Comme dans un journal...

vert-de-grisaille

Ce matin-là, comme tous les matins, j'attrapais le journal qui dépassait de ma boîte à lettres.

D'habitude, je commençais ma lecture sur le chemin entre la boîte et la maison. Mais, avec le retour du froid et l'humidité matinale, je n'avais pas envie de m'attarder. Je rentrais donc, me fis un café, et m'installais. C'est là que tout commença.

En dépliant le journal, je trouvais ma trombine en première page. Je crus que mes yeux de hibou mal réveillé m'avaient trahi et je m'empressais d'avaler une gorgée de café serré avant de pousser l'investigation.

Je regardais à nouveau.

Non, je n'avais pas rêvé. C'était bien moi. Ce que je faisais là, en revanche, c'était une autre paire de manches avant que je ne comprenne.

Je vous avoue que la cafetière avait bien marché pendant cette heure de découverte. J'avais besoin d'adrénaline liquide à faire circuler dans mes artères et mes neurones pour bien cerner le merdi.. hum... le bazar.

Il était question d'agression, et pas n'importe quelle agression. Un politique notoire avait subi une attaque flinguée et avait été loupé de peu. Le portrait établi permettait bougrement de reconnaître ma tronche grâce à celui qui avait vu quelqu'un au "comportement suspect". Quel était ce quiproquo? Je me demandais si j'allais avoir le fin mot de l'histoire, moi qui ne m'était jamais intéressé outre mesure à la politique.

Après le quatrième expresso, je fus comme traversé par un éclair de compréhension. Littéralement: mes yeux clignèrent dans un effet visuel de lumière noire, et mes neurones mirent le puzzle en place. Mon foutu voisin, source de mes emmerdes depuis quelques temps.

Ce salopard était un politicard bien confirmé, et bien fonctionnaire. Les pots-de-vin, le glandouillage, c'était ça sa vie. Je l'avais entendu quelques fois parler un peu trop fort lorsqu'il se pavanait au téléphone dans son jardin. J'étais au courant de pas mal de choses, et ça ne lui avait jamais posé de problème. Jusqu'à.

Jusqu'à ce qu'un jour, je me liais d'amitié avec un journaleux. Bien entendu, l'amitié n'avait rien à voir avec sa fonction professionnelle, mais Mr le Voisin s'était senti menacé par cette présence gênante. Il m'avait fait quelques remarques sur mes "relations douteuses" à l'occasion de nos chassés-croisés de "bon voisinage", mais je l'avais remballé en lui disant de se mêler de la poussière de son paillasson, lequel paillasson abritait l'amant de sa femme pour pallier à ses défectuosités en matière de virilité.

Bon, je reconnais, pas très diplomate de ma part, mais pour moi, ça devait en rester là.

Mon pote m'avait entendu vaguement évoquer l'affaire, et avait mis un de ses amis sur le coup, pour un article dans la presse à scandales. Et le problème était qu'ils avaient déniché bien, bien plus. Une sombre histoire de prostitué masculin ayant besoin de faire blanchir un peu d'argent pour ses dealers, et qui profitait de la générosité de la dame pour troquer quelques biftons et, au passage, pour lui en soutirer quelques-uns de plus pour sa consommation perso.

Bref, j'étais devenu la bête noire de Monsieur le Notable. Cette ordure était le "témoin" qui avait aperçu le suspect...

J'étais en train de me demander pourquoi je n'étais pas encore incarcéré, quand j'en compris également la raison. S'il avait voulu me faire emprisonner, il m'aurait littéralement dénoncé. Mais là, non. Il voulait juste me faire flipper, suffisamment pour que je me terre, voire que je déménage. Il avait plus d'intérêts à me faire taire par pétoche, qu'à me pousser à raconter ses petites histoires d'argent et de fesses à des enquêteurs. Pour le moment, il pouvait toujours jouer les cerveaux surmenés et dire que son portrait n'était sans doute pas fiable. Après tout, qui croirait-on? Le bon politique influent de la ville ou l'obscur nouveau riche que j'étais, chanceux de la vie, avec mon insolente réussite dans le monde de la finance?

Alors, je passais rapidement aux petites annonces immobilières pour connaître la valeur de vente de ma maison...

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