Code bonne conduite

Antoine Berthe

                                            Code de bonne conduite

            Cela devenait inquiétant à force ce type aux mâchoires serrées, invariablement  assis au premier rang, à chaque leçon de code.

            Depuis deux mois, il ne remplissait même plus le carton réponse. Il se contentait de regarder les diapositives défiler, indifférent aux interrogations pressantes de la voix désincarnée de l’examinateur préenregistré.

            Devait-il passer ou non à ce carrefour, ou bien la voiture rouge avait-elle la priorité ?

            Pouvait-il stationner le long de ce trottoir ou fallait-il passer son chemin ?

            Il n’en avait manifestement rien à taper !

            Qu’est qu’il foutait là à la fin, s’interrogeait l’employée d’auto-école, un rien angoissée.

            Au début, tout était pourtant normal.

            Trentenaire attardé du permis de conduire comme cela arrive parfois, il venait chaque samedi matin se mêler aux gamins avides de fièvre du samedi soir dans des boîtes lointaines. Les autres jours, il ne pouvait pas, travail oblige. Il avait d’ailleurs même de bons résultats, flirtant régulièrement avec les trente-cinq points sur les quarante requis. C’était le temps où il cochait consciencieusement les cases réponses, soucieux de progresser rapidement pour passer enfin aux leçons de conduite.

            Un jour cependant, il avait totalement changé de comportement.

            Au cours d’une série consacrée aux priorités en agglomération, il s’était d’un coup étranglé et avait été pris d’une irrépressible quinte de toux. A tel point qu’il avait dû sortir prestement dans la rue pour se calmer. Depuis lors, le gentil trentenaire s’était mué en un inquiétant candidat au regard de dément.

« Salope ! » pensait l’homme, « quand je pense que c’est moi qui t’ai acheté cette robe. Putain mais quel con ! Une belle robe d’été dévoilant tes épaules piquetées de tâches de rousseur. Et avec décolleté plongeant en sus, abruti ! ».

            Le trentenaire scrutait chaque diapo, attendant avec angoisse le moment où il apercevrait à nouveau sa trop charmante épouse à l’arrière-plan d’une priorité problématique.

Avant de passer aux actes, il voulait lui donner une chance.

Peut-être que c’était une erreur.

Peut-être que ce n’était pas elle qui embrassait fougueusement le beau brun sur la photo, ses petits seins délicieusement dressées, les tétons pointant à travers l’étoffe de la robe de son dernier anniversaire.

            La voix annonça une série sur les carrefours et il se concentra davantage, les yeux plissés pour mieux détailler les femmes sur l’écran.

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