Chronique d'une râleuse muette IV

Cléa Mosaïque

Les sacrés pantins
Avant qu'ils n'ouvrent leurs bouches vides, ils m'étaient familiers, pour un tas d'invisibles raisons. Leurs arêtes étaient blanches, noires ou rose et serpentaient sur les tissus synthétiques de leur costumes, quelqu'ils soient. Avec un pinceau ou un stylo, je les aurais griffonnés avec incisive délicatesse. 


- Dans un couloir étroit à la moquette bleue, sale de gris -

Avec de tels gestes éparpillés, il ne semblait pas du tout savoir comment paraitre détendu. D'une apparente présence et encore debout, il mettait toute son énergie bien éduquée à s'installer sur ce siege populaire, posant son manteau le plus gentillement possible, aligné avec son echarpe de la même couleur. Sortant de son sac décidement trop serré, un ordinateur en pochette toute aussi etriquée. Papillonant des yeux derrière de petites lunettes aux contours raisonnablement épais, il contrôle de son mieux ses mains fines menottées d'une jolie montre épurée. Une boucle brune sur son front qu'il ne maitrise pas lui fait relever la tete, laissant alors place à la connexion entre le rectangle lumineux dressé en hâte devant lui et les ecrans transparents de ses yeux. 

Dans une paix soudainement retrouvée et nécessaire à sa patience, comme un ballon souple qui se grossit d'un air forcé, son souffle et tout son corps semblent s'adapter et retrouver tous leurs repères.

Ouf. Le voyage peut commencer.


Les parfaits petits hommes souvent grands et fins, glissaient loin des murs aussi impétueusement qu'ils lissaient leurs vies. 


Assis et sur ses genoux, un paquet de cookies industriels. Ils se voulaient faits maison, et le livre en papier sépia dans ses mains donnait le teint à son visage rasé de près, une boucle enduite sur le haut du front. Un homme soucieux du joli. Petit équilibre. 


Lui, dans le coin, n'avait plus rien à faire des convenances. Sa mère n'était plus là depuis longtemps et il avait oublié la règle selon laquelle "on ne fixe pas les gens de cette façon". Encore moins d'un regard si flou, en heure de pointe, alors qu'on aurait dit qu'aucun collègue n'allait le féliciter de sa ponctualité, ni l'engueuler de son retard d'ailleurs.


Je t'ai vu, tu t'es redressé devant moi, juste là dans ce wagon déjà presque reparti. Tu avais bousculé mon sac, ramenant tes pensées à la réalité matinale. Je t'ai vu, tu avais l'oeil gonflé, par la veille, ce qui a déformé ton élégance. Autour, toujours ce vacarme de pas désaccordés, ce va-et-vient en silence de regards qui se croisent, parfois emplis de cette politesse qui contraste et que l'on butinerait bien, tant elle soulève le coeur. Si rare au creux de la majorité discrète qui ne fera pas d'effort aujourd'hui, par fatigue ou par progressive habitude. Autour, toujours ce vaste entassement d'espaces vitaux au corps chancelants, droits, athlétiques, camouflés, pressants, ronds, accablés, fiers, potelés, gras, soyeux, imbibés, tendus, pas lavés, redressés, méfiants, tordus, élégants, pressés, abîmés, découragés, motivés, indiscrets, prétentieux, discrets, frustrés, et à peu près tous avec leurs valises d'invisibles blessures.


Ces pantins de silence. Je ne voyais que leurs mains, prêtes et interdites. 




©photoCléaMosaïque 
Signaler ce texte