Colère Écarlate

Florian Lapierre

Une mystérieuse cabane trônant au sommet d'une colline perdue au milieu de la nature. Voilà le lieu de destination des pèlerins en quête de pardon, de rédemption et d'oubli. Couverture: Louisa B.

Le Crépuscule avait rabattu son manteau sombre au dessus de la grande colline. Un chemin sinueux menait, en son sommet, à une cabane à l'apparence lugubre, éclairée par la pâle lumière d'une lune entière. Les arbres au pied de cette colline dénudée se tordaient affreusement, tendant leurs branches vers le ciel dans un long supplice. Le vent froid et glacial battait furieusement le bois, arrachant dans son passage des branches qui déchirèrent le silence de la nuit.

Une silhouette encapuchonnée se dirigeait à la lueur d'une lanterne suspendue à sa main droite. La flammèche rouge entourée d'un halo jaune illuminait - à travers une vitre poussiéreuse - les ombres envahissantes et les repoussait à quelques mètres. Le sol mou et humide était marqué par les empreintes que cette personne avait laissées dans son sillage. La montée lui fit courber le dos et l'air capricieux s'envoler sa cape au vent. Quelques marches en pierre grisonnante, recouvertes d'un tapis de mousse, lui indiquaient où grimper afin de ne pas s'écarter de l'unique chemin. La sinistre forme de la bâtisse se dressait au-dessus de lui, trônant au sommet de la terre, effleurant les nuages et le ciel englouti dans la pénombre. Un éclair perça le voile nocturne au loin, illuminant la rétine du voyageur en marquant sa vision d'un trait sombre, encore après sa disparition. Le grondement au loin lui parvint quelques secondes plus tard, puis, de nouveaux flashs lumineux, au teint légèrement rougit par les rayons lointains du soleil disparaissant aussitôt, vinrent s'écraser violemment sur le paysage derrière la colline. Le puissant bruit étouffé qui suivit le fit sursauter et il crut, pendant un instant, qu'un monstre gigantesque grognait au loin.

Il resserra sa cape autour de lui quand il arriva devant la porte faite de vieux bois. Il pensa tout d'abord que ce lieu avait été détruit par les éléments furieux, car tout était fissuré en plus d'avoir été rongé par une nature omniprésente. Le sol dallé en pierre était creusé de sillons sombres, la roche sûrement éclatée. Il tourna la poignée qui vibra sous le coup de tonnerre retentissant tout près et entra à l'intérieur.

La pièce était grande, un brasero en son centre éclairait d'une teinte enflammée les quatre murs. Deux chaises se trouvaient de part et d'autre du feu. La vaste pièce était assez peu meublée, ce qui le fit prendre conscience de sa propre présence, ainsi que celle de l'habitant. Une personne se trouvait de dos, assis devant un bureau, en pleine concentration sur une activité inconnue. La silhouette retira sa capuche révélant son visage grave et sa barbe brune. Ses traits tirés mettaient en valeur son regard puissant, déterminé et noir, comme les ténèbres qui sommeillaient en lui. Sa stature était impressionnante et il se tint droit, immobile, devant les flammes qui consumaient avec ardeur le combustible en leur sein. Seul un crépitement se fit entendre et des braises s'envolèrent de la seule source lumineuse présente.

D'ailleurs, il n'y avait aucun lien apparent avec l'extérieur, les volets recouverts de lianes étaient fermés et la fureur de l'orage ne parvint pas à traverser les murs, malgré leur épaisseur moindre. Tout cela éveilla une curiosité étrange au voyageur, mais il se souvint avoir entendu plusieurs murmures sur cet endroit, tous aussi différents les uns les autres et tous aussi mystérieux.

Voyant que l'hôte ne bougeait pas, bien qu'il l'ait entendu entrer, il prit l'initiative d'annoncer sa requête.

— Je viens purger mon âme !

Sa voix tonitruante résonna bruyamment et fit lever la tête de la personne en plein travail. Il semblait écrire quelque chose, car il posa délicatement sa plume sur le côté. Sa chaise recula lorsqu'il se leva, sans un bruit, révélant sa taille d'homme. Il effectua quelques gestes sur son bureau, lentement, avec précaution avant de se retourner en direction de l'invité.

