Chroniques sentimentales ordinaires (1) [extrait]
V. Quéprina
« J’ai froid »
Il se rapprocha doucement d’elle et étira son bras. Elle se raidit, frissonna et s’en dégagea subtilement. Il se rétracta. Il était partagé entre le désir de la prendre dans ses bras, de la serrer contre lui, de plonger discrètement son nez dans sa nuque pour respirer son senet celui de s’enfuir en courant, de mettre un terme à cette situation.
Elle était là, recroquevillée sur ce banc, les yeux embués, tenant ses genoux entre ses mains comme pour si elle se retenait d’exploser en morceaux. Il lui avait annoncé l’insoutenable quelques jours plus tôt, et depuis sa vie fonctionnait au ralenti. Le sommeil lui manquait, elle ne mangeait quasiment plus, elle ne parvenait plus à penser. Elle avait pleuré, versé des litres de larmes en pensant qu’évacuer toute cette flotte lui permettrait de se sentir mieux. En vain.
« Je ne te demande pas pourquoi, je veux juste savoir si tu es capable de recommencer. »
Il ne dit rien. Au fond, il ne pouvait répondre. Comment promettre que son corps ne ressentirait pas à nouveau le besoin de se substituer à son esprit ; comment lui assurer que son inconscient ne l’enverrait pas saborder leur relation.
« Est-ce que… j’ai été mauvaise quelque part ? Qu’est ce qu’il me manque ? Qu’est ce que je suis censée faire ? »
Il se murait dans son silence. Les mots sortaient difficilement de sa bouche et sa gorge était nouée. Evidemment, à ses yeux, elle n’a jamais eu la moindre lacune. Elle est probablement parfaite, il ne peut rien lui reprocher.
« Dis quelque chose ! Remets moi en cause, justifie toi, mais ne me laisse pas dans cette incohérence »
Il est inexcusable, il le sait. Il n’a pas préparé d’argument pour se défendre, il voulait juste être sincère. Son esprit s’embrouille autant que sa vue, il ne sait pas s’il pourra continuer à lui faire du mal.
« Je te veux, plus que tout. Je ne te pardonnerais pas, mais je souhaite qu’on avance ensemble, qu’on construise quelque chose en suivant juste l’intensité de nos sentiments. On est trop bien tous les deux, la plus grande cruauté serait de nous obliger à nous séparer. »
Une partie de lui-même sait qu’elle a raison. L’autre moitié est terrorisée par cette symbiose, cette entente qui le bouleverse au point qu’il a du mal à la supporter. Est-il capable de lui appartenir totalement ?
« Je ne pourrais jamais encaisser une autre aventure. Je ne suis pas prête à mourir une seconde fois. Tu vas devoir choisir. Entre cette vie ponctuée d’histoires sans lendemains, charnelles et exutoires, et entre la magie des instants que l’on passe ensemble. »
Il frissonna à son tour. Non pas que la fraicheur du soir l’avait emporté, il bouillonnait beaucoup trop pour ça. Mais elle le mettait face à une réalité intolérable, où il était incapable de savoir réellement ce qu’il désirait. Il se sentait comme un monstre. Elle du remarquer son désarroi car elle tourna doucement la tête vers lui, déplia ses jambes, et se leva en attrapant son sac.
« Ne me déçois pas ».
Il la vit tourner les talons. Il savait que ça serait peut-être la dernière fois qu’il pourrait regarder sa silhouette, ses courbes, son corps qu’il avait tant de fois saisi entre ses mains. Il senti alors son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Si lui avait si mal, elle, devait probablement agoniser.