Comment ça, les femmes n'y connaissent rien en bagnoles?

divina-bonitas

Petite chronique automobile

C'est dingue ce truc. Je découvre le concours Renault proposé par WLW, puis suis un fil qui me mène sur le site de femmes totalement charmantes et adorables, semblant éminemment brillantes, évoquant leurs difficultés initiales avec le monde automobile, ayant décidé de remédier à cet état de fait, plus sur le plan marketing, confort et look que sur le plan technique...si je comprends bien ce que je lis.


On ne doit pas venir du même monde elles et moi.


Chez nous la voiture, son entretien et cet univers, nous furent livré en héritage, comme un gêne de plus, par l'arrière-grand-père, lequel vendit ses chevaux - il était maquignon- pour monter le premier garage du Jura au début du XX°siècle. Mon grand-père eut à sa majorité sa première Traction 15. Noire, brillante, un bijou pour l'époque. La famille n'était pas riche mais hors de question de se promener dans une caisse pourrie, à pinces ou en trolley. Le codage génétique envahit vite toute la famille, filles comprises. L'entretien technique, le lustrage des carrosseries et des chromes, était la principale activité familiale des W.E. Peu importe que la cour de la ferme fut inondée, l'important était que toutes ces belles autos brillent de mille feux, sentent le propre, fleurent le polish. On m'apprit vite à me servir d'une peau de chamois, une vraie, pas un de ces succédanés en synthétique. Ça raye! Le chrome, il faut pouvoir se refaire le maquillage dedans, sinon c'est pas du boulot! Et surtout, l'important c'est l'oreille, plus performante que celles réunies d'un luthier expérimenté et d'un horloger suisse. Celle qui permet de comprendre son moteur, le feulement des cylindres, de sentir le cafouillage d'une soupape. Ouh là, un petit bruit à l'avant? Un silentbloc sans doute! Dis donc fillette, si tu veux pas passer à travers l'embrayage à 25000,  laisse pas le pied sur la pédale aux feux rouges! T'as vu la couleur de ton huile? Depuis quand t'as pas fait la vidange? Ça glisse un chouille quand tu freines? T'as vérifié tes plaquettes? C'est quoi ces pneus? Pffft...t'étonne pas de pas tenir la route quand ça virole! Change tes enjoliveurs. C'est pas beau le plastique. Ça fait cheap! Comment t'as fait pour casser la chaîne de distrib? Ça casse pas normalement. Quel est le pingouin qu'a remonté ce moteur? Les paliers sont morts! Et les soupapes? C'est quoi ce travail? T'étonne pas qu'elle tourne boiteuse! Dis donc, regarde tes bas de caisse.  Une voiture ça se lave, même dessous! On blaxonne pas chez nous. Si t'avais changé la durite de loockheed, tu te serais pas retrouvée en panne. Je t'avais dit de faire gaffe!


La première caisse de mon père fut une Type E. Grise intérieur cuir rouge. Une merveille. J'adorais faire sensation en arrivant à l'école avec. C'était pas vraiment la sienne à Papa puisque c'était celle de son boss qui la lui prêtait, mais pas grave. L'important était d'être dedans. Fière! Ensuite ce furent quelques virées en Alpine Renault, d'autres en Porsche, rutilante, rouge vermillon, quelques balades en Silver Shadow sur les grands boulevards. A 15 ans j'avais gagné mon ticket au Paradis. Du bénévolat dans un garage de luxe, moitié musée moitié atelier. Des heures de bonheur pur dans des odeurs de cuir et d'huile, dans le cliquetis des clefs et le ronronnement des cylindres en V. Silence dans l'atelier, ça tourne!


Je commençai ma vie de conductrice option mécano avec une Fiat 500. Une vraie, mignonne de partout avec son skaï rouge et ses liserés blanc, qui perdait systématiquement sa tête de delco en roulant, démarrait avec une lime à ongles faute de clef et n'avait plus d'embrayage. Pas grave, un élastique pour tenir la tête de bakélite et c'était reparti. Une oreille musicienne suffisait à passer les vitesses. Plus tard j'achetai une Goélette Renault de 1950, un ancien corbillard repeint en bleu Gitane pour ne pas faire peur aux clients du maraîcher qui s'en servait pour les marchés. Double débrayage. Merveille de moteur à réparer soi-même. Ne jamais oublier le papier de verre pour les vis platinées les jours d'humidité. Simple! Vinrent ensuite les breaks Merco. Ça c'est du solide! Le premier avait une magnifique couleur kaki matifiée par le soleil et les intempéries. J'avais l'impression de conduire un tank de la Wehrmacht. Jamais connu une telle direction assistée ni un tel correcteur d'assiette. Genre de caisse qui chargée à bloc ne bouge pas d'un iota dans les courbes. Le second était blanc. 350 000 bornes au compteur, revendu à un cousin qui l'a cédé à un copain...Increvable. Une jaguar aussi, qui ne vaut plus rien sur le marché mais qui donne l'impression d'être dans un palace à 180km/h. Je sais c'est interdit! Chut! Pas un bruit même à grande vitesse, juste un ronronnement rassurant. Et puis c'est beau quand même la ronce de noyer! Plus beau et plus doux que le plastique des nouvelles voitures.


Qu'est-ce que je peux râler contre les nouvelles bagnoles bourrées d'électronique systématiquement en rideau à cause de je ne sais quelle sonde au nom énigmatique! Tu parles d'un progrès! Je vois bien. 3 semaines que ma 307 fait s'arracher les cheveux au garagiste. D'où viennent les trous à l'accélération quand le moteur monte dans les tours? Mystère! C'est pas les injecteurs, pas la bobine, pas les bougies...donc, en un mot, pas l'allumage. PFC! Je vous laisse deviner à quoi correspondent ces majuscules, parce que ça serait mal poli sinon.


Suis-je vraiment un cas à part? Une femme qui murmure des mots doux aux moteurs? Qui considère qu'une voiture, une femme en a besoin et sait la comprendre? La réparer? La bichonner à l'huile de coude? Surtout pas dans les rouleaux. Malheur! Hérésie!Tu vas rayer le vernis!


Je reconnais avoir eu des mots avec une poignée de garageos, des machos, persuadés qu'ils allaient pouvoir me la faire à l'envers à coups de "ma p'tite dame, c'est pas à moi que vous allez apprendre le métier" et d'additions salées. Il y en a quand même un, un gros gars gras, rougeaud, virulent et mal embouché, qui a dû me payer un autre break Mercedes après avis d'expert confirmant mon diagnostic. Mince un autre! Je l'avais oublié celui-là! Qui avait changé les flexibles avant des freins mais pas ceux de l'arrière. J'ai pas vraiment apprécié de me retrouver sans freins avec 2 tonnes de tôle à arrêter dans une descente. Lui ça lui a coûté de refaire à ses frais tout le système de freinage de la Goélette, laquelle a finalement fait le bonheur d'une bande de scouts.


J'avoue. J'adore les voitures et particulièrement la mécanique. Et je ne vois pas du tout pourquoi ce serait un métier ou un loisir réservée aux hommes, encore moins pourquoi les discussions sur le sujet se cantonneraient aux apparences, pourquoi il n'y aurait dans les paddocks des circuits que des créatures bronzées servant de décoration.


Je l'aime bien mon garagiste. L'autre jour il m'a dit que j'étais la seule nana qui lui avait demandé de monter des Toyo sur ma familiale, que ces pneus étaient montés en série chez Porsche. Je lui ai donc dit que la prochaine fois, j'en achèterais une d'allemande ronflante et ronde, qu'on irait faire les belles entre filles sur la côte.



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