Chronique sur "le mage du rumorvan"
Jean François Joubert
Icritique de Martine L. Petauton
l y a eu – lectures à tout va et battage force 9 – le (regretté ??) Da Vinci code de Dan Brown. Thriller – jeu de piste caracolant de l'église Saint-Sulpice à l'Angleterre, autour d'une quête, et d'un pseudo complot religieux, sectaire, que sais je encore… passions déchaînées dans ce grand bol dégoulinant d'irrationnel particulièrement déjanté. A tel point, souvenez-vous, qu'ont fleuri – parallèlement au livre et à son film – des manuels pour mieux « décoder » l'histoire (grammaire pour analphabètes, en sorte) et – tenez-vous bien – des circuits touristiques pour mémères américaines ! Ouf !
On croyait en être sorti, mais on y revient ! le mage du Rumorvan a – c'est tout le mal qu'on lui souhaite – en sa besace écolo-policière, les ingrédients qu'il faut pour mitonner un « Da Vinci code français, provincial, bretonnant », mais un artisanal, à la « chez nous » ; pas l'autre machine tonitruante et aveuglante du bouquin hollywoodien…
On peut faire confiance au poète discret et soigneusement présent, qu'est Jean-François Joubert, pour, en plus – j'allais dire : surtout – ne pas se prendre au sérieux. Pas de thèse ronflante, pas de message venu de l'au-delà ; un simple bon moment passé avec ce polar des embruns, juste mélancolique ce qu'il faut.
Mais de fait, la Bretagne – autant dire l'auteur, tant il la connaît – terre celtique, mystères de Brocéliande, amertumes granitiques et non moins romantiques des tourelles De Chateaubriand ; on aurait pu tomber plus mal, comme scène de ce polar, souvent nocturne – ou, au bord – embrumé, pluvieux, comme seul le Finistère sait s'en honorer. « On aurait dit que la lune était rousse et le soleil venait à peine de rejoindre l'autre hémisphère, quand tous les chiens du quartier se mirent à hurler à la mort… ». Image d'Epinal, d'un village breton ; granit, vieilles ardoises, hortensia, demeures nobles (de l'Agatha passe…) ; vieux grimoires, surtout – « Da Vinci », je vous dis – recherche enfiévrée d'un livre – le Livre – « La croisée des chemins » (ça ne s'invente que dans le sourire moqueur de Joubert !) : « tous les propriétaires de ce livre sont morts de façon suspecte ! ». Mélangez ça à la disparition violente d'un original – le « mage » ; mettez une pincée de sorcellerie, genre Berry de George Sand, quelques chiens, bien loups, une Nolwen Lamour, des flammes d'auto da fe… secouez, dégustez, avec une crêpe bretonne, et sa bolée de cidre. Comme dans le Dan Brown, en moins lourd, en plus joli voyage, on vaque, de Bretagne maritime, en intérieure « Brest était malade de la guerre, mais Quimper sentait l'histoire de ses vieilles pierres »… de page en page « il pleut », non pas sur Nantes, mais, assurément, sur Brest. L'enquête s'annonce aussi claire que les pires cieux bretons, c'est vous dire ! On l'a confiée, et c'est un des bonheurs du livre, à un Lavigne, issu d'un lointain soleil toulousain, « pas breton pur beurre salé, mais tout de même têtu ». le bonhomme est de ces inspecteurs qu'on aime à fréquenter – en tous cas, moi – dans les séries TV, plus près de Colombo que du héros pistoléro. Il a l'accent d'en bas, des peines conjugales ; carbure à la bière : « avez vous une Coreff ? Juste de la tonnerre de Brest ; blonde ou brune ? Ambrée, aux algues ». Il est harcelé, comme il se doit, par « sa » juge qui l'apostrophe sans ménagements, au bout d'un portable qui chante un vieux Souchon « dans les poulaillers d'acajou, les belles basses cours à bijou… ».
Seulement – et ce n'est pas la première fois que Jean-François Joubert nous fait le coup – il y a, sous le polar tranquille et bretonnant, sous la crêpe et son cidre, un autre livre : celui qui connaît impeccablement sa région qui crève : « regardez ici, plus de boulangerie, les épiceries qui ferment les unes après les autres ; y a pas un jeune qui devrait s'enterrer dans ce coin paumé » ; le livre presque tragique – en tous cas, d'un réalisme noir – qui ouvre les portes de l'hôpital psychiatrique, où l'on compte le temps de dépression lourde en amnésie parfumée à la psychose… il y a aussi de ces faits divers, comme seule la province en fabrique – ceux où tout d'un coup on ne sait plus rien dire, si ce n'est se taire et détourner les yeux ; un homme se perd en mer, et des enfants sont morts…
Il y a enfin – peu de polars ont le culot de finir ainsi – ce rêve triste de poète ou d'oiseau (on ne sait) qui berce la fin du livre : « c'est là-bas que je veux voler, aller plus loin que mon regard, chercher les dernières forces, puiser dans son monde d'énergie la volonté d'avancer, pour être de nouveau saisi par la surprise, ce cadeau de l'enfance, ce temps où chaque pas, chaque battement d'ailes, chaque souffle… »
Un polar poétique aux parfums de Bretagne… Qui s'inscrit pour le voyage ?