Chronique d'une râleuse muette V

Cléa Mosaïque

Toujours sous la terre, avec eux.

Elle leur aurait bien écrit une lettre ou deux, sans prétention de les secouer, juste pour essayer de leur sourire. 


Un 17 juin.

Ils avaient tous de petits yeux ce matin. Plissés, pas tout à fait en face des trous. Flous, presque brulés par quelques lunes. Cerclés, le rouge faisant son ménage pour repeindre les parois. Cachés, se mélangeant piteusement au noir misère. Assumés, un peu brouillon. Et puis le temps, ce coupable qui les gonflent tout seul. Se logent alors les larmes essuyées et leurs sécheresses, les soirées négligées qui coulent sur les côtés, les dramatiques discussions de consistance, la course aux plaisirs qui piétine les principes. Dans ces yeux, on devinait presque en creusant doucement, les montagnes et grains de sable qui éreintent, les tissus chauds, les bonheurs qui chargent, le manque d'élégance qui vide, les flopées d'épices teintées, les vagues qui frappent, la chimie toxique, la douleur, la terre foulée, et les oxygènes qui ravivent. 

Les indices coupables logent aussi sous leurs ongles, rendant au jour ce qu'avait pu être leurs vies. 

Et de nouveau il faudrait bientôt les soulager, par envie autant que par peur qu'ils ne se remplissent à nouveau de l'imprévu.


Vendredi 29 mai.

Là, tous, m'agaçaient. Et puaient. L'ennui et la fatigue. Fin de semaine, tracée sous les fronts, yeux rivés divagants. Tous et toutes, insupportables et lents. J'en ai poussé un ou deux. N'espérant pas respirer plus. Les bouches pincées titubaient presque, quand elles ne cognaient pas les cavités pochées à la limite de l'explosion. Ce troupeau de quotidiens chaotiques se rattrapait aux tiges de métal pour garder la face, dans des petits silences isolés. 




Un Lundi d'été.

Je savais que mes jours avec lui étaient comptés. 

Et c'est précisément au moment du soulagement que je sentais que je m'y était finalement habitué. Qu'il allait me manquer, je ne saurais dire. Je n'allais plus le subir, ni l'entendre se coller et alors le fuir avec d'autres mélodies, encore moins le mépriser en m'estimant au dessus de lui. Sans y prendre part, armés de ces silences aux aguets paisibles, au fond de ses entrailles, se trouvaient ces corps qui erraient décidément beaucoup trop et qui prenaient des visages si familiers et si différents. Toujours un peu à l'écart de la foule, gesticulaient ceux qui assumaient d'avoir pété un câble ou éteint la lumière, ou qui respiraient trop de béton, parfois jour et nuit. Des nuits trop longues. Et qui ne savaient plus comment le dire. 

Ces flopées de gens de partout qui rentraient sagement, à l'heure où la raison s'était mis d'accord avec celle de la soupe. Puis les audacieux qui s'aventuraient plus tard que leur fatigue et finalement pris de court, s'entassant en grappes distantes ou sans gêne, sur les quais du retour.

Ce vacarme humain. Je souriais à cette idée que mes jours avec lui soient comptées.


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