Compte rendu de lecture

novembre

- Les lisières, Olivier Adam

Sans nul doute, l’aspect le plus frappant de cette autofiction réside-t-il dans l’extraordinaire banalité avec laquelle est narrée sa catastrophe. Mais la crudité de la langue, disons son élégante indigence, trouve sa justification dans son objet : les banlieues - dont je vous laisse le soin de définir la nature - et l’expérience de leur vertige. Celle-là même qui pouvait paraître d’un ennui mortifère, prend à la lumière de ce projet toute l’ampleur du vide dont elle ose l’esquisse. Nue, mais à la nudité morne, quoi que parfois attifée hasardeusement d’adjectifs élimés, au teint de peau grisâtre et délavé de la ville, ses phrases s’enchaînent, linéaires et liées, machinalement cadencées par une routine tyrannique qui s’installe dès l’incipit, dans un défilement interminable, un enfilement infini de mots fades, qui a pour dessein d’incarner les rues pavillonnaires, les lieux anonymes dont elle fait la description banale ; puis, coureuses de fond en bout de course, ses phrases s’écroulent en silence, amorphes, mineures et déceptives sur des blocs de points lourds. Par ailleurs, la nauséeuse transparence du récit, qui infuse en l’esprit une insidieuse indolence, lente anesthésie comparable à celles du silence ou du sommeil, fait que l'on devient malgré soi le passager fantomatique de cette errance dans les limbes de la cité.

Le recul vertigineux dont jouit le narrateur autodiégétique le conduit à être aux lisières des lisières, celle de sa conscience, dont il fait la traversée languide, l’errance, dans une perspective omnisciente, mais qui a pour contrepartie de lui rendre impossible ou impuissante toute interaction avec les drames qui se jouent au ralenti sous ses cernes. D’ailleurs, loin de se restreindre à une réalité spatiale, les lisières prennent également une dimension temporelle ; le narrateur est en effet au carrefour de sa vie, au sud son passé resurgissant par le biais des visages de son enfance, défigurés par le temps et la vie, et au nord l’avenir, à l’horizon perdu depuis le désamour du divorce : il est pour lui l’heure aveuglante du bilan. Alors les visages défilent, tels des panneaux de signalisation, bornant la route de son histoire avec la même imprécision que des enseignes falotes dans le brouillard. Quelques fois, il s’arrête et se poste ; questionne le bruit ; écoute en fond ; puis repart, notre épouvante à ses talons et le frimas épais, posé comme un suaire sur sa narration, digère déjà le souvenir cru du cri qui a traversé son récit. Entre les quelques bouffées de couleurs et d’air en Bretagne ou en forêt, le lecteur fait la rencontre d'âmes éteintes, au comptoir d’un bistrot mal éclairé, assistent au naufrage de leurs vies fausses, cause quelque fois avec des êtres que la phrase venteuse balaye aussitôt sans distinctions.

Les lisières sont écrites dans l’oubli mélancolique de leur propre écriture. Ainsi que dans l’enceinte ruinée du Château du Souvenir, superbe poème flot et flottant de Théophile Gauthier, l’air est chargé de regrets, la mémoire rumine devant la verticale de l’irrémédiable ; à la distinction peut-être qu’un futur se profile, possible grâce au déplacement des lisières. Cette expérience des limites est vertigineuse, réveil en douche froide sur le carrelage éblouissant et dans la nuit supérieure, mais la voix est discrète de bout en bout de son exhibition, humble et rassurante, son timbre atone se destinant aux oreilles les plus fines comme aux plus malades ; elle se fait vents, charrieuse pudique de néant.

  • Très juste, Les Lisières sont à la fois le récit ordinaire et unique d'une vie périphérique dont le narrateur a tâché de se débarrasser et qui pourtant n'a de cesse de le rappeler à elle. Un récit sincère, impudique qui nous ramène à la temporalité des choses: peut-être aurait-il fallu les brûler, ces Lisières.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Pp2

    aeden

    • Winter is coming ...

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

    • (You know nothing Jon Snow.)

      · Il y a environ 11 ans ·
      Pp2

      aeden

    • ha, ha :)

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

    • Tu ne crois pas si bien dire !

      · Il y a environ 11 ans ·
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      novembre

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