Circlo - Chapitre 2

aren_seondi

La suite des aventures de Martin Felder.

II

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L'avion

 

 

 

Comme convenu, les trois lascars que Martin devait interroger attendaient près de l'avion. Clopes au bec, ils parlaient de la nouvelle Fire-Minson, une voiture que l'inspecteur aurait rêvé de piloter mais la conversation s'interrompit à son approche.

—      Bien le bonjour inspecteur, dit Luke Williamson le médecin légiste qu'il connaissait bien, un petit homme aux cheveux grisonnant et aux lunettes à double foyer, sans oublier son manteau trop grand qu'il trimbalait partout.

—      Bonjour Luke, comment vont les enfants ?

—      Très bien, très bien, répondit ce dernier avec un sourire. Leur mère m'a demandé de les emmener plus souvent en balade. Je les ai emmenés à la morgue. Je crois qu'ils en ont pour quelques années avant de me redemander pareille sottise – et de manger de la viande.

Martin sourit, Luke était véritablement un expert en relations sociales. Du haut de ses cinquante huit années de vie sur cette Terre, le médecin légiste de Holy Kark avait conclu bien des choses sur la nature humaine et notamment sur la sienne : il détestait qu'on l'embête. Il faisait son travail et il le faisait bien, mais c'était toujours à sa manière et si quelque imprudent lui demandait le contraire, il servait son très sec et habituel : « foutez-moi la paix je connais mon boulot. »

Heureusement, Martin s'en était fait un ami, de longue date depuis et le médecin le conseillait bien. Il lui avait même suggéré de faire la vaisselle plutôt que d'en voler toutes les semaines à la cantine du commissariat, et lui avait aussi apporté tout son savoir à chaque fois qu'une enquête l'exigeait et ce même en vacances avec sa famille à l'autre bout du comté. De son côté, Martin lui fournissait toujours de quoi sustenter son intellect. Un échange en bonne et due forme en quelques sortes.

—      Je n'ai pourtant pas perdu goût à la viande moi la première fois, dit Martin.

—      Oh, moi non plus Martin, moi non plus. Mais tu sais les nouvelles générations ne valent pas les nôtres…

—      Tu l'as dit Luke. Alors, pourquoi es-tu ici ? Il y a eu un meurtre ?

—      Ah, dit le médecin légiste. Telle est la question. La mort du pilote n'est cependant pas naturelle. Je peux te le certifier. Des restes du corps du pilote, il se trouve que la tête était en parfait état. Je te passe les détails mais elle présentait un impact de balle en plein front.

—      La balle est venue d'où ?

—      De devant, c'est bien le plus intriguant Martin. Le pilote a-t-il tourné la tête pour se faire tirer une balle dedans ? Je ne saurais le dire. Mais si ce n'est pas le cas, alors…

—      Dans tous les cas, il s'agit d'un meurtre Luke.

—      J'en ai bien peur.

—      Merci doc, tu peux rentrer au labo. Je vais interroger les deux autres malandrins.

—      Oui, oui, j'ai d'autres examens à faire. A plus tard inspecteur. A plus tard.

Luke s'éloigna en prenant son temps pendant que Martin s'approchait l'air dubitatif du commandant Jules Divern. Celui-ci était en uniforme de pilote bleu marine. Il était grand, svelte, blond et très élégant. De quoi agacer d'emblée l'inspecteur.

—      Bonjour, commissaire, dit Divern.

—      C'est inspecteur, rectifia sèchement Martin. Et oui, bon jour pour une enquête de merde.

—      Haha, rit poliment le commandant.

—      J'ai quelques questions à vous poser. Premièrement, qui était dans l'avion au moment des faits et combien de personnes y avait-il dans le cockpit.

—      Eh bien, commença le blond commandant, c'était un avion affrété par un couple de vieilles personnes riches et charitables.

—      Riches et charitables ?

