Colocation

Pierre Carmody

Bientôt, j’aurai les moyens financiers en plus d’un travail formidable qui me forcera à être rarement chez moi.

Bientôt, je monterai une colocation parfaite.

J’achèterai un grand loft en duplex, soigneusement choisi parmi les plus somptueuses garçonnières de ma ville. J’emménagerai dans la meilleure pièce, de préférence à l’étage, pour pouvoir descendre les marches devant mes invités.

N’aimant pas la solitude, je déciderai au bout de quelques semaines de sous-louer les chambres restantes à de jeunes étudiantes. Du haut de ma trentaine élégante, mes absences régulières et le faible loyer attireront beaucoup de monde, mais je ne sélectionnerai que de jolies demoiselles. Les célibataires seront bien sûr préférées, mais même les maquées le redeviendront vite lorsque quelques-unes de mes astucieuses remarques viendront pourrir leur relation.

Je partirai alors pour le boulot. Quelques jours plus tard, elles seront toutes là lorsque je rentrerai, comme je leur avais fait promettre. Je les inviterai au restaurant, les emmènerai dans des soirées où je les présenterai à des contacts et leur ferai miroiter des emplois en or.

Je demanderai une propreté sans faille pendant mon absence, interdirai les fêtes et les visites trop fréquentes. D’ailleurs, je détesterai tous leurs amis et rechignerai à ce qu’ils viennent chez moi. Après tout, c’est moi qui aurai payé la caution. À la moindre anicroche, je sortirai mon arme suprême : je leur rappellerai que je paye davantage de loyer et de charges qu’elles, et qu’elles pourraient commencer à compenser en s’occupant mieux de l’appartement que je ne le pourrai jamais, moi qui ne suis finalement presque jamais là, tant mieux pour elles.

Culpabilité.

Domination.

Bientôt, j’aurai transformé mes colocatrices en de parfaites soubrettes. Je me conduirai en tyran et récompenserai chaque mois la meilleure des ménagères en lui payant sa part de loyer. Ce manège durera un peu, puis je commencerai à les critiquer toutes. Terrorisées par ce que leur mécène pourra dire sur elles, elles viendront me demander conseil et je régenterai alors des pans entiers de leur vie. Les manipulant allègrement, elles tomberont amoureuses et je profiterai de leur corps à toutes. Formant une communauté martyrisant les récalcitrantes, je déciderai que je ne pourrai plus m’occuper de toutes. Je choisirai deux régulières du lot, et prêterai les autres filles, encore amoureuses, à de riches et puissants amis qui viendront profiter de leurs charmes.

Dès lors, j’arrêterai de travailler et me concentrerai sur la communauté.

Je mettrai les plus laides sur le trottoir, les fournissant en « remontants » avarement distribués pour qu’elles tiennent le choc. Je les parquerai dans une seule pièce, celle des Punies. Cela libèrera de la place pour les nouvelles.

Je déciderai que deux femmes par an tomberont enceinte. Très tôt, j’éduquerai les mâles pour qu’ils continuent mon œuvre, et les femelles pour prendre la suite de leur génitrice. J’achèterai un appartement adjacent pour y parquer les enfants. Je serai à la fois leur père, leur mère et leur dieu.

Mes fidèles amis me protègeront et personne ne viendra me chercher de noises. Car trop de gens seront mouillés dans mes petites affaires.

Et d’ici dix ans, je l’aurai enfin, ma colocation rentable, polygame, avec une horde de fanatiques délurées m’adorant religieusement et se battant chaque jour pour obtenir de moi leur absolution, leur pain quotidien.

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