Concours Livre de Poche

Diane Mond

Concours d’écriture Les 60 ans du Livre de Poche – We love Words

1 – Une famille : le père, la mère, Kévin et Anna, les deux jumeaux, Cathy, la plus jeune enfant, et Emily, la correspondante américaine de Kévin. Le jour du départ en vacances, la mère de famille disparaît dans un relais routier. Les autres partent à sa recherche ; à leur retour la voiture aussi a disparu. A la place, un message mystérieux : "Roulez vers l'imprévu"

2 – La famille, obligée de passer la nuit dehors, a très peur. Le lendemain, ils ne trouvent ni réseau, ni cabine téléphonique, ni âme qui vive ; la station-service est fermée. Sont-ils donc seuls et abandonnés ?

3 – Le père reçoit un mystérieux sms : « Ne bougez pas. Restez là où vous êtes. Je reviendrai. », mais ne peut répondre. Ils sont apeurés à l’idée de repasser la nuit là. Emily, surtout ; elle disparaît d’ailleurs dans la soirée.

4 – Au loin, un campement de forains. Kevin, contre l’avis des autres, va les rejoindre. Il rencontre une diseuse de bonne aventure qui lui dit d’être patient. La nuit tombe et les forains deviennent inquiétants ; Kevin rentre à la station-service mais ne trouve plus personne.

5 – Kevin est réveillé par son père ; lui et les autres étaient partis chercher la prochaine sortie d’autoroute, mais c’était trop loin, ils n’ont pas trouvé. Un forain arrive et ramène Emily, à moitié morte de faim et de soif, à qui ils donnent toutes leurs provisions. Elle est malade, mais il n’y a pas de médecin et les forains ont disparu.

6 – Au matin, Emily se sent mieux et raconte que dans un rêve, elle a vu la mère au volant de la voiture, roulant très vite, renversant quelqu'un. Désespérée, la famille trouve un panier de victuailles. Ils s’en emparent et sont pris d’un étrange mal de tête et de ventre. Etait-ce la nourriture ?

7 – La station-service a réouvert ! La famille se précipite pour acheter des victuailles, aller dans de vraies toilettes, se laver... Il n’y a qu'un employé, envoyé par le gérant. Il ne sait rien, sinon qu'il doit fermer à midi ; il n'y a pas de sortie d'autoroute avant 20km dans un sens et 25 dans l'autre.  Tandis que la famille est sortie pour manger, ils voient l'employé sortir et partir dans une voiture. Ils essaient de courir après lui mais n'y arrivent pas. Les voilà de nouveau seuls...

8 – Arrive un motard mystérieux, qui  évoque la possibilité que la famille soit simplement en train de rêver, et promet de les ramener bientôt à la réalité. Il leur confie une tente, dans laquelle ils doivent passer la nuit, et repart. La famille va se coucher; dehors une tempête terrible se lève.

9 – En plein milieu de la nuit, un bruit les réveille. Ils se lèvent, sur la route, leur voiture, phare grands allumés. La mère est devant, étendue au sol. Les clés sur le contact, personne à l'intérieur. La mère ne se souvient de rien mais elle est convaincue que la clé du mystère se trouve à la maison qui les attend

10 – La famille reprend la route, pour le petit village. Ils arrivent là-bas, ne restent que quelques vieilles ruines. Les enfants visitent, et tombent sur une pierre, où est marqué : "Roulez vers l'imprévu"

***

Vacances, J.0

Anna

            Enfin ! Enfin les vacances ! Enfin, nous partons, nous sortons de notre train-train quotidien poisseux et ennuyeux ! Oh, que je suis heureuse ! Cela fait des mois que j’attends ce jour avec la plus grande impatience, que j’en rêve, que je… Ce matin, je n’ai même pas eu besoin de réveil ; j’étais tellement excitée qu’à six heures tapantes, j’étais levée.

            Le départ était prévu vers huit heures ; je suis descendue à la cuisine à sept, après m’être douchée et habillée. Papa et Maman étaient là ; une grande carte routière étalée sur la table, en train de peaufiner le trajet qui allait nous amener dans ce petit village où nous allions passer les deux plus merveilleuses semaines de ces vacances.

