Coeur lacéré embouteillé.

exacerbere

Des larmes en acier traversent mon coeur et lentement ont font saigner son ossature la plus intrinsèque. J'ai mal au plus profond de ma chair et mes fléaux viennent de l'intérieur. Je ne peux décrire ce sentiment de torpeur immonde. Ces désirs pour la mort mêlés à ces chaleurs nocturnes pour la lune et son atmosphère magique qui vient tout envelopper. Je ne peux vous décrire que ce que je suis : une affreuse carcasse aux yeux noyés de noirceur.


Mon corps est une épave qui ne fait pas mon âge. Tout ruiné et négligé. Et pourtant on trouve le moyen de me désirer, du moins toujours pour l'instant. Je le vois dans le regard des gens de temps à autre. Ce qui est sombre trouble et attire.


Parfois, je cache également l'ombre qui m'entoure par des sourires bienveillants, mon hospitalité, ou mes rires chaleureux. On croit à cette illusion qui n'est tout bonnement là que pour rassurer les autres.


Tout est faux. Quand je souris en disant croire à l'amour avec un grand A, à l'humanité, au bonheur, je lorgne en réalité sur les beaux et délicats fessiers qui passent sous mon regard. En protégeant mon coeur. Toujours. 


"Le vrai moi est ailleurs. "


Le soir quand la nuit revient les démons cèdent et hurlent dans sa tête. Ils le pressent de lui arracher sa peau, d'ouvrir son crâne, de laisser la fin le pénétrer et son sang, en magnifique sillon, se répandre sur une terre aride. Et avec ses démons, il est magnifique. Il se sent autre. Il n'est plus lui-même, comme transcendé, et pourtant il n'est jamais plus lui que quand la nuit toute entière l'enveloppe et le met à nu. Le jour, lui, le vêtit de couleurs insupportables, ne permet plus d'exposer sa véritable nature. Alors il endosse des masques et les couleurs s'y reflètent en fouillis immondes.


"Je vais bien. Je suis heureux. Je t'aime." 


Mais en vérité, l'amour, il ne l'a jamais connu. Il l'a donné, toujours, et le donnera sans fin sans jamais le connaître. A quoi bon espérer ? La nuit est déjà sa promise, et les mensonges protégeaient son amour secret.


Cependant... Les masques ont toujours des fentes. On devinait à son goût pour l'isolement, ses tenues vestimentaires et sa sociabilité plus que limitée que quelque chose clochait. Quelques fois, par inadvertance, des regards s'étaient également échoués sur ses poignets, souvenirs du passé à présent quasiment recouverts.


Des conversations sérieuses, ils en avait sans doute en avoir. Mais il ne s'en rappelait pas. Il avait une mémoire prodigieusement sélective. La naissance de la NSA ? 1952.  La part du PIB dû au tourisme en 2015 ? 7,3. Les souvenirs de sa primaire, collège, lycée, ou de ce type qui prenait toujours l'ascenseur avec lui dans son ancien appartement ? Flous. Il n'en conserve que des images brouillées. 

 

Adrien avait une mémoire étonnante avec une énorme faille : il ne se souvenait pas du visage des gens. Il fallait des années pour qu'il se souvienne de quelqu'un et aussitôt que celui-ci disparaissait, il en gardait une image floue, imprécise et grossière. Quelques fois, il avait même dû feindre de s'en rappeler, moments toujours désagréables ou son passé le rattrapait. 


Il n'avait avoué qu'à quelques personnes le problème dont il souffrait. En réalité, qu'à deux ou trois tout au plus et souvent en raison d'une situation particulièrement déplaisante et qui exigeait des explications.


Ce qu'il n'avait en revanche pas dit c'est qu'il avait conditionné sa mémoire à réagir ainsi. A l'oubli et l'indifférence. A un moment, il se rappelait très bien des visages de tout ceux qui l'entouraient, de leur noms et prénoms. Il allait même jusqu'à vouloir graver leur mémoire dans un coin de leur tête en se la répétant aussi souvent que possible, parce qu'il savait que c'était la première chose qu'on oubliait. Et lui voulait se souvenir. De tout. L'oubli ? Quel chose horrible ! Il faut lutter contre, protester à plein poumons ! Il faut vivre ! Il faut se rappeler du passé pour savourer le présent et mieux comprendre le futur ! 


Mais ce n'était qu'un gosse et qui plus est, particulièrement chanceux sur le moment.


Plus tard, il avait connu l'agressivité constante, vue les liens familiaux se dénouer un peu plus quotidiennement. Entendu sa mère crier et pleurer, son père hurler, puis le silence. Et enfin, les injures cachées sous du miel (quoique pas toujours) et les faux semblants que l'on relayait à travers sa voix. L'hostilité était même en travers des murs de l'école. Les regards de dégoût qu'on lui lançait et les mots dont on l'abreuvait resteraient à jamais gravés en lui :


"Là où tu vis, c'est un carton !"

"C'est dégoûtant, il vient nous parler..."

