Journée alternative

Yeza Ahem

De la difficulté d'y échapper...

Ca y est : c'est ce soir ! Cela fait 8 mois, 2 semaines et 14 jours que mon billet est bien sagement rangé dans mon étagère, à attendre d'accomplir le rôle de sa vie : me servir de Sésame pour le concert privé d'AC/DC, LE concert en France dans une petite salle parisienne. Il m'a fallut attendre, en plein hiver, de 2h à 10h du matin dans une rue balayée par un vent glacé, pour être dans les 10 premiers à l'ouverture de la billetterie et ainsi pouvoir acheter à prix d'or ce laisser-passer vers le concert de mes rêves. Bref : une bronchite carabinée et 8 mois plus tard, me voilà. Tout est prévu dans les moindres détails : ma tenue, les 2 jours de congé (d'abord refusés, puis acceptés après avoir prétexté une visite à une parente malade), un pour aujourd'hui et l'autre pour demain, histoire de ne pas redescendre immédiatement de mon petit nuage. J'ai même fait des courses pour me faire un repas consistant mais léger. Bref : tout est minuté, calé, organisé... tout sera parfait !

Impossible de faire la grasse matinée. Je suis réveillée à 6h43, soit 13 minutes plus tard que d'habitude. Je tourne, je vire et finis par me lever. C'est pas grave. Je vais avoir plus de temps pour me remettre à fond dans les derniers albums et commencer avant l'heure la révision de l'intégrale de leur discographie... En plein milieu de The Razors Edge, plus de courant ! Un comble... Je regarde un peu autour, ça a l'air général dans l'immeuble. J'ai pas pris ma douche, pas encore mangé, et forcément tout est électrique chez moi ! En survêtement rapiécé, je descends dans l'entrée de l'immeuble où je vois un magnifique papier : « En raison de travaux de remise aux normes dans la résidence, l'électricité sera coupée de 13h à 18h le vendredi 27 novembre. Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée. » Comment j'avais fait pour ne pas le voir hier soir en rentrant ? Bon, c'est pas grave ! Aujourd'hui est un jour magique que rien ne saurait gâcher ! Je remonte et passe par la salle de bain pour faire une toilette rapide et fraîche et m'habille tout aussi rapidement : jeans, T-Shirt Highway to Hell et sweet-shirt Back in Black. Mon perfecto trône près de la porte avec les places, ma carte de transport, 20€ et mes clés. A côté se trouvent mes docks montantes cirées de la veille. Ca y est, je suis prête ! Je prends juste mon lecteur MP3... Ah ben non : plus de batterie ! Mon téléphone ? Pareil ! La looze... Du coup, je me dis que, quitte à manger dehors (parce que faire réchauffer un hachis parmentier au soleil, c'est pas gagné !), je vais prendre mon chargeur et mon téléphone.

Au resto, je recharge mon portable : toute ma musique a été remplacée par du Jean-Michel Jarre... Inutile de trop chercher : c'est mon collègue Daniel, le « boute-en-train » du bureau qui n'en rate jamais une pour « taquiner »... Du coup, c'est raté pour la continuité musicale. Mais bon, c'est pas grave. Le concert est dans 3h et rien ne fera redescendre ma bonne humeur. Il fait beau et une bonne balade au soleil va me mener jusqu'à la salle. Pas loin se trouve un bistrot sympa où j'aime attendre les débuts de concert. Après 20 bonnes minutes idylliques, le ciel s'est mis en mode « off » et, moins de 2 secondes plus tard, un orage a éclaté accompagné de sa pluie glacée. Impossible de s'abriter tout de suite. Quand je trouve enfin un renfoncement, je suis trempée. L'eau s'infiltre le long de mon cou jusque dans mon dos et mon jeans me colle à la peau : super désagréable ! J'attends un peu que ça s'arrête et puis je finis par me rendre à l'évidence : ça ne va pas s'arrêter et je dois m'enfuir jusqu'à la station de métro la plus proche où je pourrais m'engouffrer. Quand finalement je suis à l'abri, mon jeans pèse 3 kilos de plus, soit 3 litres à essorer si j'en avais l'occasion ! Le ciel a poussé tous les badauds à trouver refuge dans tous les lieux publics, et mon petit bistrot tranquille est devenu un hall de gare à l'ambiance tropicale mêlant chaleur et humidité à trop haut niveau. Je vois autour de moi nombre de gens qui exhibent, eux aussi, des reliques de leur passion, de notre passion commune. Du coup, les discussions se mêlent, ça chantonne par-ci, raconte des anecdotes par-là... On se croirait à une rencontre d'anciens élèves. Toutes les générations sont représentées. Certains sont même venus en famille, donnant à l'ensemble une dernière touche kermesse. Et enfin ça y est : c'est l'heure d'aller devant la salle !

Je ne sais pas si c'est les verres bus en bonne compagnie, l'excitation d'être à H moins quelques minutes, ou la proximité de tous ces gens, mais je n'ai plus froid, je ne sens presque plus que je suis humide, et même le ciel s'est calmé. Le déluge s'est transformé en bruine et ne dérange plus que les porteurs de lunettes (dont moi !). Ca y est, on nous fait entrer dans une ambiance où l'excitation est palpable. Les gens ne parlent plus. Ils goûtent cet instant. Je cherche et trouve bientôt ma place : 5e rang, pile au centre. Le pied ! Je sais que le siège ne servira plus dans quelques instants qu'à porter mon blouson et mon sweet, ainsi qu'à obliger chacun à rester sur sa ligne. Le temps passe et la personne qui a réservé près de moi n'est toujours pas là. Le pauvre a dû avoir une galère... Ca y est, la salle s'éteint. Le premier accord retentit. Tout le monde se lève, crie, tape des mains, siffle... c'est de la folie, de la jubilation... on saute sur place ! Je sens qu'on me tapote l'épaule : mon voisin a finit par arriver. Je me retourne :

« - Bon... bonsoir monsieur le Directeur »
« - Bonsoir mademoiselle. Je vois que votre parente va mieux... »

Licece CC : BY-NC-SA

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