COCO CONTENT !

David Claude

Nouvelle

COCO CONTENT !


     Un homme, seul dans une pièce, était face à lui-même et à la vie qu'il menait. Une vie que, vraisemblablement, il n'aimait pas. Un boulot déplaisant, une femme déplaisante et un enfant qui l'attachait à ce maudit et horrible monde !

     Partir ? Peut-être même se suicider pour échapper à tout ça ? Quel était le pire ? Pourtant, cela lui avait déjà traversé l'esprit, mais, pour l'enfant, il ne pouvait que se résigner à subir.

    Il avait acquis une maison, payée par la sueur de son front, par un dur labeur de plusieurs années. La décoration – faite par elle – n'exprimait aucune gaieté, tout était sombre. Seul aspect réjouissant dans cette triste demeure, la présence de ce perroquet qu'il avait reçu en cadeau, et qu'elle détestait ! Le voyait-elle seulement cet oiseau qui ne savait dire que Coco content ! lorsqu'on lui parlait ? Coco était donc toujours content ; une chance que seul Coco possédait !

     La maison était bien tenue, certes ! mais…

« Qu'avait-elle de mieux à faire toute la journée, d'autant que je lave et range tout ce dont je me sers ? se dit l'homme à voix haute.

– Rire de toi ! rétorqua une autre voix.

– Que puis-je y faire ?

– La tuer ! répliqua aussitôt et calmement l'autre voix, comme certaine que la question serait posée.

   L'homme ne pouvait s'y résoudre, non pas qu'il n'y ait jamais songé, mais que serait devenu son enfant ? Que serait-il advenu de lui, orphelin, sans famille proche pour le recueillir ? C'était son enfant et il l'aimait, et il ne voulait pas être séparé de son amour.

« Il faudrait qu'elle parte d'elle-même. Or, là aussi, elle ne le fera pas sans prendre l'enfant, dit-il.

– Agace-là, fais-le au point de la rendre folle.

– Cela prendra des mois ! » fit l'homme en grattant le sommet de son crâne dégarni.

   Il leva les yeux vers un ciel qu'il ne voyait pas, comme attendant un miracle, une réponse divine.

« Approche-toi, lui dit la voix, afin que je t'explique la manière de faire.

– Approcher ? Mais vers où ? » demanda l'homme, les mains entremêlées comme priant.

La voix le mena jusqu'à la cage du perroquet. À présent, celui-ci ne se contentait plus de dire qu'il était content, il articulait carrément une diatribe contre la mégère des lieux ! Femme qui, par ailleurs, à cette heure, et ce, chaque jour, dormait sans s'occuper de rien !

« Commence par cet ours en peluche, lui suggéra l'oiseau.

– C'est le sien. Elle va piquer une crise si je l'abîme, lui répondit l'homme, montrant sa faiblesse et la peur qu'elle pouvait lui inspirer.

– Et alors ! Il faut frapper là où cela fait mal si tu veux t'en débarrasser ! Combien de fois ne l'ai-je entendu répéter qu'elle deviendrait folle si elle ne l'avait plus.

– Oui ! oui ! tu as raison. C'est le dernier cadeau qu'elle ait reçu.

– Défoule-toi ! Fais-lui subir la même souffrance qu'elle t'inflige depuis des années ! »

    Quelques secondes plus tard, l'homme revint de la cuisine un couteau à la main…

       …et il frappa, frappa comme un forcené, frappa poussé par une colère qui dormait en lui, qui fut trop longtemps réprimée ! L'extrême violence des coups qu'il assénait finit par transpercer la peluche de part en part jusqu'à toucher le canapé. Enfin, il posa l'objet tranchant : motivé par sa frénésie et sous l'influence du perroquet qui lui empoisonnait l'esprit, il enfonça ses mains dans le ventre de la peluche pour en extraire la bourre ! Ses gestes rageurs faisaient voler le rembourrage, qui s'éparpilla tout autour de lui comme les plumes d'un oreiller éventré après que des gamins l'aient pris pour se taper dessus par jeu, collant alors aux meubles, au tapis, à ses mains et à son visage ! Un instant, il eut la certitude que cela ne s'arrêterait jamais…

     Son forfait terminé, il s'assit sur l'un des fauteuils, eut quelques éclats de rire, puis dit d'un ton acerbe :

« Bon réveil, ma chérie ! »

      À ces mots, il repartit de son rire qui semblait être celui d'un dément. Une fois calmé, il regarda le perroquet qui, lui-même, le fixait d'une mine réjouie tout en répétant encore et encore Coco content !

      L'homme finit par s'assoupir. Ce petit temps de sommeil fut le plus tranquille et le plus réparateur qu'il ait fait depuis des mois.

   Cependant, celui-ci fut interrompu par les cris horripilants et stridents d'une femme guidée par l'hystérie. Les yeux encore clos, l'homme fut satisfait que son geste ait produit cet effet.

« Assassin ! Au meurtre ! hurla la mégère à son réveil. Tueur d'enfant ! » s'époumona-t-elle encore entre deux sanglots.

       Le cœur de l'homme s'emballa en entendant ces paroles. Tueur d'enfant ! Comme elle y va ! Il savait qu'elle idolâtrait cet ours en peluche mais, de là, à le considérer comme son propre enfant ! Indubitablement, elle était folle ! Il faut y mettre un terme, pensa-t-il. Néanmoins, il se ravisa : à bien y réfléchir, si elle pensait sa peluche vivante, c'était un point qui plaidait en sa faveur, qui lui donnerait des arguments pour l'écarter de sa vie définitivement.

         L'homme s'extirpa difficilement du fauteuil. Debout, il s'aperçut qu'il tenait à nouveau le couteau dans sa main, ne se rappelant pas l'avoir repris ; il le fixa : il était tâché de sang, ainsi que sa main. À cet instant, il bafouilla, chercha sa raison pour fournir une explication, une minute passa, il ne put rien dire. Une nouvelle fois, il dut se résigner et subir !

       C'est le perroquet ! clama-t-il plus tard aux gendarmes, mais personne n'avait vu l'oiseau.

       La maîtresse de maison, après un long moment, se remit quelque peu de ses émotions, assez pour affirmer aux enquêteurs qu'ils n'avaient jamais eu une telle bestiole, qu'elle avait autre chose à faire que de ramasser les plumes et la fiente de cet animal !


On conclut que le père, dépressif, à bout de nerfs, dans un état de folie intense, avait tué son enfant, le poignardant à de nombreuses reprises, lui arrachant les entrailles que sa soudaine démence lui fit jeter tout autour de lui. C'est l'ours ! c'est l'ours à qui je me suis attaqué, je voulais la faire enrager pour qu'elle me quitte. Je n'ai pas fait de mal à mon enfant, c'est Coco ! répétait-il sans cesse.


Le verdict rendu, on interna l'homme.

Comme il l'avait fait au tribunal, dans le centre psychiatrique, on l'entendait crier à longueur de temps, le jour comme la nuit :

C'est le perroquet ! …Coco content…

C'est le perroquet ! …Coco content…


Et il en fut ainsi jusqu'à sa mort…

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