je lui demandai des explications sur la qualification de « chasseur de problèmes » j'avoue que je ne compris pas un traitre mot de ses explications. Et quand il me posa des questions sur moi et la maison il ne sembla pas comprendre grand-chose. Nous multipliâmes les incompréhensions et quiproquos comme si nous ne parlions pas le même langage.
Contre toute attente quand je lui exposai mon problème d'araignées il ne montra aucune surprise et n'émit pas le moindre jugement. J'avais craint je l'avoue qu'il ne se moque de ma phobie ou tout du moins ne la prenne pas au sérieux, comme tout le monde. Mais il sembla tout au contraire prendre mon inquiétude très au sérieux.
Un fois prise la mesure de la tâche (il estimait à environ une centaine le nombre d'araignées présentes dans la maison, sans compter toutes celles qui devaient se balader dans le jardin !), il me proposa de s'installer plusieurs jours au manoir, le temps de régler complètement et définitivement la problème. Bien qu'un peu inquiète sur ce que coûterait une intervention de plusieurs jours j'acceptai immédiatement, rassurée de ne pas me retrouver seule au milieu de toutes ces araignées répugnantes. Comme s'il lisait dans mes pensées il me tendit son devis d'un montant fort raisonnable et m'assura qu'il ne me réclamerait pas plus quel que soit le temps que lui prendrait la tâche. Et qu'il ne partirait pas avant d'être sûr que la maison était parfaitement exempte de toute araignée. Il assurait même un service après-vente si jamais des œufs devaient éclore après son départ. Et proposait d'autres options, toutes plutôt bizarres à vrai dire. Bien que de plus en plus surprise par cet étrange individu je signai son devis sans sourciller : tout valait mieux que de vivre au milieu des araignées !
Les jours suivants furent sans doute les plus étranges de toute ma vie. Tonio était sans nul doute la personne la plus étrange que j'ai rencontrée de toute ma vie. Au demeurant fort sympathique et…divertissant.
Il commença par utiliser des moyens plus que traditionnels pour se débarrasser des araignées, à commencer par un balais et de l'insecticide. Devant l'ampleur de la tâche néanmoins il se découragea rapidement. Le temps qu'il chasse, voire écrase involontairement, 3 araignées, 6 autres arrivaient, probablement issues du jardin. Par ailleurs nous n'avions pas été loin de mourir asphyxiés avec les bombes d'insecticide (contrairement aux araignées !).
Il voulut ensuite s'octroyer l'aide de mes chats, malgré mes avertissements. J'ai beau les adorer, je ne peux que reconnaître que ce sont des êtres parfaitement capricieux, paresseux, égoïstes et allergiques à la coopération avec les humains. Des chats en somme. Néanmoins il s'entêta. Tenta de les attraper, de leur parler, de les dresser, de leur montrer ce qu'ils devaient faire. Trois journées qui ne servirent strictement à rien. Heureusement qu'il ne me facturait pas les heures supplémentaires (ni les griffures et morsures) ! Je dois admettre que cela eut au moins le mérite de me faire beaucoup rire et presque oublier la présence des araignées.
Tonio était là depuis une semaine, nous commencions à nous connaître un peu mieux et je crois à nous apprécier, même si je ne comprenais toujours pas de quelle planète il pouvait bien venir, mais mon problème n'était absolument pas réglé. Il n'y avait pas moins d'araignées dans la maison, peut-être même davantage. Je commençai à m'impatienter quelque peu.
C'est alors que les choses devinrent encore plus bizarres. Tonio commença à employer des méthodes pour le moins non conventionnelles pour tenter de faire fuir les araignées de la maison ou les tuer « par crise cardiaque ». Ce sont ses propres termes. Ainsi pendant deux interminables journées il se balada dans toute la maison en poussant toutes sortes de cris étranges et en tapant sur divers objets sortis de je ne sais où, dans l'idée, j'imagine, de faire peur aux bestioles. Evidemment il ne réussit qu'à faire fuir les chats et à m'énerver « quelque peu ». Après ça il estima que diffuser à plein volume les chansons de Lara Fabien aurait plus d'effet. Il escomptait, m'informa-t-il, que les cris stridents de la chanteuse finiraient à la longue par exaspérer les arachnides et les pousseraient à fuir. Ou ne fatiguent leur cœur… C'est seulement à ce moment-là que je commençai à m'inquiéter et à me dire que j'hébergeais un fou sorti de l'asile. Et quand une araignée tomba dans mon mug de café, tandis que j'essayai tant bien que mal de me remettre de plus de 3 heures d'écoute larafabiennesque, je piquai une crise d'hystérie. Comme jamais.
