Chez les fianas (Dr Forlen)
Caïn Bates
Après des semaines de marche, j'approchais de Boicéliande, une forêt qui se meut à la seule de volonté de la Mort d'Iroise. Dès que j'aurai mis le pied dans l'ombre de ses arbres, mes chances de survie seront presque réduites à néant, même les animaux les plus paisibles et insignifiants seront habités par une rage meurtrière envers ma personne. Heureusement pour moi, je connais une parade, le feu. Il me suffira d'un flacon de napalm pour les mettre en déroute, deux flacons pour qu'ils me craignent, le reste de mon stock pour ravager cet étendue de bois sec. Mais dans ce cas, je ne retrouverai plus jamais Epöna, j'aurai fait tout ce chemin pour rien, je serai seul contre la Capitale.
Les premières minutes d'exploration, pas un bruit, pas un mouvement. Soit elle est inhabitée, soit je suis traqué depuis mon arrivée, soit je suis déjà mort. Je jette un œil sur mon téléphone, 15h41. C'est approximativement l'heure à laquelle j'avais quitté la ville le jour où je me suis enfuis, c'était une douce journée d'automne, le bruit de pas des autres cueilleurs m'avaient aidé à fuir les hordes de bestioles qui auraient dû m'abattre. Mais cette fois ci, le silence plane. Même la brise dans les branches se fait discrète, aucun son n'est produit lorsque j'écrase une brindille, c'est comme si j'étais devenu sourd.
À la vue d'une immense lumière entre les corps squelettiques d'écorces, mes pas se font plus rapides, mon corps est porté par un espoir soudain. À l'orée du bois, des sifflements se faisaient entendre, des voix déformés chuchotaient des bouts de phrases.
Après m'être assez éloigné, je me retourne pour vérifier que rien n'y personne ne me suis. C'est à ce moment que je constate que la forêt que je pensais avoir traversé n'était qu'un vulgaire verger laissé à l'abandon. "Pommeraie normande", le panneau métallique rongé par la rouille se tient droit au bord d'un chemin de terre. Des sentiers sont fléchés et leurs directions portent des petites bandelettes de couleurs, des chiffres sont parfois indiqués mais je n'ai aucune idée de ce qu'ils représentent. Quel chemin emprunter?!
Il me semble qu'Epöna aspirait tout les brises qui l'entouraient, peut être qu'en suivant le sens du vent, je parviendrais à rentrer chez moi. "Tout les chemins mènent au rhum, aux femmes et à la maison." Aucune structure aux environs, je me dirige vers les collines voisines pour tenter de capter le vent grâce aux techniques que l'on m'a enseigné durant mon enfance. Cité des eaux, je m'en viens te reconquérir. Si seulement je ne t'avais jamais quitté, si seulement tu m'avais laissé grandir comme n'importe quel enfant. Le ciel m'offre son plus beau crépuscule, au loin on peut entendre le chant de la mer et des voleuses volantes, les embruns mêlées du sable et du sel, vous m'avez tant manqués. Je m'installe sur une butte en marge de la route. Faire un feu serait trop risqué alors je dormirais à la belle étoile, étreint dans les bras gelés de Morphée. Malgré ma réticence, je sombre rapidement dans le monde des songes. Des silhouettes m'abordent en rêve, des hommes aux tresses entremêlées de branchages et des femmes coiffées avec des ramures de cerf m'entouraient, ils me tournaient le dos comme pour me servir de rempart. Ils appartenaient probablement au clan fania, des protecteurs d'une immense ile au large d'Epöna qu'on surnommait autrefois l'île d'émeraude. Leur clan a disparu il y a des siècles lorsque des chefs de guerres s'étaient assemblés pour mettre fin à leur mission éternelle.
À mon réveil, la sensation d'avoir été sujet à un genre de signe divin me trotte dans la tête, une sacoche contenant des fruits et de la viande séchée était posée près de moi, des traces de sang s'éloignant irrégulièrement vers les falaises. Je n'ai aucune envie de savoir ce qui s'est passé, je range la sacoche dans un compartiment isolé de mon sac, c'est peut être empoisonné mais, on ne sait jamais. Je dois vite reprendre la route, la brume matinale couvrira ma fuite.
Il m'a fallu plusieurs heures pour atteindre la muraille de la cité. En me voyant, l'un des veilleurs donnent l'ordre d'ouvrir l'immense porte en bois qui se met à coulisser quand j'arrive à proximité. Aucun doute ne plane dans leurs regards, aucun ressentiment, aucune haine. Quelques personnes ont l'air émues quand elle me voit parcourir les rues d'un pas hésitant, cette ville n'a pas changé. En cherchant la salle d'audience du Conseil, je passe devant un immense panneau couvert sur lequel des photos sont placardées, je distingue sans mal le portrait terne du mariage de mes parents et, juste en dessous, le dessin d'un gosse signé d'un "Alek". Je ne sais pas si l'on m'a cherché ou si on m'a laissé à mon sort mais la date qui figure sous le papier correspond bel et bien au jour de ma fuite.
"C'était un gosse formidable vous savez, après la mort de ses parents il a voué ses journées à aider les plus démunis. Mais les bêtes ont eût raison de sa clémence et les personnes qui l'ont retrouvés ont dû l'abattre, il était devenu fou. Que Cernunnos ait pitié de son âme."
Le vieil homme m'indique que le corps du jeune Alec repose désormais dans le "jardin des justes", une section du cimetière destinée aux héros de la cité. Je ne sais pas quoi penser,. Même si j'apprécie leur reconnaissance candide, je ne comprends pas ce qui leur a pris d'inventer cette histoire de folie furieuse. J'espère juste qu'ils n'ont pas déchiqueté un innocent pour couvrir leur manque d'attention. Sur ma tombe siègent des fleurs coupées et des statuettes taillées avec finesse dans du granit rose, ces gens ont énormément de respect pour moi apparemment. Mentir et les laisser dans leur reconnaissance paisible?! Tout révéler et semer dans la pagaille dans la plénitude de cet endroit?! Partir comme je suis venu, seul et anonyme?! Epöna me semblait si différente à présent, toute magie avait quittée ces lieux, il n'y avait jamais eût de créatures dans ces bois, personne ne nous protéger, nous étions juste là les uns pour les autres. Mes parents voulaient quitter ce cocon pour vivre au cœur d'un guêpier, pourquoi?! Et surtout, pourquoi m'avoir abandonné?!
J'attrape le briquet dans ma poche et le serre de toutes mes forces.
"Alec... Aleeeeeec, réveilles toi... "
hon
· Il y a plus de 7 ans ·Hi Wen