—      Oui, continua Divern. Monsieur et Madame De Vergonde. Ils étaient très gentils et faisaient pas mal de dons au refuge pour animaux dont je m'occupe les week-ends et jours fériés.

—      Ils avaient des ennemis ? demanda Martin au cas où.

—      Euh, à part les ennemis des bêtes, je ne voie pas.

A ce moment là, l'inspecteur se demanda bien malgré lui si toute cette affaire n'était pas une somptueuse farce. Il vit à quelques pas de lui le graisseux mécanicien Henry Mernon s'amuser à lancer un bout de bois à un clebs. Il redouta devoir interroger cet hurluberlu.

—      Et dans le cockpit ? poursuivit-t-il.

—      Il y avait mon ami Joe Clarkson, répondit le commandant. D'ailleurs il devait me rendre mon barbecue cet enfoiré. C'est vrai les beaux jours arrivent ce sera bientôt la période des grillades. J'irai chez lui le récupérer tiens, y a pas de raison.

—      N'oubliez pas le charbon. Pas de copilote ?

—      Non, pas pour ce type d'avion. J'y penserai, merci. C'est un petit jet privé. Ca se pilote les yeux fermés.

—      D'où le crash, conclut Martin. Une fois le pilote supprimé, l'avion n'avait plus personne à ses commandes. Merci commandant pour ces explications. Veillez tout de même à rester à disposition le temps de l'enquête.

—      Ne vous inquiétez pas, tous les vols ont été annulés jusqu'à la fin du mois.

—      Très bien, merci. Bonne journée.

—      Bonne journée commissaire.

Martin maugréa tout bas et s'approcha à reculons du mécanicien spécialiste Henry Mernon. L'individu, de petite taille et de grande largeur, en tenue de mécanicien, était en train de caresser joyeusement le chien. Il se releva et tendit la main à l'inspecteur pour le saluer le voyant se tenir à côté de lui.

—      Sans façon, dit Martin qui ne voulait définitivement pas serrer une main sale.

—      Oh ? Bon.

—      Qu'est-ce que vous pouvez me dire sur ce crash ? demanda l'inspecteur.

—      Euh, bah l'avion était en parfait état. Et, euh, bah c'est tout.

—      Mais pourquoi vous êtes là ?

—      On m'a dit de venir ici.

—      Et vous êtes venu, c'est logique. Bon merci mais je n'ai pas besoin de vous ici. Vous pouvez rentrer chez vous.

—      Ah, bien, merci. Je vous laisse le chien alors.

—      Non.

—      Comment ça non ? s'interloqua le mécanicien dont le goitre flasque ondula sous la surprise.

—      Je n'aime pas ça.

—      Mais je ne peux pas le prendre moi, j'ai déjà quatre enfants et ma femme est allergique. C'est dommage, si j'avais su je l'aurais confié au commandant, il s'occupe très bien des bêtes lui.

—      Oui vous auriez dû, confirma Martin agacé.

—      Alors vous faites quoi ? Vous n'allez pas le laisser là quand même ? ! Un commissaire de votre envergure !

—      Inspecteur seulement !

Martin était véritablement agacé. Son cœur lui disait de refuser mais sa conscience lui interdisait d'abandonner seul à son sort ce clebs aussi clébard fut-il.

—    C'est quoi comme… espèce ? demanda-t-il.

—    C'est un berger allemand.

—    Un berger allemand ?

—      Oui et il a l'air de vous apprécier en plus. Bon c'est entendu je vous le laisse. Merci inspecteur. Et bonne journée.

—      Oui… bonne… journée…

Le mécanicien partit tandis que le chien restait assis devant Martin. Un chien ? Réellement ? se demanda l'inspecteur. Oui, se dit-il. Le chien miraculé. L'élu de Dieu. Celui qui survécut à ses maîtres ! C'était incroyable. Une journée ne pouvait se dérouler si mal que ça !