            Imaginez-vous : un coin tranquille, à la campagne, une maison immense, presque un manoir, rien que pour nous, avec salle de bain privée pour chaque chambre, piscine creusée, annexe avec un spa à l’intérieur, jardin immense… Et tout ça à dix kilomètres seulement d’une ville assez grande, où nous pourrions faire tous nos achats, et à trente kilomètres de la mer… En un mot, le paradis !

            Je tournai la tête vers mes parents, tous deux plongés dans une grande discussion. Mon père était en train d’évoquer l’itinéraire :

-       Non, il faut prendre l’autoroute A666, et puis la sortie 13. De là, on prend la direction…

-       Arrête un peu avec ce fichu itinéraire ; tu le connais par cœur ! Cela fait dix fois que tu le répètes…

-       Il vaut mieux, parce que si je me fiais à toi, on se perdrait ; tu ne prépares jamais tes itinéraires à l’avance ; il ne faut pas s’étonner après si on arrive toujours très en retard…

            Je souris. Papa et maman s’étaient rencontrés très jeune, alors qu’ils étaient encore étudiants. A cette époque-là, ils ne pouvaient pas voyager, sauf pour aller chez leurs parents respectifs… Et finalement, c’était tant mieux ! Papa et Maman n’avaient absolument pas la même conception du voyage, ce qui était souvent entre eux le fruit de disputes bien animées.

            Papa était toujours un grand stressé, et encore plus lorsqu’il s’agissait de voyager. Il répétait mille fois ses itinéraires, les traçait à grands traits rouges sur une carte, calculait le temps précis qu’il fallait pour les effectuer… Pour lui, programmer voyage n’était pas une question de jours, ni même d’heures ou de minutes. Pour lui, tout était une question de secondes. A quelle heure nous partions, à quelle heure nous nous arrêterions pour faire la pause-pipi, pour déjeuner ; à quelle heure nous reprendrions la route après manger, l’instant précis où il garerait la voiture devait l’allée de la maison… Tout cela était prévu avec la plus grande précision depuis des mois, et maintenant encore il avait besoin de le répéter pour bien fixer tout cela dans son esprit. Avec Papa, il n’y avait pas de place pour l’imprévu.

            Maman, elle, avait une vision toute différente des choses. Elle aimait l’imprévu ; elle l’adorait, même. Pas autant que Papa, non, mais c’était différent. L’imprévu était son mode de vie, sa philosophie intérieure. Elle adorait les surprises ; elle ne vivait même que de ça. Je me souviens encore de nos dimanches, à deux, avec Maman. Le dimanche, c’était le jour sacré chez nous. Nous allions déjeuner à la cafétéria du coin, Papa, Maman, Kévin – mon frère jumeau – et moi. Ensuite, Papa emmenait Kévin au terrain de sport. Maman me demandait si je voulais y aller ; rien que pour voir ma moue désapprobatrice et grogneuse. Alors elle souriait, se levait, me prenait la main et me proposait une promenade. Ah, les promenades avec Maman ! Elle m’emmenait dans la voiture, faisait démarrer l’engin, et nous partions, loin, loin, jusqu’au bout du monde, pensais-je alors. Nous roulions vers l’inconnu, vers l’imprévu, chaque semaine dans un sens différent ; chaque semaine vers des horizons nouveaux.

            Comme j’aimais ce temps, le temps de la liberté, le temps de l’insouciance, avec Maman… J’étais naïve, alors. Naïve, oui, mais heureuse. Et puis tout cela s’était envolé, je ne sais plus bien comment. Kévin ne faisait plus de sport, plus avec Papa en tout cas, Maman ne m’emmenait plus en promenade, et nous avons fini par rester chez nous pour manger le dimanche.

            Je secouai la tête. Cathy, ma petite sœur, venait d’entrer dans la pièce. Sans prêter la moindre attention à Papa et Maman, elle s’assit à côté de moi à la table du petit-déjeuner et se servit.