J'étais à deux doigts de renvoyer Tonio chez lui et de rappeler Maître PIGAMA pour mettre le manoir en vente quand mon hurluberlu sortit une baguette, genre baguette magique, prononça une formule incompréhensible et fit apparaître devant moi une montagne de macarons, mon pêché mignon. Cela eut pour mérite de me le couper comme on dit et de me mettre d'un peu meilleure humeur.
Je n'ai jamais nié l'existence de la magie, pas plus que celle des extraterrestres ou que celle d'un complot mondial des chats visant à prendre le contrôle de la Terre. J'ai l'esprit assez ouvert. J'ai cru au Père Noël jusqu'à 12 ans, imaginez ! Mais entre croire en l'existence de la magie et en voir pour de vrai il y a une marge. Je restai stupéfaite plusieurs minutes, incapable de parler. Voir débarquer un petit bonhomme vert devant moi ou entendre mes chats me parler de la dernière série à la mode ne m'aurait pas davantage cloué le bec.
Une fois remise de mes émotions, 1000 questions me vinrent à l'attention de Tonio, lequel ne sut répondre à aucune d'entre elle. Il était né magicien, tout comme tous les hommes de sa famille, on lui avait donné une baguette magique à 16 ans, il avait suivi des cours de magie pendant un an, point barre. Il n'en savait pas plus sur l'origine de la magie, sur le pourquoi du comment, et n'avait jamais cherché à en savoir plus. Un homme quoi…
Il me proposa un marché : si je lui accordais encore deux jours et le droit d'utiliser la magie il ne me facturerait pas son intervention, c'était cadeau. Dans le cas contraire il repartait immédiatement, je restais avec mes araignées sur les bras et sa facture était due. Bien qu'un peu dubitative sur les capacités magiques de l'énergumène que j'avais vu deux jours plus tôt tenter d'effrayer des araignées en leur criant « Bouh ! » (véridique), je n'avais pas vraiment le choix. Je n'avais pas envie de partager ma maison avec des montres à 8 pattes et j'avais bien envie d'investir dans une nouvelle bibliothèque pour le salon avec l'argent économisé. Le calcul était vite fait. J'acceptai donc, peu rassurée néanmoins.
Mes craintes s'avérèrent ridicules. Tonio était un magicien bien pire que tout ce que j'aurais pu imaginer ! Il passa les deux jours suivants à lancer aux araignées toutes sortes de sorts qui au mieux ne les faisaient pas bouger d'un millimètre (même Lara Fabien avait eu plus de succès) et au pire les faisaient tripler de volume ou sauter comme des puces, me faisant au passage pousser les pires hurlements de toute ma vie. Avant que je n'attrape mon balais pour le lui briser sur le crâne il m'exhorta à le laisser lancer le « sort de l'incandescence », le sort le plus puissant de son répertoire, celui qu'il maîtrisait le mieux. Me dit-il. Ayant une migraine abominable, des cernes à n'en plus finir (je ne dormais pas depuis que j'avais emménagé dans le manoir, de peur de me réveiller envahie d'araignées…) et le moral dans les chaussettes, j'acceptai. Au point où on en était, me dis-je, ça ne pouvait certainement pas être pire. Perdu pour perdu…
Contre toute attente le « sort de l'incandescence » marcha formidablement bien et Tonio obtint exactement le résultat escompté. En effet, il maîtrisait parfaitement ce sort qui du reste était impressionnant. Seulement ça ne servait à rien et ne résolvait en rien mon problème. Jugez donc : toutes les araignées de la maison brillaient désormais comme des ampoules. Ceci les rendait effectivement beaucoup plus repérables et me permit de me rendre compte qu'il y en avait deux fois plus que ce que je pensais. Et de m'abstenir d'allumer la lumière à le nuit tombée. Cela rendait mes chats complètement fous aussi. Pour le reste…
Je n'eus même pas la force de cracher mon désespoir à la figure de cet incompétent de magicien. Il semblait si content de lui…Je savais qu'il avait réellement fait de son mieux, le pauvre. Je lui fis mes adieux, déprimée. Dommage, il était plutôt beau garçon et sympathique…
Une fois Tonio parti je m'empressai de déchirer sa carte de visite et de la jeter aux ordures. Plus question de faire appel à lui, ni moi ni personne d'autre ! Puis je sortis marcher, une longue balade pour me permettre de réfléchir, d'y voir plus clair, de prendre une décision. Et puis l'incandescence des araignées finissait par mes fatiguer les yeux à force !
