Cinq minutes d'amitié

Dominique Capo

chronique personnelle

Cette nuit, je n'ai que très peu dormi, et pour ce faire, j'ai dû, vers 4h du matin, me gaver de tranquillisants afin de pouvoir me décontracter, ôter momentanément de mon esprit toutes les angoisses et l'infinie tristesse, le désespoir, dont j'étais la proie. Des pensées ne cessaient de me hanter depuis le soir ; je ne suis parvenu qu'à les faire taire après avoir rédigé le brouillon du texte qui va suivre.

Par contre, ce que je peux vous dire, c'est que j'ai beaucoup pleuré. Qu'un chagrin immense m'a envahi, un sentiment d'isolement, un vide, un manque d'envie de poursuivre ce pour quoi je me bats chaque jour au travers de mes articles, de mes textes, de mes poèmes, etc. A quoi bon, quand j'y songe !!!

Car si j'écris avant tout pour moi, c'est aussi pour partager ce que mes mots relatent avec les êtres qui me sont chers, qui comptent particulièrement, pour lesquels je serai déplacer des montagnes afin de leur apporter un peu de joie, de bonheur ; pour partager un peu de moi-même, de ce que j'ai au fond de mon cœur, de mon âme ; pour évoquer au quotidien, par de simples petits gestes, parfois anodins, parfois sans raison autre que de de rédiger quelques mots amicaux qui n'ont d'autre but que de montrer que je suis aux cotés de la personne – ou des personnes – à laquelle je suis liée amicalement. Juste cela, rien de plus, rien de moins. Et pourtant, ce petit rien, le plus souvent, par les échanges que nous avons, sont plus importants, sont plus essentiels, que les longs discours, les longues conversations en mp – bien qu'elles aient leur importance aussi – auxquelles nous nous adonnons trop rarement.

Que ce soit vous ou n'importe laquelle des personnes à laquelle je suis liée amicalement ici ou ailleurs, vous n'êtes pas conscient de la chance que vous avez – même si je sais parfaitement ; j'en suis o combien conscient – d'être entourée quotidiennement par les vôtres ; par votre famille, par vos amis, par vos collègues, par des rencontres plus ou éphémères de par vos activités, etc. Tous ces gens vous portent de l'attention, naturellement, sans que vous n'ayez besoin de vous rappeler à leur bon souvenir. Tous ces gens vous sollicitent, désirent votre compagnie, partager des discussions amicales, chaleureuses, pleines de rires, de débats sérieux, anodins, ou joyeux. Des anecdotes tellement simples, tellement faciles, tellement plaisantes, tellement agréables, qui appartiennent au quotidien de l'immense majorité des gens.

Oui, pour l'immense majorité des gens. Et je suis également conscient que c'est parfois lourd à porter. Que parfois, le soir, une fois rentré chez soi, on n'a qu'une seule envie : se détendre, se changer les idées, se reposer, profiter de sa tite famille, et des instants précieux, privilégiés, que l'on peut avoir avec eux, avec ses enfants notamment. Qu'il faut penser et se consacrer aux charges du quotidien : courses, repas, ménage, factures, rendez-vous, lave-linge, etc. C'est vrai que, parfois, ce sont des éléments de notre existence dont on aimerait pouvoir se débarrasser au plus vite pour profiter pleinement des heureux en compagnie des gens qu'on aime et qui nous aiment. Délaisser toutes ces corvées. Laisser derrière soi tout ce qui nous en éloigne.

Tout ceci concerne l'immense majorité des gens. Personnellement, je sais que je n'aurai jamais le bonheur d'être père, d'avoir des enfants. La personne qui a la sclérose en plaques et dont je m'occupe à plein temps est une charge à plein temps. Je m'y emploie volontiers, parce que c'est une personne de ma famille. Elle n'a que moi. Elle a besoin de moi. Elle ne peut pas se débrouiller sans moi – de moins en moins même. Elle ne peut se déplacer seule.Je ne peux la laisser cinq minutes sans que sa maladie ou son handicap – elle a une légère atrophie du cervelet qui lui fait perdre régulièrement la mémoire immédiate, qui la rend lente ; ceci accentué depuis cinq ans par l'évolution des effets de sa sclérose en plaques – n'engendre maladresses et catastrophes domestiques.

