Comète
Alain Caron
J'ai plein de défauts visibles et plein de qualités cachées. Je suis imparfaite. Certains diront que je ne suis pas commune.
J'ai pourchassé la solitude au point de la rattraper. Maintenant, je vis autrement. J'ai plus beaucoup d'amis.
Je parle peu, j'écoute et garde le silence.
Je vis à petit feu.
Et…
Et à chaque fois que je te vois, je bouillonne. Tu me réveilles. Je te regarde, je te dévisage. J'observe le moindre de tes recoins. Tu me plais beaucoup. Ton odeur, tes yeux, tes bras me bousculent. Je cours sur toi dans mes rêves, je t'attrape, je m'accroche, je m'arrime.
Quand il m'a convoqué dans son bureau et qu'il m'a dit que la société mettait la clé sous la porte, qu'il n'y avait plus de contrats, plus de clients, plus d'argent, j'ai accusé le coup : Le poignard au fond du bide, le bruit sourd dans les tympans, un mal de crâne derrière, sur une bonne partie du bout de cerveau qui reste. Les jambes qui bougent seules. Et mal en dedans, loin, comme la pire des grossesses. J'ai bien cherché une musique, un visage, une danse. Rien n'est venu. Puis je t'ai appelé, tu as compris et tu m'as dis d'attendre. Tu viens me chercher, c'est mieux. Mais dehors, il pleut. Je ne t'attends pas, c'est trop long d'attendre alors je prends la voiture. La voiture, le soir qui tombe, les femmes au volant, tu sais bien… (ça me fait presque sourire maintenant)…je loupe le virage de tous les jours et je crie. Le poteau ! Grand con de poteau en béton ! Là, le trou béant au milieu de mon thorax, du sang et du bruit, une douleur trop forte pour ne pas m'endormir presque définitivement. J'ai bien vu la même lumière du fond du couloir comme dans tous ces livres lus. J'ai sauté, tiré, accéléré, poussé, extirpé ma carcasse pour sortir de l'ombre. En vain. Je marchais comme sur un fil mais sans bouger d'un centimètre. Rien. Tout est alors passé très vite devant mes yeux : nos enfants qui jouent, Mathilde sur la balançoire, Cloé et Louna dans une piscine en forme de Légo géant, toi et tes parents alignés, en uniformes marins, au garde à vous dans la cuisine, la main relevée et les doigts agités en signe d'au revoir. Le chien était là aussi, c'est idiot non ? Puis, les images des vacances en Norvège aussi et tes rires sur le bateau. Puis, plus rien.
Je suis coincée sans la possibilité de sortir, voilà le résultat.
Maintenant, je te vois autrement. Un peu de tout près et un peu de très loin. Je ne suis plus là, mais on peut se parler et se dire des choses quand même. Tu me plais beaucoup.
Maintenant, je suis une étoile dans ton pantalon repassé, une étoile sur ton caleçon moulant et sur ta chemise bleue du travail. Une étoile sur ton écran. Je suis ta comète.
Tu me plais beaucoup. J'aurai l'occasion de te le redire quand on se verra. Je t'attends.
Mais viens le plus tard possible.