Cœur et Raison

leeman

dans l'expression de tous

Chaque personne ressent bien souvent comme un besoin de décrire les mouvements internes qu'il ressent. Et cela vaut, je crois, pour ceux qui aiment à décrire ce qui les habite. Quels sont les moyens qui nous le permettent ? La prose et le poème expriment tantôt notre tendresse, tantôt notre sensibilité. Ces modes d'expression ont leur rôle à jouer dans l'exaltation de chacun. Car ils permettent en même temps de dépeindre quelconque émotion, de la plus faible à la plus fougueuse, et de prouver la beauté de nos dérives intérieures. Notre passion la plus directe guidera notre plume, à travers ces façons d'écrire. Si l'on souhaite être un peu plus précis, on pourrait dire que c'est le cœur qui guide nos écrits dans ces moments intimes. Bien souvent la joie se dessine sur notre visage quand l'on s'exprime, lorsque ce n'est pas la tristesse qui pousse nos larmes à danser sur notre visage. Difficile d'échapper à la passion, car elle s'accapare de nous, au point même de nous élancer vers l'inconnu, vers la création, vers les émois les plus puissants qu'on puisse connaître, dans nos mots. C'est en ce sens intéressant de considérer cette prose et ce poème comme médiateurs de nous-mêmes. On crée parce qu'on ressent ; mais l'on ressent aussi dans ce que l'on crée. Cette double capacité dans la création me paraît tellement merveilleuse. On se transcende dans une double mesure : d'abord dans notre propre écriture ; ensuite dans ce que l'on ressent dans nos écrits ou dans ceux des autres. Car on s'exalte lorsqu'on dépeint nos émois. Mais on s'exalte également pendant qu'on s'imprègne de nos émois passés ; ou qu'on s'imprègne des sentiments de chacun. Cette écriture est une emprunte, qui grave à tout jamais notre passion passée. Et si elle est aujourd'hui atténuée, il n'est pas rare que nous apprécions la recouvrer en lisant nos mots ou ceux des autres. Chacun possède un style, qu'on puisse le juger beau ou non, cela reste subjectif ; mais ce style-là est une force qui provient de notre cœur. C'est de lui que tout naît, et c'est après lui que nous cherchons les mots tandis que nous sommes surélevés par l'émoi. Parfois ces mots viennent spontanément ; parfois il nous faut les saisir fermement, formuler notre pulsion intérieure. Voilà qui pour moi fonde la véritable littérature, puisque c'est depuis celle-ci qu'on peut voir la vraie nature émotionnelle de tout individu. Je n'affirme cependant pas qu'il s'agit de la littérature absolue. Puisque les goûts divergent autant que les manières d'interpréter le monde, il n'y a pas de littérature qui soit absolue. Et qu'importe la définition qu'on lui offre, qu'importe tout le corpus expressif qu'elle pourrait contenir, chacun de nous préfère tantôt le théâtre, tantôt la poésie, tantôt autre chose. Et cette diversité de goût rend possible la diversité d'écrits. Ce qui donc mène chacun à s'exprimer plutôt dans tel genre que dans un autre ; ce qui donc permet de faire perdurer, globalement, plus ou moins chaque genre.

Cependant le cœur n'est pas toujours l'orateur ou le commandant. Il y a bien d'autres choses qui, en nous, gouvernent parfois nos écrits. En effet, j'utilise présentement la prose pour parler de ce qui me tient actuellement à cœur, sans mauvais jeu de mots. Mais ça n'est pas tant sur l'émotion que je m'appuie pour rédiger ces lignes, mais plutôt sur la raison. Je ne veux pas me laisser prendre par la folie du sentiment le plus fort. Je souhaite à l'inverse démontrer combien la raison aussi a beaucoup de rôles à jouer dans l'écrit, comme dans la parole d'ailleurs. Si le cœur diverge souvent, je considère la raison comme une puissance intérieure qui nous pousse à rester concentrés. Comme une fougue qui nous incite à rester cohérent dans nos mots, dans nos dires. Il me semble bien que la philosophie soit la mieux placée pour souligner la puissance de la raison. Lorsqu'on fait preuve de raison, on souhaite infiniment faire preuve en même temps de logique et de raisonnement. Tout ce qui est dit doit être fondé, logiquement construit. Ce doit être une maison, pour laquelle, comme pour le raisonnement, il nous faut construire les fondements, puis établir les différents éléments qui permettront de la maintenir solide. L'activité philosophique est en ce sens un exercice autre que l'exercice littéraire. Non pas que je préfère l'une plutôt que l'autre, ils nous apprennent tout deux quelque chose de profond et de très vital, surtout si l'on veut créer quelque chose. Car le fondement de chacun est différent, tout autant que la façon d'en édifier le sens. Si je désire concevoir un texte fondé, logique, cohérent, il me faut forcément faire œuvre de raison, et faire preuve d'une attention toute particulière aux mots que j'emploie, aux connecteurs logiques, à la syntaxe qui m'est propre. Ainsi mettre à contribution le "logos" est le but premier de la philosophie ; puisqu'au-delà de ce qu'elle peut nous apporter dans l'ordre de la connaissance, elle doit être le résultat d'un édifice solide, quoique parfois artistique. Je mets toute mon envie à vous transmettre ce que je pense, et il me faut nécessairement pour cela rendre compréhensibles toutes les formulations que j'emploie. Là ou l'expression du cœur mène à un exercice lyrique, l'expression de la raison mène à un exercice philosophique. Même si les deux sont amplement différents, qu'il s'agisse de leur nature, ou de leur modalité d'être, les deux nous sont vitaux, tantôt l'un comme un organe qui fonde un muscle, mais qui permet l'expression la plus libératrice et passionnée qui soit ; tantôt l'autre comme une potentialité si forte qu'elle nous accable de doutes, de questionnements, de troubles quant aux choses du monde. Et, puisque j'aime les mots, autant que les belles phrases, je me plais, non vainement, à pratiquer les deux exercices selon mes humeurs.

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