Pourtant, que j'aimerai être confronté aux mêmes difficultés. Que je sois sollicité, que je sois le centre de l'attention, que je sois celui avec qui on aime naturellement être, vers qui on se tourne parce qu'on apprécie sa compagnie.

Que j'aimerai être fatigué de devoir répondre à ces gens qui demandent après moi. Que j'aimerai que ma famille désire mon attention, rire avec elle, partager des instants privilégiés avec elle parce que ce que je fais de part mon métier est reconnu, considéré, recherché – en dehors des quelques dizaines de personnes qui me suivent quotidiennement ou régulièrement sur Facebook – parmi les centaines ou milliers d'autres qui m'y suivent épisodiquement. Que j'aimerai ne pas avoir à me réfugier devant mon ordinateur pour avoir la possibilité de partager ce que je vis, ce que je ressens. Que j'aimerai être vu tel que je suis au-delà de ses apparences ou mes cicatrices, mes blessures intérieures et extérieures m'empoisonnent, me détruisent, m'épuisent quotidiennement.

Ou chaque jour n'est pas une épreuve, ou chaque jour, je suis isolé, ou chaque jour je pleure cette vie a laquelle je suis condamnée, tout en me battant jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'anéantissement, pour accéder a un peu de chaleur humaine, a un peu d'amitié, a un peu de marques d'affection, a un peu de compassion ou de tendresse.

Avoir ce sentiment d'exister, d'être aussi important que n'importe qui auprès de ceux et de celles que j'apprécie, que j'aime. Auprès, surtout, de ces quelques personnes avec lesquelles je communique par SMS ou mp et que je considère comme appartenant à ma famille, si elle n'est pas de sang, mais de cœur. Et c'est tout aussi essentiel ; du moins à mes yeux.

Moi qui n'ai pas ces soucis du quotidien décrits plus hauts, parce que je n'ai pas choisi d'être celui que je suis, de suivre le chemin qui est le mien, c'est pour cette raison que j'ai choisi le métier d'écrivain-historien. Il est aussi une vocation autant qu'une passion – et est idéal dans ma situation, je dois bien l'avouer. Incapable de sortir de chez elle sans mon aide, sans mon soutien permanent, je suis toujours à proximité s'il arrive quelque chose.

Heureusement, elle comme moi somme entourés par une aide-ménagère, trois fois par semaine. Un kinésithérapeute deux fois par semaine. Nous voyons son neurologue tous les six mois pour surveiller l'évolution de sa maladie. Quant à notre famille, nous ne la voyons que très rarement. Déjà parce que l'essentiel de celle-ci habite à 300km de chez nous.

Ensuite, parce qu'avec le temps, la sclérose en plaques de cette personne évoluant, elle est davantage une contrainte qu'autre chose. Que les membres de notre famille ont leur propre vie à mener, que certains sont âgés et qu'ils n'aspirent qu'à la paix et à la tranquillité, à la sérénité et au calme, que nous venons perturber, elle et moi, lorsque nous sommes en contact avec eux. Nous venons déstabiliser leurs habitudes, leurs repères, ce qui induit régulièrement de la pression, du stress, des conflits. Lesquelles viennent s'ajouter à mes propres inquiétudes, à mes propres angoisses, à mes propres fragilités, dues aux épreuves que j'ai traversées seul depuis mon enfance : moqueries, rejets, mépris, abandons sentimentaux ou amicaux, solitudes, désespoirs, manque de confiance en soi, humiliations, déconvenues professionnelles, etc.

Tout cela parce que j'ai une légère hémiplégie du coté droit, des crises de convulsions épisodiques, une tache de naissance sur une partie du visage. Je me suis fait faire de la chirurgie esthétique au milieu des années 90, - à ses balbutiements – qui a raté. Depuis, et aujourd'hui encore, mon visage est doté d'une légère asymétrie. Des cicatrices dues à ses opérations esthétiques ratées le constellent. La paupière de mon œil gauche est légèrement plus lourde que l'autre. Une barre va de mon nez au plissement de ma bouche. Renforçant ainsi son aspect « gueule cassée ».

