Coiffeur, la joie des morpions
Jean Claude Blanc
Coiffeur, la joie des morpions
Quand j'étais petit, n'étais pas grand
Sage morpion pas turbulent
Obéissant à mes parents
Devais me rendre en pleurnichant
Chez le coiffeur, vieux merlan
Me faire coiffer, sommairement
Même j'en avais pour mon argent
Rentrant chez moi, gueule d'enterrement
Tailleur de tifs pour hommes et femmes
Pas de détail, la même lame
En cas d'encoches, pas un drame
La coupe au bol, rasé le crâne
Tonsure parfaite jusqu'au col
Moi qui frisais…le ridicule
Comme mes potes de l'école
Je trouvais ça franchement nul
Boutique ouverte sur la place
Rasoir et peigne, bonjour l'angoisse
Guillotineur prêt à agir
Souffrais d'avance de ce martyr
Tellement de crânes a malaxés
De ces hippies échevelés
De paysans mal lavés
Qu'à l'improviste débarquaient
Servait chacun suivant son choix
Mais impossible faire des extras
Comme dans les revues de cinéma
Sans de moderne salle d'attente
On assistait séance tenante
A ses rituels exécutions
Tremblant de peur, trouillard garçon
Pour ma chère mèche sur le front
Faut dire qu'il y mettait du cœur
Pour son ouvrage d'amateur
Il n'avait pas son pareil
Les gardes boue sur les oreilles
Plus aucun poil qui dépasse
C'était sa loi d'ancien bidasse
Malgré que ça pique, que ça agasse
Fallait pas faire des grimaces
Qui était-il cet artiste
Certainement pas barbier de Séville
Qu'un brave type au service
De ses clients, pas formalistes
Qu'avaient rarement la peau lisse
Qui se foutaient des préjudices
Commis par l'autre, malhabile
Pas d'ustensiles perfectionnés
Juste un couteau bien effilé
Stérilisé vite fait bien fait
Sous le robinet de l'évier
Ce qui me contrariait par-dessus tout
C'est qu'il venait me chercher des poux…
En fait, j'aime pas qu'on me gratte le cou
Sinon m'énerve à me rendre fou
En plus de ça, me pompe l'air
Se racler la gorge, pleine de glaires
Derrière ma nuque, quel dégoût
Boule à zéro, une fois pour toute
Surtout en ces chaleurs d'aout
Débarrassé, heureux, content
N'y revenir que de temps en temps
Pour la rentrée, était d'usage
De se faire pommader le visage
« Sent bon », shampoing et brillantine
Quel angelot, rien qu'à la mine
Flatté l'auteur de ce ravage
Fumant sa clop dans les nuages
Espèce de capilliculteur
Terme savant, pour son honneur…
Sur le fauteuil harnaché
D'un tablier à bon marché
Comme attaché et condamné
Soumis à ses gracieusetés
N'en menait pas large le marmouset…
Bien qu'éploré, pas consentant
Je devais me montrer patient
30 minutes de ce traitement
Miracle, d'en sortir vivant
Mais quel plaisir pour ma maman
Son gosse propret, si ravissant
Je m'en souviens, presque à regrets
Ça s'est passé, y a fort longtemps
Lui aujourd'hui serait dépassé
Heureusement plus mal aux dents
Les avez vus, ces jeunes premiers ?
En cosmonautes déguisés ?
Laboratoire, leurs salons
Spots branchés, pour être dans le ton
Au rythme de mielleuses chansons
Presque fait exprès, jouer les homos
Les fesses moulées se tortillant
Comme maniérés prudes asticots
Efféminé c'est important
Dans ce métier de précieux merlan
Que d'artifices et de chichis
Pour qu'on se fasse couper les tifs
Sacré design c'est le grand cri
M'y risque plus, quelle folie
Craignant qu'on me poudre le pif
D'ailleurs chauve, d'âge canonique
Même plus un poil sur le caillou
Aérodrome pour mouches qui piquent
Pour le coiffeur, plus un sou
Me fend encore la figure
De ce merlan, dingue de nature
Fervent chasseur manquant de culture
Affichant à sa devanture
« Fermé pour cause d'ouverture »
De gibier sauvage à l'aventure
L'en louanger, suis pas très mûr
Merlan le préfère en friture
Les cheveux longs, la mode yéyés
Que de boulot pour démêler
Toutes ces énigmes d'enfants gâtés
Pour mon raseur, c'est terminé
Déjà on s'arme de techniciens
Cher le geste presque divin
C'est le progrès, on n'y peut rien
On y défile car ça fait bien
Entre Etres humains fiers comédiens
Pas concerné, seul dans mon coin
Ma toison grise, tire à sa fin
Ça me rassure comme mes copains
Je vais vieillir, sans aucun soin
Si ma caboche reflète l'horreur
Mon esprit sain est intérieur
Plus de besoins, ni plus d'envie
Pour fils de pub, qui nous convient
A dépenser tous nos radis
Ventant les charmes d'une perruque
Coiffeur d'antan, gratte-moi la nuque… JC Blanc juillet 2017 (ma vie d'artiste)