Chroniques du sexisme ordinaire : chapitre deux

Bruno Francomme


Si débattre du sexe des anges évoque immanquablement la stérilité du cerveau, débattre du sexe du cerveau réveillerait plutôt la fécondité des démons…

 « Comme un garçon j’ai les cheveux longs… »  Distinguer les filles des garçons, à l’allure, au vêtement, au corps, à l’âme même, est une obcession toute masculine, à vrai dire toute phallocrate. De tous temps, on ne mélangea pas les torchons et les serviettes. On ne savait pas qui étaient les serviettes, mais les hommes décrétèrent que c’étaient eux. Il y avait bien quelque Eon pour brouiller les pistes, mais la génétique vint un jour assurer que quoi que vissent les yeux, toujours différence il y avait. On décréta que Y était supérieur à X, et on n’en parla plus…

Quelques guerres plus tard, l’oisiveté, mère (au foyer) de tous les vices, suggéra que peut-être… dans certains cas… le corps et l’esprit… pourraient éventuellement… avoir un sexe… différent. Tout cela sentait le roussi, mais point il n’y eut de bûcher, et c’est déjà miracle ! L’idée fit donc son chemin…

Et aujourd’hui ? Si l’on excepte les quelques adeptes du Saut de l’Ange*, marginaux au sens statistique du terme, la grande nouveauté c’est l’acceptation par certains hommes d’une certaine dose de féminité. Etre un vrai garçon manqué reste toujours plus valorisant pour une fille que jouer à la poupée comme une fille pour un garçon (ce dernier phénomène est en général versé au domaine médical…),  mais les choses ont un peu évolué. Toujours est-il qu’il ne s’agit là que d’une évolution culturelle… quoique…

Deux « choses » sont susceptibles de générer des caractéristiques physiques sexuellement différenciées : les gènes et les homones sexuelles. Les hormones, ou plutôt la proportion de chaque type d’hormones, c’est cela qui détermine le sexe physique d’un individu : il n’y a qu’à inverser les proportions pour s’en persuader… mais qu’en est-il du cerveau ?

Y a-t-il une composante sexuée du cerveau qui intervient sur la régulation des hormones, en amplifiant leur écart relatif pour créer des allumeuses et des toréros, en diminuant cet écart pour créer des poêtesses et des jardiniers ? Et quand bien même, est-ce qu’une poêtesse qui jardine, c’est la même chose qu’un jardinier qui rimaille ?

Ou bien…

Faut-il voir le sexe du cerveau et du corps comme on appréhende la latéralité, souvent identique pour l’œil, la main et le pied, mais parfois différente ?

Mon amour pour la liberté m’entraîne inexorablement vers la deuxième solution. Même si l’amour rend aveugle, les changements (chirurgicaux) de sexe, qui ne peuvent raisonnablement pas être mis sur le compte de caprices ou de mode, militent plutôt pour cette indépendance, comme l’homosexualité d’ailleurs, qui dissocie l’amour (cerveau) et la reproduction (corps). Et puis j’aime à m’imaginer en femme repliée en position fœtale dans mon cerveau, attendant l’hypothétique trépanation pratiquée par quelque supporter de foot en goguette… pêêê essgééé, pêêê essgééé, pêêê essgééé…

Mon goût pour l’observation objective me ramènerait plutôt vers les hormones : pour une même activité, le mâle va privilégier la performance mémorable, l’absolu ; la femelle va s’inscrire dans la durée, la solidité. L’emploi des termes mâle et femelle n’est pas innocent, ni méprisant : l’être humain est un animal, et l’animal, par delà les espèces, est soumis avant tout à l’impérieuse nécessité de la reproduction, et c’est le rôle des hormones que de l’y contraindre. Le mâle fait dans le spectaculaire et plante sa graine ; la femelle en prend soin le temps qu’il faut, sans se faire remarquer…

 Mon sens de la formule qui ronfle, enfin, me fait dire que ce qui importe, c’est de transcender son animalité, pour laisser s’exprimer le sexe du cerveau. Comme je sens bien que c’est toi, lectrice ou lecteur, qui commence à ronfler, je m’arrête ici. A suivre…

 (*) Du titre ô combien évocateur de l’ouvrage de Maud Marin

Copyright B. Francomme 2002

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