CHUT! C'EST UN SECRET...
francine
CHUT ! C’EST UN SECRET…
Joie de vivre, innocence, toute la vie devant soi; elle avait un bon cinq ans cette petite, lorsqu’on la décrivait ainsi…
Pourtant à trois ans, elle avait déjà perdu sa joie de vivre et son innocence… « Chut ! Il ne faut pas en parler, ce sont des inventions …Elle a mentit ! Et que je n’entende jamais plus parler de ces choses-là…Compris? »
« Oui, mais à six ans est-ce que je peux raconter des nouvelles choses comme l’autre fois, il y a longtemps ? »
Inutile de poser la question ; des mensonges la première fois, pourquoi ce serait la vérité pour les fois suivantes ? J’avais bien compris ce « Chut ! »
Sans doute un imaginaire fertile… Peut-être un besoin d’attention, comme disaient mes parents! Mensonge ou vérité?
J’ose croire qu’il me reste tout autant de chemin à faire que j’en ai de fait; ne serait-ce que pour me sentir une vraie femme… Bon disons que je force un peu sur le calcul…Mais, d’ici là, cent quatre ans sera sûrement un âge « raisonnable »! Curieusement, c’est dans la joie de vivre et l’innocence d’un enfant, que j’aimerais poursuivre la route du reste de ma vie… Pourquoi? Tout simplement pour refaire mon parcours, en apprenant la confiance en soi et en découvrant toute la satisfaction de prendre sa place, dans l’absence de culpabilité… Je pense que pour me définir comme une adulte assumée, il m’aurait fallu passer par là… Peut-être que je me trompe? Je ne saurai jamais; la machine à remonter le temps, n’existe pas… À cent quatre ans peut-être?
Je peux quand même vous confier un autre secret sur la femme que je suis ou, que je suis devenue, avec mes peurs et mes silences : dans mon cœur, je suis restée une petite fille et mon langage et mon comportement me trahissent très souvent… C’est gênant pour moi, avouer cela!
Chut!!!
Une des traces indélébiles de ce passé caché, c’est la « peur »…Cette peur que je traîne tel un boulet à mes pieds depuis cette tendre enfance ; cette peur qui aura fait de cette petite brunette aux yeux verts une femme terrifiée face aux responsabilités et aux engagements de toutes sortes. Elle a pris pourtant plusieurs responsabilités, mais le sentiment de sécurité a toujours fait défaut.
Même si mes parents ont manqué à certains égards, je maintiens qu’ils ont été exceptionnels et que j’ai eu une vie hors du commun; ça aussi c’est une autre histoire mais, je tenais à dire que je n’en aurais pas voulu d’autres, pour rien au monde.
D’accord il faut bien grandir, il faut bien mûrir et toi cher époux, tu m’aurais dit : « Pas le choix Francine, il faut bien vieillir » … Et c’est ici que tout débute; l’enfant deviendra adulte !
Comme bien des parents, ils m’ont aimée, éduquée, préparée pour faciliter mon départ et, lorsque je suis devenue « adulte » et que j’ai fermé la porte derrière moi pour entrer dans le mariage, ils m’ont crue apte à conduire ma barque à bon port… Ils m’ont souhaité de vivre une vie heureuse et satisfaisante…
Pour toi qui partage ma vie, le jour de notre mariage, je savais combien tu étais mature et responsable pour tes vingt-cinq ans; orphelin de père, alors que tu étais très jeune et, vivant dans une famille de dix enfants en t’incluant, tu avais pris des responsabilités d’homme, très tôt…Tu connaissais le manque sous toutes ses formes… Moi avec mes vingt ans, élevée avec mon frère, dans un milieu où l’aisance financière de nos parents était une réalité, nous ne partions pas avec les mêmes défis… Mais, toujours j’étais dans l’insécurité… J’avais tellement peur de cette vie qui m’attendait, en plus de croire, que je n’avais aucun droit à l’erreur. Aussi banal que cela puisse te paraître aujourd’hui, je n’ai jamais su oublier tes paroles, lorsqu’après une année de fréquentions, je t’annonçais que je ne voulais plus de cette relation… Je sais que tu te souviens de m’avoir dit que je te faisais perdre un an de ta vie… Déjà le lendemain, comme je n’arrivais plus à supporter ma culpabilité, j’ai pris intérieurement, le plus grand engagement de ma vie, celui de reprendre avec toi et, à ta demande, j’accepterais le mariage pour le meilleur et pour le pire. Ma pensée alors, c’était que plus jamais je ne devais te faire perdre, ne serait-ce, qu’une infime partie de ton temps de vie; il s’est ajouté deux années de fréquentations … La vie pour moi, c’était sacrée; sauf la mienne! Quand je repense à tout cela, je suis triste… Je suis triste, non pas d’être mariée depuis trente-six ans, c’est une belle vie, que je fais; je suis triste d’avoir tant de difficultés à reconnaître que la mienne, ma vie, possède autant de valeur que celle de quiconque.