J'en ai souffert toute ma vie ; pas physiquement, mais mentalement, psychologiquement. Je vis avec, je m'y suis fait, bon gré mal gré. De toute façon, je n'ai pas le choix. J'ai suivi, durant des années, de longues séances avec plusieurs psychologues, afin de comprendre d'où venait cette amertume, cette tristesse, cette souffrance psychique, perpétuelle. Aujourd'hui, je sais, je comprends, etc. d'où tout cela vient ; au plus profond de mon âme et de mon cœur. Ma raison l'explique, le détaille, et réalise les tenants et les aboutissants. Pourquoi, très tôt, du fait du regard des autres, et des femmes en particulier, je me suis replié sur moi-même.

Pourquoi la beauté, la lumière qui émane de certaines personnes que j'ai croisé – ou que je croise – au cours de mon existence, ont tellement d'importance. Pourquoi l'amitié que je leur voue est inconditionnelle, que mes marques d'amitié à leur égard, non seulement parce qu'elles ont une personnalité dans laquelle je me retrouve, empreinte, du moins partiellement, a tant de valeur. Que je ne déroge jamais aux marques d'amitié que je leur voue quotidiennement – par SMS, par MP, par la publication de mes textes quotidiens, etc -.

Mème si cela me demande du temps, de l'énergie, de l'attention, que je pourrais consacrer à autre chose, à la poursuite de la rédaction de mon ouvrage sur le Nazisme par exemple. Cela me tient tellement à cœur, et auquel je me consacre entièrement par mes recherches, mes réflexions, mes lectures, mes corrections, etc.

Mais en même temps, j'ai besoin de ces échanges, de la marque de cette amitié, par SMS, en mp, par ces textes. C'est tout ce que j'ai pour avoir le sentiment d'être quelqu'un qui en vaut la peine. Pour ne pas être oublié, négligé, comme je l'ai été si souvent tout le long de ma vie au gré des vicissitudes de l'existence.

Alors, si être sollicité en permanence, être entouré alors qu'on désire la paix et la tranquillité parfois, si ça peut parfois être une malédiction, est loin d'être l'enfer de la solitude et du silence que je subis quotidiennement – volontairement, du fait que je m'occupe de cette personne qui a la sclérose en plaques, et de mon métier -, et involontairement, parce que ma vie est imprégnée de ces oublis perpétuels. Ce boulet, cette dernière roue du carrosse vers laquelle on se tourne quand on n'a rien d'autre à faire, quand on n'a un petit moment de libre à combler.

Dominique, toujours là, à l'écoute, toujours présent. Prêt à déplacer des montagnes pour montrer l'attachement, amical ou autre, qu'il a auprès de ceux et de celles qui comptent à ses yeux. Dominique, qui s'oublie, qui pense d'abord à se vouer aux autres, quitte, parfois, à mettre sa santé, physique ou mentale, en péril. Qui est contraint de quémander un peu d'attention pour avoir le sentiment d'exister aux yeux de ceux et de celles qui lui sont chers. Qui est prêt, éventuellement, à se déplacer jusqu'à l'autre bout de la France, mème si c'est difficile vu sa situation, pour partager un moment, un déjeuner, une discussion, un échange, avec ceux et celles qui ont de l'importance à ses yeux. Qui se manifeste à ces mêmes personnes parce que c'est un plaisir et non une contrainte. Parce que les valeurs que représentent l'amitié de ces personnes est primordiale dans sa vie, un pilier essentiel de ce qu'il porte en lui, de ce en quoi il croit. Quitte à sacrifier beaucoup d'autres choses à coté de cela, juste pour partager ces moments privilégiés, ces échanges par SMS, en mp, au travers de ses textes.