"Horrible"

"Moche"

"Beurk"

"Cassos."

"Boulet !"

"Rapporteur..."

"Pas doué."

"Taré qu'il faut mieux pas chercher."


Transformés au fil du temps en :


"Bizarre"

"Asocial"

"Gothique ?"

"Timide"

"Maladroit"

"Nerd ?"

"émotif"

"déterminé"

"effronté"

"étrange."


Et enfin :


"Dépressif"

"intriguant"

"mystérieux". 


Il détestait les étiquettes qui collaient à sa peau, à ses os. Alors à défaut de pouvoir les supprimer, il avait oublié les personnes qui le lui avaient collées. Ce n'était pas brillant, c'est vrai. Mais c'était la seule solution qu'il avait trouvé pour aller vers de l'avant.


Le passé... Trop lourd à porter... Le futur... Si noir, comme de l'encre aussi glaciale que grumeleuse, mais dont laquelle il devait tout de même plonger la pointe de son stylo pour écrire le présent. Bien sûr, il écrirait tout en noir et en y mêlant quelques gouttes de sang, larmes et sueur.


Et... Il est vrai que sa peine c'était peu à peu édifié en cocon soyeux de douleur, portant en son sein un papillon ténébreux qui, plusieurs fois, avait tenté se s'envoler vers les cieux.


Mais à chaque fois que le papillon se croyait sur le point de percer, il était renvoyé dans son état léthargique par les larmes de ceux dont il n'avait pu oublier le visage. Ceux pour qui il avait endossé un masque percé laissant entrevoir son vrai lui, meurtri de chagrin et tournoyant dans le vide... A la recherche d'une fleur éblouissante qui raviverait son monde perdu.


Le jeune homme c'était donc juré de la trouver. De changer chaque côté d'obscurité en attention soucieuse. 


Oui.


Peu importe à quel point la douleur pourrait être lancinante. A quel point il pourrait et finirait par en pleurer... Il la trouvera et finira par ne plus jamais vouloir oublier.


Elle sera la seule pour qui il sacrifierait toutes ses protections et son silence.


Et il l'aimait déjà tellement que peu importe qu'elle ne voit jamais.


Oui.


Peu importe s'il s'agit de toi qui lit ses lignes et que nous nous voyons jamais.


Sache juste que je t'ai peut-être trouvé en cet instant, et que je rêve de pouvoir mettre une image sur la personne qui m'a ravit ma solitude. Sache également qu'à cet instant précis, qui que tu sois, je ne ressens qu'un sentiment infini d'amour et de sollicitude.


Ne ferme jamais ton coeur et n'oublie jamais de sourire ou de dire merci.


Plus encore, tiens à coeur le passé.


Il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre mais je crois que maintenant je le sais...


Wir dürfen nicht zulassen, dass unsere Gegenwart nur von unserer Zukunft und unserer Vergangenheit bestimmt wird.

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Adrien ferma son cahier. De l'encre avait encore coulé. Trop d'encre et de cahiers.


Mais il avait écouté les conseils de son psychologue : cesser de lutter contre le passé. L'accepter et ne plus le refouler. Se rappeler maintenant des visages du présent.


Il n'aimait pas les mots qu'il écrivait. Trop de... Plaintes, d'auto-apitoiement. Alors souvent ses "je" se transformait en "il". Parfois en "vous", parfois "nous". Voire en "on" ou encore en "tu".


Et comme tous les soirs, il prit la page, l'arracha, la plaça dans une bouteille qu'il bouchonna et laissa la lune bercer ses pas tandis qu'il marchait sur un sable apaisant.


Le son des vagues soignait son coeur. La quiétude du minuit libérait ses démons qui venaient l'étreindre... La poésie venait faire battre son coeur, ses yeux rêvaient des étoiles mortes, si jolies tandis qu'il frissonnait à cause de la douceur de l'air.


Il envoya la bouteille.


Un de ses fantasmes était de trouver la fleur qui le ferait vibrer, qui changerait à tout jamais son univers plongé dans les ténèbres avec des couleurs chaudes et chaleureuses.


Il sourit.


Mais en réalité, peu importe la gentillesse de son entourage et la bonne volonté de son psychologue. Il était cynique au bout des lèvres. Il savait qu'il ne trouverait jamais une perle aussi précieuse.


Alors il avait l'avait créée. Il envoyait ses lettres dans le vide, des lettres anonymes dédiées à la vie, à l'espoir.


Il ôta ses vêtements et se jeta à la mer glacée pour réveiller par quelques brasses son coeur meurtri. Il avait plus que jamais besoin de ressentir.


Et c'était là ses mots d'excuses au passé. Mais plus encore, son ode au présent et à l'avenir, qu'il transmettrait peut-être à une personne au coeur également meurtri ou si ce n'était pas le cas, qui rencontrerait des personnes comme ce qu'il avait été. Voir qui sait. Il l'avait peut-être envoyé le message à sa fleur.


Rêvons.

Espérons.

Aimons.

Vivons.

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