CIBLE ROUGE

Sylviane Blineau

Il s'agit de la 1ère nouvelle, raccourcie hier. Le fil conducteur en est la couleur rouge: intrigue, ambiance, personnages et sentiments.


  J'ai toujours beaucoup aimé les enfants.

Je  le  revois  encore,  l'enfant. Cette  beauté d'enfant   brun. Le   jus  d'une   grenade  éclatée  coule  sur  son  menton.  Il  s'applique  à  la déguster.

Coeur battant, je suis arrêtée à cinq pas de lui, l'enfant brun au regard innocent. Nos yeux se croisent, il porte la main à son visage et, d'un revers vif, étale le jus framboisé sur sa joue.

Tout  est   calme  en  ce   matin  d'automne.  Bonheur  de  l'enfance, simplicité de la vie. Le cœur battant, je l'appelle. Lui, moi,  presque face   à  face.  Il vient  sans  hâte,  son tee-shirt  lumineux   le    fait  ressembler à  un  coquelicot tout neuf, à  peine  défroissé. Il avance, les yeux baissés, un rien craintif. Un pas, puis deux.

Soudain,  ce  bruit  énorme,  freins,  ferraille.  Pas un  cri.  Juste  un  bruit  énorme...

Je me retourne.

Ecrasé, le petit. Juste un  corps  sanguinolent  et muet, une  grenade éventrée.

Si  je  ne  l'avais  hélé,  il   serait resté sagement assis sur  son  banc, devant  le   bac  aux   géraniums, attentif   au   goût  du   fruit.  Avec  délices, il picorerait les grains vermeils.

Voilà.

Je me projette sur  le mur où  n'est  pas  ma   place. Avec  insistance, je  m'y colle comme  un  insecte  malfaisant. D'instinct,  je me  veux cible ; je suis centre de  cible, si rouge  qu'aucune lave  n'oserait m'y  frôler. Je me  maudis. Je ne peux que me maudire !

Bientôt, le  noir  des  éplorées va  se  répandre dans le village. Je ne serai pas du cortège funèbre. Aucun droit officiel. Pourtant...

Pourtant, Pedrito, je suis celle qui le pleurera jour et nuit.   Ma   brûlure  ne   sera   que   pour   moi,  à  la  fois secrète  irradiante et vivifiante.

Cet enfant,  fruit  de ma  jeunesse  passionnée, cette faute  m'ayant marquée au fer rouge, c'étaient lui.

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