Cold - November Loop

lwsiffer

Le jour se lève. La porte de la chambre s'ouvre et mon père crie : « Debout les filles ! »

Je me redresse, encore endormie, et me retourne vers le lit opposé. Pas de réaction.


Je m'assois sur le bord du lit, réprime un bâillement. Je regarde par la fenêtre. Cette nuit encore elle est restée ouverte. Il fait froid dans la chambre et je frissonne. Quand je respire, un petit nuage de vapeur s'élève de ma bouche.

Je regarde ma sœur allongée dans son lit. Toujours aucun mouvement.


-Dépêchez-vous les filles, hurle mon père depuis la cuisine. Vous allez être en retard.


Je soupire et me lève. Je sors de la chambre, traverse la cuisine pour aller dans la salle de bains. Je prends une longue douche. Ma tenue pour l'école est accrochée à côté de la cabine. J'enfile sous-vêtements, collants, jupe, chemise et pull. Je vérifie dans la glace que tout est bien mis, je me démêle les cheveux et les attache en queue de cheval.


En sortant de la salle de bains, mon père m'interpelle.

-Viens le petit-déjeuner est prêt, dit-il en déposant des œufs brouillés et du bacon dans une assiette.


Je regarde la table. La part de ma sœur est déjà servie. Je reste dubitative un instant avant de m'asseoir. Tout en grignotant mon bacon, je regarde mon père de dos en train de faire la vaisselle.


-Ce n'était pas la peine de lui faire à manger, dis-je finalement.


Il s'interrompt une seconde et reprend aussitôt sa tâche sans rien dire.


-Bah ce n'est pas grave, répond-il au bout d'un moment. Elle peut continuer à dormir encore un peu.


J'ouvre la bouche mais me ravise. Je soupire et abandonne l'idée de le raisonner. Ça ne sert à rien. Je mange mon petit déjeuner en regardant l'assiette de ma sœur. Quel gâchis. Ma sœur a toujours été la préférée de mon père. Sa petite princesse.


Après avoir terminé et débarrassé, je repasse rapidement dans la chambre prendre mes affaires. La fenêtre est toujours ouverte. Je la laisse comme ça et sort en refermant la porte, sans un regard pour ma sœur.


Sur le chemin de l'école, je retrouve une amie avec qui je fais le trajet. Elle me demande comment ça va à la maison, mais ne me pose pas plus de questions. Je ne rentre pas dans les détails non plus. Une nouvelle journée d'école commence. Habituelle. Rébarbative.

Morne.


Pendant la pause, alors que je déjeune, je remarque que certaines filles me regardent à la dérobée. Les yeux plein de compassion. Je déteste leur pitié. J'ai envie de leur jeter mon plateau au visage.


A la fin de la journée, la prof principale vient me voir.

-Comment vas-tu ?

-Ça va.

-Et à la maison ? Ce n'est pas trop dur ?

-Ça va.


Je suis laconique, je veux en finir rapidement. J'aimerais juste qu'on me laisse tranquille, qu'on me traite avec indifférence même. Comme si tout était normal.

Je réponds à ses questions et m'échappe dès que possible. Je m'éloigne rapidement de l'école et quand je me retrouve enfin seule, je traîne les pieds. Malgré le froid je fais des détours pour rallonger le chemin, mais je finis quand même par arriver à la maison.


Quand je rentre, ma sœur est installée dans le canapé. Le vieux poste de télévision en face d'elle est allumé. De dos, j'aperçois le col de sa robe à travers ses cheveux. Elle porte toujours la même tenue. Je ne dis rien et m'installe à la table voisine pour faire mes devoirs.


Mon père entre dans la maison.

-Comment ça va ma chérie ? demande-t-il en enlevant son manteau.

-Ça va, dis-je sans lever les yeux.

-L'école n'a rien dit pour l'absence de ta sœur ?


Je lève la tête. Réfléchis.

-Non, ils n'ont rien dit.

-D'accord.


Il va dans la cuisine et pose des sacs plastiques à côté de l'évier. Sûrement les courses pour le dîner. Ensuite il se dirige vers le canapé et pose un baiser sur la tête de ma sœur.


-C'est bientôt l'heure de ton programme préféré, dit-il en saisissant la télécommande pour changer de chaîne. Voilà. Mais si tu veux regarder autre chose tu fais comme tu veux, ajoute-t-il en plaçant la télécommande à côté de la main de ma sœur.


Je sens l'exaspération me gagner. Je me lève brusquement, range mes affaires et part me changer dans la salle de bains.


Je sors dans le jardin. Il fait presque nuit. Le ciel est d'un bleu limpide et froid avec un dégradé allant du plus clair au plus foncé à mesure que le soleil s'éloigne. Je m'assois sur le bord d'un bac en pierre qui accueille des fleurs au printemps. En cette saison, il n'est rempli que d'une terre humide.


Je reste là à regarder le ciel changer, avec les arbres dénudés et les bâtiments qui se découpent en ombres chinoises. Je respire l'air du soir, si différent de celui de la journée sans que je sache précisément pourquoi.


Je reste là jusqu'à ce que mon père m'appelle pour le repas du soir. Le ciel est alors complètement noir et les étoiles parfaitement visibles. Je rentre. Il fait meilleur à l'intérieur mais pas si chaud que ça. La bonne odeur du dîner flotte dans l'air. Je m'installe à la table de la cuisine tandis que mon père remplit les assiettes. Ma sœur est toujours devant la télé.

Après avoir servi, mon père se dirige vers le canapé. Il lui caresse les cheveux et la prend dans ses bras. Il l'amène jusqu'à la table et l'installe à sa place, devant moi. Puis il s'installe à son tour.

J'entame mon assiette. Ma sœur ne mange rien, évidemment. Je lève les yeux vers elle. Sa tête est penchée de côté. Ça m'agace. Et je n'aime pas son regard vide qui me fixe sans me voir. Je me rends compte que sa bouche est restée entrouverte. J'essaie de faire abstraction et me concentre sur mon assiette.


Après le repas, c'est à mon tour de regarder la télé. Mon père est allé coucher ma sœur. Peut-être qu'il lui parle. Au bout d'un moment il me rejoint. Il a l'air fatigué. Las. Nous regardons un programme ensemble, mais il n'a pas l'air très attentif.


Avant d'aller au lit, je vais me changer dans la salle de bains. C'est devenu une habitude. Je me brosse les dents et me dirige vers la chambre. Je rentre sans allumer la lumière. Non pas que ça la gênerait mais je ne veux pas la voir. De toute façon je sais qu'elle est allongée dans son lit, immobile. Mon père a dû remonter la couverte sur elle. Comme si elle pouvait encore sentir le froid. Et pourtant il fait bien froid.


Il y a quelques jours, j'avais voulu fermer la fenêtre, mais mon père s'est mis dans une colère noire. Il ne faut pas que la pièce se réchauffe.

Je m'allonge dans mon lit et m'emmitoufle sous la couette. Moi non plus, je ne veux plus fermer la fenêtre à présent. A cause de l'odeur. Elle est de plus en plus présente, elle imprègne tout. Combien de temps je vais encore devoir subir tout ça ?


Je regarde par la fenêtre qui restera ouverte cette nuit encore.


Demain il fera jour.


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