Tout était chamboulé dans ma tête et dans mon cœur; parfois j’avais l’impression qu’à six ans j’étais une femme et à vingt ans, un enfant. Je ne savais même pas ce qu’aimer telle une amante, telle une épouse et, prête à devenir mère, pouvaient représenter… Par contre, rien de cette ignorance ou, innocence sans doute, ne paraissait…Et, à vingt-quatre heures du mariage, une immense peine se pointe, parce que je sais que je suis entrée dans la phase du silence et du non-retour… Mon angoisse prend alors des proportions immenses; ce genre d’état qui aurait nécessité de l’aide thérapeutique je crois, pour retrouver mes esprits et mon calme, afin de prendre des décisions éclairées… Impensable voyons ! Et impensable de dire à mon futur époux l’état dans lequel j’étais à quelques heures du grand jour. Que faire alors? J’ai eu la chance incroyable de passer cette dernière nuit avec une généreuse et gentille tante qui a su éponger mes larmes et calmer mes peurs…Mais, elle ne savait pas et, elle n’a jamais su mon désir de rebrousser chemin, ni la raison d’un tel torrent de larmes; mais elle me faisait tant de bien. Elle est toujours demeurée pour moi la tante que j’aime par-dessus tout et encore aujourd’hui, la recevoir est un honneur pour moi. En passant, cher mari, elle t’adore et te trouve exceptionnel. Elle a raison, tu sais ! Mais toi, aurais-tu gardé silence comme moi, dans les mêmes circonstances ?
C’est ainsi que d’une certaine manière tu es devenu mon meilleur Ami! J’ai appris de toi tant de choses, mais surtout, tu m’as tellement protégée; je pense qu’il ne pouvait en être autrement, n’est-ce pas ? Tu connaissais ma vulnérabilité et ma facilité à la soumission… Donc tu es devenu mon professeur en conduite automobile; ça, c’est avant le mariage !!! Par la suite, tu es devenu mon mari, mon amant et mon protecteur attitré. Aussi, tu as été le constructeur de notre maison, avec tout ce que cela peut exiger... Et tu savais faire le ménage, l’épicerie, magasiner tous nos cadeaux de Noël, même ceux que je t’offrais parfois! Tu t’occupais de la comptabilité de la maison, de l’aspect gestion dans sa totalité et, du type et du montant d’assurances nécessaires à nos besoins. Tu savais réparer à peu près tout ce qui peut briser au niveau matériel, en plus d’assumer l’achat, le paiement et l’entretien de nos voitures. Pour les cartes de crédit, tu décidais les sortes qui pouvaient m’être utiles dans mon portefeuille ainsi que le « quand et le pourquoi de leur utilisation», sans oublier les limites de crédit permises. Tu décidais aussi, les emprunts nécessaires et quand ils étaient issus de mon compte, ta signature était obligatoire, parce qu’en plus c’était la politique du temps; une femme n’avait pas ce droit! Et, tu savais faire le lavage, un peu de popote et, tellement plus encore… À présent tu sais toujours faire toutes ces choses; oui tu les fais toutes, mais, dans une version améliorée!
À tout cela, il y un aspect dans lequel tu es demeuré inégalable, c’est ton extraordinaire façon d’être un « papa ». Les filles t’adorent et, Bon Dieu qu’elles ont raison. Selon moi tu appartiens au type de père qu’on dit « modèle », tant par leur authenticité que leur intégrité en y ajoutant bien sûr, tout ce côté honnête qui fait de toi un homme de principe, qui inspire confiance et respect, tout en possédant cette merveilleuse façon de les aimer! Je sais que j’en oublie et je sais aussi que tu es vraiment plus que mes descriptions précédentes. Tu veux que je te dise, je te trouve chanceux et souvent, je t’envie ta capacité de savoir te débrouiller si bien dans la vie. Moi je n’ai pas su et, je ne crois pas que je puisse y arriver facilement après toutes ces années. Quand, pendant bientôt quarante ans, tu développes une dépendance comme la mienne, il y a de fortes chances que l’autonomie n’atteigne jamais son apogée… Essaie simplement d’imaginer ce que ça peut représenter; mais, je ne dis pas que c’est impossible. Tu m’as toujours dit qu’il y avait plein de gens autour de moi qui sont en position de m’aider en tout temps; ici, je comprends que c’est de l’aspect financier dont tu parles … Plus simple à dire qu’à faire; je sais, que tu veux me rassurer... Parvenir à me sécuriser suffisamment, après autant d’abandon et de soumission dans ma prise de contrôle? Je suis forcée de reconnaître, que les personnes chargées de prendre ta relève, savent mieux que moi, ce qui est bon pour moi !!! Je peux accepter ça, dans la mesure qu’on reste dans les finances…
Chaque jour, je vis dans l’isolement volontaire, parce que toute la sécurité que je peux ressentir et dont je ne sais plus me passer, est concentrée ici, autour de toi et avec toi, et ce n’est pas un reproche … Pourquoi étais-je « presque contente » d’avoir eu suffisamment de douleur et de dommage aux articulations pour être forcée de prendre une retraite, qui sans cela, aurait pu être retardée de plusieurs années? Oui, j’ai bien dit «presque contente » !!! Je pense que c’était la seule manière pour continuer de vivre… Vivre dans une sécurité qui s’est vue écorchée tout au long de mes trente-deux ans de carrière, sans compter les quatre ans de travail qui ont précédé mon diplôme; jouissif que tout s’arrête!!!
