Complice

Magali Aïta

Le passé resurgit toujours là où on ne l'attend pas.

Un vendredi soir ordinaire, Amandine s’occupe du dîner dans la cuisine, cintrée par un joli tablier à fleurs qui lui va à ravir. Elle prépare une soupe de légumes de saison pour toute sa petite famille. Le mari, avachi sur le canapé du salon, se détend, en lisant le journal tout en sirotant un verre de whisky. Les enfants jouent calmement dans leur chambre. Seul le ronronnement de la télévision trouble la quiétude du foyer. La mère épluche les légumes avec application en écoutant la voix du présentateur qui commente l’actualité.

Un homme d’une trentaine d’années, Jonathan X, a pénétré dans une école élémentaire et a tiré à bout portant sur une trentaine d’enfants, vingt petites victimes sont à déplorer. Jonathan X a retourné l’arme contre lui avant l’intervention des forces de l’ordre. La ville est en deuil, personne ne s’explique ce geste de folie meurtrière.

Amandine lâche le couteau de cuisine, prise de tremblement, elle est tétanisée, agrippée au rebord de l’évier elle lutte pour ne pas s’effondrer. Le souffle court, elle a de plus en plus de mal à respirer. Défilent devant ses yeux, à une vitesse ahurissante, les images du passé.

Dans la cour de récréation, le petit Jonathan est le souffre-douleur des enfants de sa classe, de son école. Il ne se passe pas un jour sans qu’il ne soit le centre de moqueries, de railleries. « Si tu veux être mon copain, il faut que tu fasses ci. Si tu veux jouer avec moi, il faut que tu fasses ça. » Les soi-disant camarades pillent sa trousse, volent son goûter, mais Jonathan ne dit rien, laisse faire, ne se plaint jamais. Les filles assistent aux scènes d’humiliation, elles en rient parfois, haussent les épaules d’autres fois. Les enseignants ne se rendent pas compte du drame qui se joue à quelques mètres d’eux. La douleur silencieuse du petit garçon est sourde, ensevelie sous un visage d’ange où nulle trace de sentiment ne semble vouloir transparaître. Ni joie, ni peine, l’enfant est toujours d’humeur égale. 

-       Dis Maman, quand est-ce qu’on mange ? J’ai faim.

 

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