Chef ! Une petite bière.
chris-mo
Je me suis dit que j'allais traîner dans un pub et prendre quelques notes.
Je gamberge depuis une bonne heure.
Alors que je sirote mon antépénultième lampée de Jupiler, le regard perdu dans un vide sidéral, je repense à la liste de mes envies... Je ne sais pas pourquoi. C'est peut-être parce que les médias ont beaucoup venté les mérites d'un ouvrage dont c'est le titre. Normalement. Vague souvenir. Je vois souvent ce titre, cette expression qui grattouille, qui démange un peu partout.
Quoique ç'aurait pu être autre chose qu'un bouquin. Je pense par exemple à tout un ramdam sur l'imagination débordante des désespérés priant le seigneur pour décrocher le magot, les mains dans les poches, le mardi ou le vendredi. Les palabres qui perdurent quand le montant atteint des sommets faramineux se résument à un seul mot : indécence (pour celui ou celle qui ne gagne pas). Il n'est pas question de se bousculer pour un petit million d'euros le mercredi ou le samedi, mais pour cent fois plus les deux autres jours. Néanmoins, ce n'est pas ça que j'ai en tête. Pas que ça. J'en reviens aux romans populaires qui pleuvent. Je me suis prêté à cette réflexion. En ajoutant le concept susmentionné, la loterie.
Avec tout le recul qu'il m'est possible d'atteindre en tant que participant naïf à la loterie libératrice qui m'emprisonne dans un songe envieux et désolant. Je me prête aux jeux. Comme si ne rien foutre permettait une réussite digne d'un magnat du pétrole. J'ai touché au baril. C'est vrai. Mais, celui-là renfermait plus un liquide buvable que toxique. N'empêche, tout avaler avait aussi de quoi démonter son homme. Donc tant que la conscience me le permet, je pense à ma liste.
D'abord, il me faut mon coup de cœur musical du moment, trouvé en la personne d'un génie qui en joue trois, Wil Oldham, en fond sonore. Ensuite, dans l'hypothèse où je serais devenu riche comme Crésus.
Je voudrais de la flotte à perte de vue, du sable chaud et éclatant, un maillot horrible, un verre qui déborde. Et des livres. Toujours des livres dans le genre : un autre Bukowski (par exemple « Women » qui m'attend de plus en plus poussiéreux), encore un M. Safranko, un P. O'Neil, du Fante père et fils, un autre Exley... et enfin ce Kesey dont tout le monde parle. Tous ces gars qui me tapent dans l'œil et me secouent la grisaille neuronale même si je ne comprends que la moitié de ce qu'ils jettent, ces merveilles gisant sur la table la plus proche.
Non ! Je ne suis pas misogyne, sexiste ou macho. Je n'ai pas cité d'auteures féminines pour la simple, et peut-être, bonne raison — que l'on peut définir comme une carence intellectuelle —, que je n'en connais pas.
Pour le reste, la cerise sur le gâteau, dégustation du temps présent avec mes petits et ma bourgeoise. La liste de mes plaisirs. Le sujet est clos, pas de quoi en faire un roman. Juste un agréable paragraphe nain.
Mon œil gauche fatigué, suivi d'une fraction de seconde de retard par mon œil droit, tournoie d'un côté de l'horizon à l'autre. Rien ne se passe. La musique roucoule et les gens papotent. Je griffonne sur un bout de papier.
Il y a des jours où je me demande si rester cloué à une petite table circulaire au milieu d'un pub tendance où les sons et les lumières tentent de créer une symbiose avec les clients, où toute cette actualité – j'entends par là les ondes radios et le décor — qui semble être au gout du jour ; sont bien nécessaires. Quelle question ! Pfff !
Sortir. Boire un coup en amoureux confirmés, ou pour une première avec un homme, ou avec une femme, ou en solitaire, ou entre amis. Peu importe.
D'ailleurs, cette idée importante qu'ont eue des millions d'individus pour organiser l'endroit où les deux êtres devaient s'accorder ou s'imposer un droit de s'aimer officiellement, provoque chez moi une secousse des zygomatiques.
J'ai changé de bière à la commande. Je prends trois Diekirch (bière luxembourgeoise). Je commence à broyer du noir, à ronchonner ; mais je réussis à garder mes salades pour moi. Une confidence interne. Un huis clos intime inoffensif.
J'ai le regard accroché à un grand écran plat.
Il est allumé et je n'y crois pas. Regardez-moi ça !
Je suis incapable de dire qui est cette jolie brune qui m'explique quelque chose dans une langue qui doit être la mienne. C'est fort. Combien de milliers d'années d'histoires passées me bousculent, me poussent à m'indigner ? A l'origine de cette prouesse technologique, des individus bien sous tout rapport et probablement innocents, sous couverts d'innombrables études sophistiquées, d'une manière ou d'une autre, sont responsables de ma réaction proche de l'hystérie. Je m'apprête à hurler sur les pixels de cette fabuleuse chose. Oui, ils sont coupables. Car s'il n'y avait pas eu la télévision, je n'aurais pas allumer un feu de révolte à l'encontre de mademoiselle météo juste parce que je ne capte pas un traitre mot de ce qu'elle avance.
Je me calme. Dans un autre sens. Pas d'invention, pas de réaction. Et pas de bière à profusion, pas de monologues chaotiques. Mea Culpa.