Je ne suis pas le plus malheureux du monde, j'en conviens. Jamais je ne l'oublie. J'ai un bel appartement, des revenus réguliers, une famille, un métier qui me passionne, qui est ma vocation.

Il y a des gens qui sont confrontés à la mort, à la souffrance, à la guerre, à la famine, qui ont des difficultés financières, juridiques, qui sont confrontés à la drogue, à la violence, à l'alcoolisme, aux persécutions, à l'homophobie, aux harcèlements, etc. Jamais je n'oublie cela, et si j'en parle dans certains de mes articles parfois, parce que ce sont des sujets qui me tiennent à cœur, qui me font énormément de peine pour tous ceux et toutes celles qui les subissent. Ces injustices, ces monstruosités, me font souffrir moralement. Elles me pèsent, et si au travers de mes mots, je peux humblement contribuer a faire prendre conscience des conséquences de tout cela, a faire modestement évoluer les mentalités – juste une toute petite pierre au milieu de milliards de milliards d'autres -, je n'aurai pas vécu en vain.

Dois-je pour autant me résigner d'être celui qui vient toujours après, parce qu'il y a des plus malheureux que moi ? N'ai je pas droit, moi aussi, d'atteindre un peu de ce rêve auprès duquel je cours depuis toujours : être aussi important que n'importe quel proche, ami, vers qui on se tourne naturellement. Sans avoir le sentiment d'être un boulet, d'être quelqu'un qui vient en dernier, quand on a rien d'autre a faire, quand on a un peu de temps libre à perdre. Rien que d'y songer est une intolérable souffrance, une torture de chaque instant qui me mine, me détruit, me lacère.

A une époque, durant une des périodes les plus noires de mon existence, quand je pensais a ça, je me lacérai les bras a coup de cutter, tellement j'en souffrais intérieurement ; et la souffrance physique était mille fois moins vive que celle qui annihilait mon cœur et mon âme. Cette souffrance physique me faisait momentanément oublier ma souffrance intérieure. A cette époque, je hurlais, je désirais mettre fin à mes jours – rassure vous, ce n'est plus le cas -, tellement ça me détruisait. Comme ça me détruit encore aujourd'hui de savoir que je passe, et que je passerai toujours après. Toujours

C'est pour cette raison que ces échanges par mp, SMS, textes, ont tant de valeur à mes yeux. C'est tout ce que j'ai pour pouvoir tenir le coup, pour ne pas sombrer. Cette amitié est ma lumière, mon horizon, mon espoir, et jamais je n'y dérogerai, mème si je suis occupé, mème si je suis en famille, mème si je suis fatigué, mème s'il est tard, peu importe. Je connais la valeur de ce qu'est l'amitié.

Combien elle peut être précieuse, réconfortante, combien elle peut rendre heureux, faire retrouver le sourire, l'espoir, l'envie de se battre, d'aller de l'avant, de surmonter tous les obstacles. Cette amitié, véritable, sincère, fidèle, est un trésor. A enrichir, à alimenter, a partager. Dans les moments de malheurs comme de bonheur, de tristesse comme de joie, de solitude ou quand on est entouré, quand on est est en famille ou au travail.

Juste prendre cinq minutes pour l'autre, parce que l'autre est précieux. Il a ses défauts et ses qualités, ses forces et ses faiblesses, sa sensibilité, ses fragilité, on a tous nos priorités, personnelles, familiales, professionnelles, etc. Mais cinq minutes pour montrer que l'autre est important, qu'est ce que c'est ? Est-ce si contraignant pour les gens qui comptent vraiment.

Pas pour moi en tout cas. Ou alors, c'est que je n'en vaux pas la peine. Est-ce cela la leçon que je doive retenir de tout cela ? Si oui, alors c'est que je suis réellement, comme on me l'a toujours fait comprendre, un moins que rien...

  • Houlà là Que dire devant une telle confession !
    Même dans notre beau pays nous ne naissons pas tous égaux.
    Se tourner vers les autres est très certainement une bonne solution , cela reste une belle leçon de la vie pour les autres.

    · Il y a environ 6 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

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