Il fallait que je passe à autre chose …
Des responsabilités importantes, lorsque je t’ai rencontré, à part le gardiennage, je n’avais pas eu l’occasion d’en prendre; alors que toi à vingt-cinq ans, tu étais devenu un homme débrouillard, qui savait ce qu’il voulait et, à qui on ne passait pas n’importe quoi… Et j’ajouterai que ce n’est pas parce que tu savais très bien gérer nos vies, que je savais obligatoirement, bien gérer la mienne… Et je te dirais aussi, que je m’en sens encore incapable… Adulte d’abord par mes parents protecteurs, qui me faisaient faire tant de choses sans jamais lâcher ma main; enfant par la suite, par mon mari protecteur qui ne voulait que mon bien… Aujourd’hui je me définirais comme une femme plutôt naïve et, d’une grande insécurité… Oui, très peu de confiance en elle et, aux prises avec des tas de peurs, cherchant souvent la lumière au bout du tunnel… Quand j’y pense vraiment, je déteste ce que je ressens, parce que je réalise que j’ai accepté d’être une victime et que j’ai agi en victime toute ma vie…
J’allais terminer mon texte lorsque j’ai entendu mon conjoint m’interpeller pour savoir si la fraîcheur de mon vin blanc était adéquate…
Réponse :
« Oui mon vin est assez froid »…
« J’ai tenté de te dire que je le préfère quelque temps au congélateur… Je te l’ai même demandé lorsque tu es venu me voir au sous-sol … Tu n’en as pas tenu compte !!! Quand je suis montée m’en servir une coupe et qu’il était dans la partie réfrigérante, je t’ai demandé pourquoi et, tu m’as répondu qu’il était au frigo depuis deux jours et qu’il était assez froid !!! Les quelques bières au congélateur étaient sans doute pour compléter notre peu de vin; je ne bois pas de bière! Mais, je dois répondre quoi, lorsque tu me demandes si mon vin est assez froid ? De plus tu as dit devant notre fille que ce n’était pas ce soir que je m’enivrerais, puisqu’il n’y avait qu’une seule bouteille pour nous deux!!! En passant, je ne suis pas alcoolique, tu le sais très bien… Donc, pourquoi, cette attitude et ce comportement envers moi? J’y vois une seule raison, le « contrôle ». Et ça me blesse toujours, cette façon de me faire traiter…
C’est ainsi, je crois, que j’en viens à ne plus croire et ne plus savoir si mes goûts existent. C’est par ce genre d’attitude que je demeure dans la non confiance, dans la peur et l’ignorance. J’ai toujours cru qu’un goût ça ne se discutait pas; toi tu as les tiens, et tu les vis et les exprimes à ta manière et, bien mal venu celui qui osera te faire essayer quelque chose qui ne te convient pas…Cela s’applique dans toutes les sphères de ton existence…
Questions : « Ai-je le droit à l’existence et à la vie? Ai-je des goûts personnels? Suis-je une adulte capable de choisir, capable de responsabilités dans cette maison ? Est-ce que je suis prise au sérieux, lorsque je manifeste un désir, un choix ou un goût? Est-ce jouer à la victime lorsque je pose ce genre de question?
Je crois deviner ta réaction à la lecture de ce texte; mais j’ose tout de même te l’offrir, à défaut d’arriver à te le dire; nous avons parlé des centaines de fois de ce sujet qu’est le contrôle et, j’ai encore besoin d’en parler… Selon moi, c’est que le problème demeure entier… J’essaie de me définir, quel qu’en soit le prix; je veux ma place dans cette vie… Nous avons été créés pour être heureux; c’est non seulement un droit, c’est un devoir! Et, personne ne peut définir, ni affirmer connaître, ce qu’est le bonheur pour l’autre…
Bon, je sais que tu t’interroges sur ce que j’écris, mais aujourd’hui, j’ai fait le premier bilan de la fin de 2010…
P.S. : Cher mari, « Merci d’avoir accepté », après en avoir fait la lecture, que j’offre ce texte aux membres et aux lecteurs de Welovewords; je crois qu’il peut m’aider à retrouver cette voix qui s’éteint au moindre stress… J’y vois une grande preuve de générosité de ta part et très certainement, une véritable marque d’amour.
Si seulement, « Chut! » n’avait jamais existé…