Une heure plus tard ma décision était prise : à défaut de pouvoir me débarrasser des araignées je devais me débarrasser de ma phobie des araignées. Vouloir une maison à la campagne sans araignée c'était comme vouloir un monde sans guerre, impossible. Il y aurait toujours de nouvelles araignées pour rentrer dans la maison, c'était un combat sans fin. Alors il me fallait me débarrasser de ma peur, une bonne fois pour toutes.
Une fois rentrée je cherchai sur Internet le numéro d'un bon thérapeute dans le coin. J'avais dans l'idée qu'une thérapie brève, 4 ou 5 séances, suffirait à venir à bout de ma phobie. Une copine s'était débarrassée de sa phobie des nuages comme ça. Une thérapeute qui exerçait à moins de 2 kilomètres du manoir attira mon attention. Sa photo était sympathique, son nom rigolo, Anabelle COCCI, et son approche me semblait intéressante. Je l'appelai aussitôt et obtint un rendez-vous pour le lendemain. J'espérais avoir misé sur le bon cheval cette fois-ci !
Madame COCCI avait l'air tout à fait « normale », une psy ordinaire, pour ce que j'étais capable d'en juger. Elle avait certes un look un peu particulier, fait d'un assemblage de vêtements très colorés et pas du tout assortis, mais elle parlait de manière tout à fait normale, tout à fait compréhensible. J'en fus soulagée, ayant eu avec Tonio ma dose de bizarrerie pour un très long moment. Je lui exposai mon problème et comme je l'espérais elle me promit de dans 3 ou 4 séances ma phobie ne serait plus qu'un lointain souvenir. Je ne serais sûrement pas capable de prendre une mygale à la main ou de me lancer dans l'élevage d'araignées mais je pourrais à tout le moins en voir sans bondir au plafond ou risquer la crise cardiaque, ce qui me suffisait amplement.
La première séance se déroula très bien. Madame COCCI me fit parler de ma phobie, cherchant à connaître mes pensées et surtout mes émotions à la vue d'une araignée et à comprendre l'origine d'une phobie si forte. Il s'avérait que ma mère elle-même avait une peur irrationnelle des araignées qu'elle m'avait transmise durant l'enfance. Je repartis avec un exercice pour la séance suivante : en apprendre plus sur les araignées. Apparemment on a moins peur de ce que l'on comprend.
Je passai donc la semaine suivante à regarder les documentaires sur les araignées conseillés par la psy, destinés la plupart aux enfants. Je ne suis pas sûre qu'ils me permirent de les apprécier davantage mais au moins j'en savais plus sur ces drôles de bêtes, plus utiles que je ne le croyais. Par ailleurs mes colocataires étaient moins incandescentes au fil des jours, le sort de Tonio perdant en efficacité (si on peut parler d'efficacité…), ce qui me les rendit un peu moins irritantes et surtout moins visibles.
J'arrivai à ma deuxième séance très impatiente. J'étais pressée de me débarrasser de ma phobie, la colocation avec les araignées du manoir étant vraiment pesante pour moi. Cette fois-ci Madame COCCI, après avoir obtenu mon accord, me mit sous hypnose. La meilleure façon selon elle de changer une croyance solidement ancrée en soi est de s'adresser à directement à son subconscient, qu'elle appelle aussi enfant intérieur. J'étais un peu plus sceptique sur cette approche mais prête à essayer.
J'eus l'impression que rien ne se passa, que je m'étais juste endormie, n'ayant aucun souvenir de ce que Madame COCCI avait dit pendant la séance d'hypnose. Elle m'assura néanmoins que mon enfant intérieur lui avait tout entendu. Elle me redonna rendez-vous pour la semaine suivante, me promettant que des effets positifs devraient déjà se manifester d'ici là.
