Chère Marguerite

Chère Marguerite,

J'ai vu Sadec, j'ai vu Saïgon. J'ai glissé sur le Mekong et je me suis perdue dans Cholon. Ta Cochinchine n'existe plus, pourtant je l'ai sentie, je l'ai touchée. Elle est lovée dans la moiteur de l'après-midi. Elle étouffe dans la luxure de cette nature omniprésente où même la boue possède cette espèce de majesté. Elle apparaît au détour d'une rue, dans la grâce qu'a la beauté déchue de ces bâtisses d'antan. Je l'ai trouvée.

C'est la fille de L'Amant, c'est la fille de Barrage, c'est l'adolescente amoureuse que je cherchais… Là-bas, c'est un peu de moi que j'ai trouvé. Toujours, c'est un peu de toi que je devine.

Je t'entends sourire de loin, derrière tes grosses lunettes fumées. Tu te moques avec affection. Cette fille, celle que je cherche, celle que tu as été, celle que tu as écrite, elle n'est plus là. Il y a bien longtemps qu'elle est partie. Elle est morte pour que tu puisses renaître. Je suis certaine que c'est ce que tu crois et pour une fois, tu crois mal. Quand je te vois, même à l'aube de la mort, c'est elle que je vois. C'est l'amoureuse. Éternelle amoureuse. À s'en déchirer le cœur. À aimer dans la douleur. C'est ça que tu avais en toi, tu le savais, tu lui as dit un jour à l'autre, à Y, à celui qui ne savait pas, qui ne l'avait pas. Mais j'ai en moi, dans le même temps, l'amour, cette disposition particulière irremplaçable de l'amour.

Maintenant je me rends compte, maintenant je sais. En partant si loin ce n'est pas ton fantôme que je cherchais, c'est elle que je voulais trouver. Maintenant, je sais que je l'ai. Cette disposition particulière. Je ne suis pas un Y, je suis une M.

 Maintenant, tout peut commencer.

Maintenant, il faut vivre.

 Merci Marguerite. Bonne nuit.

 D.