Martin alluma une cigarette et le chien aboya. « Oh ça va le clebs, tu vas pas me la jouer pourfendeur des insanités ! » Il tira sur sa cigarette et expira la fumée lentement. Il pointa le chien du doigt : « tu me suis sans faire d'histoire et tu te fais pas remarquer. Si tu dévies je te bute. C'est clair le clebs ? » Le chien aboya. « Bien, alors en route. On va faire un tour chez les voisins des De Vergonde. Non mais quel nom je t'assure… »

Ils se mirent en route, le chien emboîtant le pas de son maître de fortune. Ils devaient récupérer l'adresse des De Vergonde et pour ça le moyen le plus rapide, c'était de trouver un annuaire. Ils se pointèrent devant la porte d'un immeuble et sonnèrent. Une vieille dame ouvrit la porte quelques secondes plus tard. Martin lui montra son badge d'inspecteur, le passe-partout qu'il affectionnait en de rares occasions, et demanda à consulter l'annuaire. La vieille dame partit et revint au bout de quelques minutes durant lesquelles Martin intima au chien l'ordre de s'asseoir – ce que fit l'animal sans broncher. Une fois l'annuaire en mains, Martin put prendre l'adresse des De Vergonde sur un calepin qu'il gardait toujours dans sa poche intérieure de veste, remercier la vieille dame et lui souhaiter une meilleure journée que la sienne. Il repartit accompagné du chien vers les quartiers aisés du village. Le village étant déjà aisé, ces quartiers étaient véritablement luxueux.

De grandes et vastes maisons s'étendaient le long d'une route parfaitement goudronnée aux allées bien dessinées. Même le temps paraissait moins pourri ici, sur Luxy Street. De grosses voitures stationnaient devant certains garages, même des Fire-Minson. Salopiauds de riches, marmotta Martin. Il alla sonner à la porte d'une grande baraque. Pour le coup, on aurait dit un palais miniature, à l'échelle 1/10ème. Inutile de décrire la maison, elle ressemble à une très très grande et luxueuse maison.

Un vieil homme en peignoir rouge satiné se présenta devant Martin.

—      Bonjour, que puis-je pour vous ? demanda le vieil homme.

—      Bonjour, inspecteur Felder. Je suis là pour enquêter sur la mort de vos voisins, les De Vergonde. Vous êtes bien au courant qu'ils sont morts dans un crash ?

—      Oui, ils en ont parlé au journal télévisé du matin. Et en quoi je peux vous aider inspecteur ?

—      Je ne vais pas tourner autour du pot, c'est un meurtre. Alors la question est, y a-t-il quelqu'un qui aurait des raisons d'assassiner les De Vergonde ?

—      Pas à ce que je sache, non. C'était des gens très charmants, un peu bruyant parfois lorsqu'ils faisaient des choses que vous imaginez bien mais sinon vraiment très gentils et sans histoires.

—      Des choses ? demanda quand même Martin.

—      Oui, le genre de choses que vous et moi faisons avec notre femme le soir après la prière.

—      Oh, ces choses là, d'accord Monsieur, euh, Flamkuaich, répondit l'inspecteur après avoir lu la plaque sur la porte d'entrée. Donc sans histoires ?

—      Non sans histoires, confirma Monsieur Flamkuaich.

—      Bon, merci beaucoup, je reviendrai peut-être.

—      Et vous serez le bienvenu. Vous pourrez même venir faire un tour dans mon spa si vous le voulez.

—      Merci mais non merci.

—      C'est vous qui voyez.

—      C'est tout vu. Bonne journée Monsieur.

—      Merci à vous aussi inspecteur.

Martin s'éloigna du petit palais toujours accompagné du chien silencieux. Cette affaire devait forcément avoir un point de départ. Une rivalité ou une jalousie. C'était impossible autrement. On ne tuait pas des gens comme ça sans raison.

Martin et son fidèle compagnon interrogèrent d'autres voisins des De Vergonde et chacun tint un discours similaire. Les De Vergonde étaient, bien incroyablement, aimés de tous !

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