Je rentrai au manoir quelque peu dubitative et repris mes activités habituelles, à savoir le ménage et le rangement. Je mis plusieurs heures à me rendre compte du changement. Je n'avais pas crié ni sursauté depuis mon retour. En y regardant d'un peu plus près je me rendis compte en effet que plus une seule araignée ne venait agacer mes rétines. Comment avais-je pu passer à côté de ça !
Je retournai tout le manoir de fond en comble et ne trouvai pas la moindre araignée, même dans le grenier et dans la cave. Comment était-ce possible ? Est-ce qu'un des sorts de Tonio avait fini par fonctionner, à retardement ? Je luttai contre l'envie de lui téléphoner pour m'excuser de mon attitude et le remercier chaudement. Mieux valait attendre au cas où…
La semaine qui suivit se passa néanmoins à merveille, aucune araignée n'étant réapparue. Je commençai vraiment à croire à un miracle. Comme il était agréable de déambuler dans la maison et de vaquer à mes occupations sans craindre qu'à tout moment une araignée ne me tombe dessus ! Je dormais enfin correctement et rattrapais mon sommeil en retard. La maison commençait à ressembler à un endroit accueillant susceptible de recevoir du monde.
J'hésitai à annuler mon troisième rendez-vous avec Madame COCCI compte-tenu de ce changement de situation. Néanmoins je décidai au dernier moment d'y aller quand même. Après tout je ne savais pas si le miracle durerait pour toujours (c'était mon premier !) et les araignées il y en a dans le monde entier, je serai sûrement amenée à en recroiser dans ma vie.
Quand je fis part du changement de situation à la thérapeute celle-ci se mit à applaudir comme une petite-fille. « Formidable », dit-elle, « vous êtes beaucoup plus réceptive à l'hypnose que je l'avais imaginé ! ». Devant mon air ahuri elle m'expliqua que lors de la première séance d'hypnose elle avait invité mon subconscient à ne plus voir les araignées. Voyant que je ne comprenais toujours pas où elle voulait en venir elle précisa, avec beaucoup de lenteur et en ar.ti.cu.lant bien, comme si j'étais demeurée : « Les araignées, elles sont toujours dans la maison mais maintenant vous ne les voyez plus. J'ai reprogrammé votre cerveau pour ne plus voir les araignées si vous préférez. Et ça a été diablement efficace ! ».
J'en restai muette. En quelques secondes mon cerveau analysa la situation et m'informa que cette nouvelle n'avait rien de réjouissante. Parce qu'au final je vivais toujours au milieu des araignées, absolument incapable de savoir combien il y en avait ni où, ce que je trouvais absolument horrifiant ! Savoir qu'il y avait des araignées autour de moi sans savoir dans quelle mesure exactement était plus que terrifiant en fait. Sans compter que mes futurs clients eux les verraient, les araignées…
« Reprogrammez-moi comme avant ! » hurlai-je, à bout. « Pourquoi ? » fut sa première réponse. Puis quand je lui expliquai ma raison « non » fut sa réponse. Impossible de revenir en arrière. D'après elle il n'était pas envisageable de reprogrammer mon cerveau pour que je vois à nouveau les araignées. Elle s'excusa platement. Elle n'avait pas compris ma demande, n'avait pas mesuré les conséquences, aurait dû m'en parler avant…Devant ma mine déconfite elle me tendit une carte de visite : « Tenez, appelez-le, je suis sûre qu'il pourra vous débarrasser pour de vrai de vos araignées. Il est capable de débarrasser les gens de tout ce qui les encombre. C'est un as en la matière. Pour tout vous dire il est spécial, c'est un magicien. Et je sais de quoi je parle, c'est mon frère ». Horrifiée je saisis la carte qu'elle me tendait, une carte d'un noir mat avec une typographie très particulière et d'un doré excessivement brillant, très jolie. « Tonio, chasseur de problèmes. Disponible 24h/24 » était écrit dessus…
Mieux vaut des araignées dans un musée pour les toiles !
· Il y a 7 mois ·yl5
Toujours difficile de se débarrasser de son araignée au plafond !
· Il y a 7 mois ·dechainons-nous