Cloud nine - Extrait pour le concours Le Festin Cru
jeanne
6h16, mon réveil ne va pas tarder à sonner, j’en profite pour rêvasser encore un peu dans mon lit douillet.
Aujourd’hui il fait beau et je me suis levée de bonne humeur avec le sentiment que la journée sera bonne. Comme à mon habitude, j’englouti deux croissants en regardant les informations du matin à la télévision avant d’aller à l’école.
Captivée par un reportage sur un grand chef pâtissier, je me rends compte que je suis en retard. En vitesse, j’enfile mes chaussures et j’attrape mon sac pour ne pas rater mon bus.
Arrivée à l’école, je retrouve ma meilleure amie Catherine. Nous nous sommes rencontrées au lycée, il y a 5 ans. Notre passion commune pour l’art nous a tout de suite rapproché et a fait naître une complicité évidente entre nous. Nous sommes aujourd’hui à nouveau dans la même classe, dans une école d’art.
J’ai toujours aimé les arts quels qu’ils soient : musique, cuisine, peinture, design… Tout m’intéresse. Mais cela ne relève pas du hasard, car ma mère architecte et mon père pâtissier, sont de grands amateurs d’arts plastiques. C’est d’ailleurs pour cela que mes parents m’ont appelé Niki, en hommage à Niki de Saint Phalle, leur artiste préférée.
Driiiiing ! Il est midi, le bruit strident de la sonnerie retentit ; un bruit à la fois désagréable pour les oreilles mais tellement attendu, surtout à l’heure du repas. […]
Tout en dégustant nos plats, Catherine et moi discutons de l’exposition à laquelle nous assisterons ce soir. Il s’agit d’un buffet organisé dans une galerie branchée du centre-ville par l’artiste Percy Wharton. […]
Le soir venu, c’est avec hâte que Catherine et moi nous nous préparons pour aller à cette exposition tant attendue. […]
On se pomponne, on enfile une petite robe noire et des escarpins ; nous voilà enfin prêtes à partir.
Arrivées devant la magnifique galerie, l’excitation se fait grandissante. Deux vigiles, plantés en haut d’un escalier, surveillent l’entrée. Ils nous demandent poliment nos invitations.
« Bonne soirée mesdemoiselles !» nous dirent les vigiles en ouvrant l’immense double porte de la galerie.
C’est émerveillées par la beauté du lieu que Catherine et moi traversons un long couloir décoré façon XVIIIème siècle et débouchant sur une grande pièce, au fond de la galerie. En entrant dans cette pièce, c’est la stupéfaction. Les murs, le plafond et le sol sont d’un blanc éblouissant à nous en faire mal aux yeux.
Au centre de la salle, un immense buffet garni trône sur une table blanche. Petits fours divers, toasts au saumon, fraisiers, coulis de fruits rouges… C’était le buffet de mes rêves.
Le champagne coule à flot, les invités discutent en dégustant les mets raffinés.
« Bizarre, les murs sont vides, il y a aucune œuvres exposées ! » me dit Catherine.
« Peut-être que Wharton a voulu rendre hommage à Yves Klein qui avait fait une exposition sur le vide dans les années 1950 » lui rétorquais-je
« Ouais, et puis ça m’étonnerait pas, dans les magazines ils disent que ses expositions sont de plus en plus surprenantes ! »
« Wharton va certainement nous rejoindre pour nous expliquer ses intentions. En attendant on a qu’à aller se servir au buffet. »
Quelques minutes plus tard, une voix forte se fit entendre derrière nous : « Bonsoir à tous ! ». Percy Wharton était arrivé, et on allait enfin connaitre le but de l’exposition.
« Je vous remercie de votre présence, car sans vous l’œuvre ne pourrait pas se faire. En effet, vous allez en être les acteurs. »
L’incompréhension se fait sentir chez les invités, mais la surprise est courte, car tout le monde sait que Wharton est un artiste mystérieux et étonnant.
« Continuez à boire et à manger, restez naturels, l’œuvre va se faire d’elle-même. »
Wharton sort de la pièce, les invités continuent à manger en se demandant quel peut bien être leur rôle.
[…]
Les minutes passent, le buffet se vide, et toujours rien. Enfin si, derrière moi, un groupe de personnes m’embête. Ils rient de plus en plus fort et commencent à délirer : « Passe moi une échelle, faut que j’aide l’éléphant à descendre de l’arbre ! ».
« Je crois que ceux-là ont beaucoup trop bu ! » dis-je à Catherine.
[…]
Les invités ont un comportement de plus en plus étrange, l’atmosphère se fait pesante.
Je commence à me sentir mal à l’aise dans cette salle. Les gens me font peur, mon cœur s’accélère et des gouttes de sueur me coulent le long du visage.
[…]
Tout le monde est agité, les invités ont un comportement anormal ; le happening de Percy Wharton avait commencé. Il nous avait en fait drogué à notre insu, avec une drogue nommée « nine cloud », ou septième ciel. C’était facile pour lui de nous faire ingérer ce poison ; quand un délicieux buffet gratuit tend les bras à des invités, on peut être sûr qu’il n’en restera pas une miette. […]
Les gens délirent, paniquent, titubent. […]
Dans un des coins de la pièce, une femme est assise par terre et pleure.
« Mon poisson rouge est mort, mon copain m’a quitté, en plus de ça je suis moche ! J’ai plus de raison de vivre ! » sanglote-t-elle.
Tout déraille, tout est anormal, mais je ne panique plus. J’ai faim. Très faim. Pourtant je me suis empiffrée au buffet, mais celui-ci ne m’attire plus du tout. J’ai comme une envie de viande crue, bien fraiche et saignante. Oui c’est ça, fraiche… fraiche comme de la chair humaine.
Cette fille qui pleure là-bas à l’air si vulnérable. Elle est bien dodue, j’ai envie de la croquer. Je crois que j’ai trouvé ma proie.
Je m’approche d’elle tout doucement, telle une lionne qui part à la chasse. Je m’accroupi tout près d’elle, pour être à sa hauteur. Mimant le réconfort, je lui murmure: « Ne crains rien, ça va aller… ».
Son odeur me rempli les narines. C’est une odeur envoutante qui me rappelle celle d’un beau filet de bœuf sur l’étal du boucher. En ni une ni deux, je croque le haut de son bras et arrive à attraper un lambeau de sa peau. Du sang coule de sa blessure. […] Elle me repousse et me fait tomber face contre terre.
Je regrette… je regrette tellement de ne pas avoir pu la croquer une deuxième fois.