Chercher des allumettes
Céline Burg
Chronique d'une disparition non annoncée
Je suis née un soir d'automne. Je suis née d'un couple d'amoureux, d'un couple de "comme au premier jour". Et surtout je suis née Deux. Je n'ai jamais eu besoin de miroir pour croiser mon reflet, il m'a suffi de grandir aux côtés de celle que je pouvais nommer mon double. Enfance heureuse auprès d'Elle, auprès d'Eux. De soyeuses boucles blondes, un sourire parfois édenté mais toujours présent sur chaque photo, symbole triomphant d'un bonheur omniprésent. Pas une ombre au tableau, la véritable jeunesse idyllique comme on la voit dépeinte dans ces films que certains qualifient de copie édulcorée d'un quotidien parfois lourd. Et pour ajouter au cliché des parents aimants, rassurants et toujours à l'écoute, j'ai traversé une adolescence sans heurt et sans cris. Pas un accroc pour obscurcir l'horizon. Voilà ce qu'est ma vie. Une succession de moments parfaits, de bonheurs récurrents. De quoi attiser jalousie et envie. Et bien même pas!
Aujourd hui, j'approche de la trentaine. Je suis mariée à mon amour de jeunesse, un homme extrardinaire dont les yeux s'illuminent quand ils croisent les miens. PDG d'une agence de pub au succès fleurissant, sportif, doux, attentionné, une vraie caricature à lui tout seul! J'occupais également un poste important, un de ceux qui valorisent, qui enrichissent, qui épanouissent. Aujourd hui je prends du temps. Le temps de voir grandir ma petite fille qui vient d'entrer dans son 8ème mois.Une petite fille adorable, rieuse et d'une facilité déconcertante. J'habite un quartier calme et convivial, entourée d'un voisinage paisible et amical. Le portrait est brossé. Il est facile de conclure que je vis une existence de rêve. C est le cas. Vraiment. Et pourtant tout au fond de moi, elle est là. Vous savez, cette toute petite voix qui murmure en continu cette même phrase: "Fuis. Fuis. Fuis". Cette voix que je tente en vain de faire taire, d'étouffer. Cette voix que je ne comprends pas. Un matin d'Avril, j'ai entendu ce bruit familier. La voiture de mon mari qui démarrait. Lily gazouillait dans son parc pendant que j'achevais de me préparer. Ma mère m'attendait d'ici une demie heure. Elle avait comme une envie de profiter de sa petite fille! A moi la bouffée d'air, le temps dont parfois je manquais! De retour à la maison, je me suis assise, prise au dépourvu, vide...Et cette petite voix qui dansait à nouveau dans ma tête. "Non, non, tais-toi. Cà suffit!" Sauf qu'au lieu de se taire, elle a repris de plus belle, de plus en plus forte, balayant tout sur son passage. Alors, j'ai fui. Mue par une nécessité presque vitale. J'ai fui sans un mot, sans un regret, sans un regard en arrière. Avec comme seul réflexe, celui de récupérer mon passeport. Passage éclair à la banque, telle une voleuse qui prépare secrètement le plus grand coup de sa vie. De l'argent, un passeport et l'aéroport. Sans idée précise. Juste fuir. Faire que cela s'arrête. "Mais quoi???" Aéroport Charles de Gaulle. Hall de départ. Prochain départ: Montréal. Au comptoir, j'empoche mon billet. Non, non pas de bagage à enregistrer. "Mais qu'est-ce que je suis en train de faire?" Embarquement. La tête contre le hublot, 7h de vol.Du temps, du temps avec moi, pour moi et juste à moi.Du temps sans cette voix qui m'obsède. Je ferme les yeux. J'imagine mon mari, ma mère, leur inquiétude. Pas de retour possible, l'avion décolle. Je pense, m'évade. Je revois cette jeunesse dorée, ce parcours sans faute. Je revois chacune de mes étapes, les récompenses, les trophées, les diplomes. Je revois le regard fier de mes parents, fiers de cette fille modèle qu'ils avaient aidé à grandir. Je repense à mon mariage, à ce bonheur presqu'étouffant, à ce jour éternellement gravé. Comme celui de notre emménagement, de ma promotion à ce poste tant convoité. Comme celui de la naissance de notre princesse, apothéose suprême. Je fuis une vie qui est une accumulation de rayons de soleil. L'internement me guette!Pourquoi?"Pourquoi est-ce que je suis dans cet avion?"J'ai du mal à savoir, à me comprendre. Pas une faille, pas un trébuchement. Une vie tellement à la hauteur de mes rêves d'enfant. Je sens la migraine monter. Je m'assoupis. Le temps de quelques rêves. Rêves éphémères et troubles. Je m'agite puis ouvre les yeux. Prends quelques instants pour me reconnecter à la réalité. Fuite. Avion. Montréal. Je creuse et cherche des réponses. Il faut bien expliquer. Ce ras-le-bol. Ce vide intérieur. Moi, la fille lisse et prévisible, j'ai fui. J'ai fui comme Elle. Elle qui sortait du cadre, elle à qui tout était permis. Elle qui accumulait les erreurs. Qui apprenait de ses échecs. Elle qui vivait libre de toute attente. LIBRE. LIBRE. Elle, c'est ma soeur, ma jumelle. La tellement différente. Dont le parcours est cahotique. Elle qui ne suit aucun chemin tracé. Qui écoute ses envies. Qui ne porte rien sur ses épaules. Et qui pourtant respire le bonheur. Aime et est aimée. Elle si imparfaite, elle que j'envie. C'est cela ma réponse, la motivation de ce départ précipité. Pouvoir enfin ressentir ce sentiment de liberté toute puissante. Je respire. Il était temps! J'avais besoin de savoir, de me sentir capable. J'ai dévié pour la première fois. Simplement. Inévitablement. L'avion amorce sa descente. Je sors, légère. Allume mon téléphone. Ecoute les quelques messages affolés de ma mère. La rappelle. Lui demande quelques jours. Sans expliquer. Enchaine avec mon mari. Redemande sans expliquer. Je respire enfin. Dans quelques jours, je retrouverai ma vie rangée. Forte de cette parenthèse. Prête à faire face et regonflée par cette immense découverte, qui m'ouvre un nouvel horizon inespéré. ENFIN LIBRE!
J'ai lu d'un trait! Quelle fuite! Quelle découverte! Le bonheur qui fait peur? Du mal à définir cette liberté...
· Il y a environ 11 ans ·astrov
Besoin de se sentir capable. Cette liberté essentielle et vitale , le champs des possibles :)
· Il y a environ 11 ans ·Céline Burg