Celui-ci essaya tant bien que mal de cacher sa surprise face à ce qu'il vit. L'homme à l'apparence d'un vieillard se tenait légèrement penché, sa barbe rasée, les mèches de ses cheveux longs, à la blancheur éclatante, tombaient autour de son visage. Son visage blême, marqué de douleur lui donnait un aspect grave et terrible. Mais ce qu'il remarqua tout d'abord, ce fut les deux pupilles brillantes à la place des yeux organiques de ce vieil homme. Deux gemmes parfaitement taillées ornaient son regard, reflétant les flammes du brasero. Il se sentit aspiré par son intensité et envahit d'une présence étrangère, inspectant et explorant succinctement sa personne. Après ce court instant, hôte détourna le regard libérant ainsi son invité, puis, il fixa le feu qui brûlait activement le bois.

— As-tu apporté ce qu'il faut ? Demanda-t-il en s'appuyant sur la chaise derrière lui pour ne pas tomber.

Sur ces mots, le voyageur défit sa cape et prit une bourse en tissu à sa ceinture, dénoua le nœud, laissant choir deux rubis bruts, de la taille d'une bille dans sa large paume. L'habitant vint quérir ses précieuses pierres, les saisissant délicatement dans ses mains tremblantes, sans jamais croiser le regard de l'autre homme. Empli d'un regain de vigueur, il les posa sur son atelier, s'assied et saisit une loupe accrochée à une barre en fer rouillé qu'il plaça devant son œil droit. Ensuite, il fixa le premier rubis imparfait dans un étau et attrapa ses outils pour polir et tailler la gemme sombre.

Se sentant délaissé, l'homme toujours debout grogna sans bouger :

— Je t'ai apporté ce qu'il fallait, à présent purge mon âme !

Son timbre de voix tremblait, et il serra ses poings pour intérioriser ses sentiments qui prenaient le pas sur lui même. Ses yeux brûlaient intensément et une tâche noirâtre s'épaissit en son centre.

Sans se retourner, ni même prendre le temps d'interrompre son travail, le concerné répondit calmement ces mots.

— Assieds-toi et regarde le feu se consumer. Dès que j'aurai fini, je m'occuperai de toi.

Alors sans poser de questions, ni même contester, il alla contempler le feu au centre de la pièce. Les flammes oranges rongeaient les bûches, les reflets plus clairs à l'extérieur et plus sombres à l'intérieur dansaient autour de cette combustion. Des particules s'échappaient de la matière brûlée, suivant un filet de fumée noir qui s'élevait vers une ouverture dans le plafond, alors qu'une intense rougeur brillait sur l'écorce carbonisée.

Enfin, il plongea à l'intérieur de lui même, découvrant le bûcher qui l'animait et brûlait vivement en son sein, dévoilant ses plus sombres souvenirs, ses plus sombres desseins.


Les bûches étaient devenues cendres, tandis que quelques braises écarlates illuminaient la pièce. Plongé dans une obscurité où seule une lueur rouge brillait comme point de repère dans ce dédale d'ombre, le voyageur reprit conscience de son corps et se remit à penser. Il chercha en premier lieu à voir si le tailleur de pierre était encore présent et ne fut pas étonné de le voir encore attelé à sa tâche. Cependant, il ne voulait pas attendre plus longtemps, car le temps s'était consumé plus rapidement que ce qu'il avait prévu. S'apprêtant à se lever, il resta sur place voyant que la son hôte, concluant son travail, se dirigea vers la chaise devant lui.

Le grand bonhomme fut prit d'un frisson lorsqu'il remarqua les deux pupilles rubis qui le scrutaient. L'artisan se tenait immobile sur sa chaise, les mains sur les genoux, le dos droit et le regard fixe.

— As-tu réussi à entrevoir ton âme ? S'enquit-il d'un ton neutre.

