Comment c'était avant.

Marguerite De Branchus

Tu n'imagines même plus ta vie d'avant quand le silence était roi, quand le calme faisait sa loi, quand le sommeil était ta foi. Tes journées sont chamboulées, ton existence est transformée.

Tes journées se suivent mais aucunes ne se ressemblent. Rien n'est prévisible, tout est envisageable. Tu ne sais jamais à quelle heure tu vas te coucher, ni à quelle heure tu seras réveillé. Tu manges en deux minutes chrono la main gauche agrippée à ta fourchette, la main droite encore accrochée à une bavette. 

Tu te douches en cinq minutes chrono tout en priant le saint esprit que le silence soit encore là quand cessera le bruit de l'eau sur ta peau. Tu prends une voix aiguë et un air bête pour commenter tous tes faits et gestes. Tu as un sourire greffé en permanence sur le visage. Tu chantonnes à longueur de journée, tu fredonnes à tue-tête des airs de chansons qui n'existent pas. Tu as l'air con mais bref passons. Tu ne te déplaces jamais sans deux sacs, quatre roues et un doudou. Le matin, tu n'as plus une tenue à préparer mais deux. Tu n'as plus une tignasse de cheveux à dompter mais deux. Tu crois entendre des pleurs de bébé de partout et tout le temps, même au fin fond du poulailler, même bien enfoui sous ton oreiller. A la tombée de la nuit, sans t'en rendre compte, tu te mets à chuchoter et à marcher sur la pointe des pieds. C'est un nouveau réflexe. Tu remplis méticuleusement des boîtes en plastique d'une, deux, trois, quatre, cinq doses de poudre bien arasées. Toutes les quatre heures. C'est la même rengaine. Tu as l'impression de participer à un trafic de cocaïne géant.

Tu n'imagines même plus ta vie d'avant quand le silence était roi, quand le calme faisait sa loi, quand le sommeil était ta foi. Tes journées sont chamboulées, ton existence est transformée. Tu n'as plus une minute à toi. Et pourtant maintenant, tu te demandes encore comment c'était et comment tu faisais. Comment c'était la vie avant ? Comment tu faisais sans ? Sans cette petite fossette au coin de la joue, sans ce sourire à tomber, sans ce regard innocent qui te transperce d'amour et de joie à chaque fois que tu le croises. Même si c'est fatiguant, même si c'est que de chamboulement, tu te demandes encore comment tu as pu vivre sans cet dose d'amour autant de temps. Comment tu as pu te passer de ce bonheur si longtemps. 

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