Les images suivantes, par contre, réanime les braises encore rougeoyantes. Elles me montrent un prêtre, sous-titrage : le mariage homosexuel/une aberration. Par voie de conséquence, elles m'expliquent qu'un + un et une + une c'est contre nature.
L'acte en lui-même est-il aussi inadmissible qu'un+une ?
Bon Dieu de foutaise. Je m'insurge évidemment. La destruction par millier passe mieux dirait-on. Le pédophile surmédiatisé avec défense gratuite — s'il vous plaît —, c'est l'équité cousue sur le drapeau de la justice. Pour les comptes offshores : oh ! Miséricorde. Mais c'était une erreur d'encodage, téléphonons de suite au comptable. Semblant d'offuscation, le mouchoir blanc devant la bouche. Évitons les odeurs nauséabondes et contagieuses. Échange d'armes, production de coke, blanchiment d'argent, meurtre de masse justifié et excusé pour geste commis par inadvertance ou par manque de discernement à cause d'une vie misérable… pauvre petit Oliver Twist. Ce n'est pas de ta faute si tu as eu une vie de cancrelat. Venge toi si tu veux. Mais surtout, surtout, il ne faut pas s'acoquiner entre êtres humains du même sexe. Sinon, c'est l'extinction irréversible. Jésus l'a dit ! Enfin, peut-être pas lui directement mais son représentant direct alias Papouille 2013e et ses frères qui ont rejoint le père certainement.
Hallucinant, simple, con et c'est ce qu'on me file sur cette aparaillage haut de gamme. Je n'ai rien inventé. C'est devant moi. Bon, c'est vrai j'extrapole un petit peu.
Cul sec. Trois gorgées. Verre suivant. J'expire par les narines, lèvres pincées. Le brouillard augmente d'intensité. Les idées se mélangent un peu plus. Tout n'est que divagation et séduction. Je m'intéressais aux divertissements au départ. L'occasion de se retrouver à plusieurs personnes dans le but de passer une bonne, voire immémoriale soirée, est somme toute gage de quelque chose de très positif, d'une attitude très sage.
Voyez le contexte, l'endroit, l'ambiance. Je crois que tout cela est futile. Ou du moins, d'une moindre importance. L'endroit où je siphonne ma « Diekirch » est, selon les bruits d'entre deux pissotières, un lieu de détente populaire dans la région.
En plus des deux autres situés dans le même croisement de rues. C'est un peu la version ultra minimaliste du quartier St-Gery de Bruxelles.
Je souris dans mon coin. Je redresse la tête. Personne n'a rien vu.
Difficile d'affirmer le contraire étant donné la proportion d'établissements du genre implantés dans le centre-ville (estimation à l'œil sur une superficie de 2 km²). Je peux juste affirmer que c'est fort probable. À cela, j'ai envie de saluer la bonne tenue du service, la sympathique ambiance disco (ou « in », ou « jeune » avec une grande tendance à la techno, ou un genre que je ne connais pas), pop, fun radio, tranquille et normal pour un mardi début de soirée en « rase campagne ».
Je soupçonne l'existence d'une atmosphère plus électrique et aux fréquences augmentées aux heures de la fièvre du vendredi, du samedi et des fêtes d'examens en soirée.
Après m'être imprégné du décor, moderne je suppose, et de quelques verres amplis de pétillant et de mousse... Heu ! Je vous le décris vite fait.
Il est très simple : il consiste en l'alignement de bouteilles au reflet bleu de marque « Bombay... » (je justifie le point de suspension par le fait que la suite de l'étiquette est déjà floue à ma vue) accompagnées de très grands verres à vin. Ces couples décoratifs sont posés dans un long renfoncement rectangulaire qui prend tout le pend de mur à ma gauche. De petites ampoules qui « teintent » sur toute la longueur le mur brun foncé. Ce bidule applati en son centre à hauteur de la tête d'une personne mesurant au moins 1,70 m. Au programme sur club RTL, la météo. Pour moi c'est réglé, brouillard complet jusqu'au lendemain matin. Plus loin près du bar, des cadres rétro où sont affichées des bouteilles, qui ont la forme des célèbres Coca-Cola, noires sur une lumière de fond rouge battant au rythme d'un cœur au ralenti. Au niveau du bar et partout ailleurs, domine un mélange de beige et de blanc cassé.
Je décide de me rendre aux gogues. Un long moment pacifique les yeux fermés. Plus un seul bruit. Juste la mélodie d'une chute urinaire généreuse et dynamique. C'est soulagé et toujours aussi saoul que je rejoins mon tabouret.
Où en étais-je ? Le décor. C'est tout. Un pub quoi.
Cassé. Je le suis. Comment ont-ils fait les grands auteurs ? Hein. Je vous le demande. Moi je n'en sais rien. Ce n'est pas mon domaine. Je voulais tenter l'expérience. Pour voir. Ils ont une majestueuse descente. Des phénomènes.
En tout les cas, pour l'instant, tout ce que je peux dire c'est que je passe une soirée calme et sans histoire. Je sirote mes bières. Mes membres s'engourdissent après m'être imbibé d'environ 1,5 l de ce liquide jaunâtre. La musique ne m'apporte absolument rien. L'heure de la fermeture intérieure aboie. Je termine ma chope d'un coup sec et je me tire.
Il est une heure du mat.
Les spots clignotent blanc, bleu, mauve, blanc, jaune, bouge… pas un chat dehors.
J'approche l'ambiance monochrome.
Je rentre chez moi. Bonne nuit à qui le souhaite.