Le voyageur était stupéfait de ne voir aucune expression animer le visage de son interlocuteur, il se demanda même s'il ne s'agissait pas là d'un masque. Oubliant sa brève préoccupation, il répondit d'une voix nouvelle :

— J'ai aperçu comme des morceaux, des choses qui éveillent en moi une douleur sourde et intense, des souvenirs affligeants que je pensais avoir oubliés à jamais, des bribes de mon passé que j'ai retrouvées et qui m'auraient empli de joie plus jeune, lorsque la vie ne m'avait pas encore montré à quel point elle était cruelle et sans pitié.

Il serra sa puissante mâchoire à la fin de sa phrase, refoulant une souffrance intérieure bien trop présente, et baissa de nouveau son regard sur le brasero mourant. Le tailleur inspira longuement, puis, contempla à son tour le feu qui se mourrait et la lumière qui menaçait de s'éteindre à tout instant. Ils ne pouvaient plus se discerner exactement, et seuls deux silhouettes apparaissaient l'une à l'autre. Leurs enveloppes physiques disparaissaient dans le néant et les ténèbres, laissant seulement visibles les deux yeux de chaque homme, reflétant la légère flammèche rougeâtre au milieu du charbon à leurs pieds. Les deux regards se croisèrent, intenses, brûlants. Une résistance s'éprouvait des deux parts, et l'homme aux pupilles rubis déclara dans un souffle qui s'envola dans la fumée:

— Es-tu prêt à purger ton âme ?

Un hochement de tête, perceptible par le reflet de ses yeux sombres, répondit à la question et toute résistance céda immédiatement. Un pont éphémère relia les deux êtres qui plongèrent l'un dans l'autre. Le voyageur fut confronté à un miroir immense d'une couleur écarlate en son centre, mais au contour sombre, pourpre, lui dévoilant dans toute son entièreté, son âme entachée de sang.

Le tailleur, lui, plongea dans cette essence écarlate où les flammes brûlaient avec une puissance inimaginable. Des teintes claires virevoltaient aux extrémités de cette danse frénétique, mais il devait aller au plus profond de son âme. Au centre du plus grand feu l'habitant, la fournaise était envahie de sombres teintes de rouges, allant du carmin au pourpre, et finissant par une noirceur absolue. Là se trouvait les désirs les plus refoulés, les plus interdits. Là se trouvait la colère aveuglante, les mains ensanglantées. La violence, la passion, l'interdiction. Tout était présent, les souvenirs reclus de cet homme et ce qu'il désirait par dessus tout : oublier tout cela. N'avoir jamais eu conscience d'avoir fait ce qu'il avait fait. D'avoir vécu pleinement sa vie. Oublier à jamais le bonheur qui l'habita autrefois, la douleur qui le saigna maintes fois, la vengeance qui l'anima des années durant et qui le laissa finalement vide, seul, empli d'une ardeur brûlante, que personne ne put éteindre.

L'essence noirâtre où s'attachaient quelques braises cendrées, fut aspirée dans un tourbillon indiscernable aux couleurs indescriptibles. Les souvenirs, brillants avec une intensité éphémère au fin fond de son âme disparurent alors, laissant un brouillard blanc, flou et sans matière à la place. Cette colonne de flammes aux dimensions irréalistes et insondables, intégra les joyaux qu'ornait le tailleur dans son omniscience. Il ferma les yeux et balança sa tête en arrière en poussant un grognement de douleur.

La tête du voyageur bascula lentement en avant. Il ne bougeait plus.

La dernière rougeur, entre les morceaux de copeaux de bois noirs, brillait intensément, laissant croire à un nouveau souffle. Mais, elle s'éteignit aussitôt, laissant le néant engloutir la pièce dès l'instant où la dernière flamme mourut.   

  • ca alors, cette mysterieuse cabane que vous décrivez il se trouve que j'en habite une, je vois de quoi vous parlez.

    · Il y a environ 7 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • Je suis ravi de voir que cette histoire arrive à susciter des émotions ainsi qu'à vous transposer dans son univers !

      · Il y a environ 7 ans ·
      Flo

      Florian Lapierre

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