-       Ils sont toujours en train de se disputer pour le trajet ? demanda-t-elle tout en mastiquant son bout de pain.

-       Ne mange pas la bouche pleine ! répliquai-je.

-       Oh c’est bon ! s’exclama-t-elle après avoir avalé. Fais pas ta grande sœur !

-       C’est ce que je suis pourtant…

            Elle haussa les épaules, et retourna son attention sur les parents :

-       Sinon, vous avez prévu de quoi manger ?

-       Cathy…, la gronda doucement Maman.

            Cathy nous faisait rire ; elle ne pensait réellement qu’à manger, à croire que rien d’autre dans la vie ne l’intéressait.

-       Ne t’en fais pas ma chérie, ton Papa a déjà tout prévu ! Petit-déjeuner copieux, goûter à dix heures, repas dans un relais routier fameux…

            Il lançait un petit regard de défi à Maman en disant cela ; mais nous savions bien que ce n’était pas méchant. Leur concurrence n’était que feinte, et ils la compensaient par un amour véritable et durable, un amour qu’aucun de nous trois n’avait vu jusqu’ici fléchir. Il la prit dans ses bras, l’embrassa, chuchota :

-       Nous allons passer des vacances merveilleuses…

            Nous nous taisions, et les regardions en silence ; ah, comme je souhaitais, moi aussi, vivre une aussi belle histoire d’amour…

            Je fus tirée de ma rêverie par l’arrivée d’Emily, la correspondante américaine de mon frère Kevin.

-       Je ne suis pas… Trop tard ? demanda-t-elle timidement.

            Nous la rassurâmes tous en chœur ; elle avait tout son temps, personne n’était encore prêt… Ce qui nous fit remarquer que Kevin, lui, semblait n’être toujours pas levé. Je vais le chercher, moi, déclara Cathy. Elle partit d’un pas décidé et, dix minutes après, nous ramena un Kévin encore à moitié endormi et ne comprenant pas ce qui lui arrivait. Mon espèce d’idiot de frère jumeau ! Comment pouvait-on ignorer ainsi le jour du départ en vacances ? Je fis de mon mieux pour le secouer un peu, ce qui réussit au moins dans le sens où il commençait à émerger progressivement de son sommeil.

            A partir de là, la tâche fut nettement plus facile. Il attendait ce jour aussi impatiemment que nous, et quand il s’en souvint enfin, il se pressa tellement que nous arrivâmes à partir à l’heure – si ce n’est avec cinq minutes d’avance –, au plus grand bonheur de Papa.

            C’est donc par cette belle matinée de juillet que nous nous partîmes sur la route, avec pour seule direction et pour seul but rien d’autre que les vacances… Par chance, le stress de Papa avait fini par s’envoler ; l’exaspération de maman en avait fait de même… Tout laissait à présager un séjour pour le moins fabuleux !

            La voiture roulait avec aisance sur le bitume tellement chaud qu’on pensait qu’à tout moment il allait fondre ; les mains de Papa sur le volant étaient assurées et nous survivions à la chaleur ambiante grâce aux plusieurs immenses bouteilles d’eau emportées par les parents dans une glacière.

            La matinée passa donc au rythme de ces jeux pour le moins stupides mais néanmoins amusants qu’on fait pour passer le temps dans les voitures, des chansons qui passaient à la radio, et des plaisanteries que nous échangions… En somme, une vraie sortie en famille… Une comme je n’en avais pas vécue depuis longtemps. Pour la première fois depuis pas mal de temps, nous étions là, tous, tous réunis, en même temps, nous qui d’habitude avions toujours quelque chose à faire chacun de notre côté. Et rien que ces quelques heures passées ensemble, tous ensemble dans la voiture qui, somme toute, était quand même assez grande, rien que cela suffisait déjà à me rendre heureuse.

            Vers dix heures du matin, après deux heures de route, Papa déclara qu’il était temps de faire la « pause-pipi », et décréta qu’il était fort conseillé d’en profiter, car il n’y en aurait pas d’autres avant le repas de midi, et il n’était pas conseillé de déranger son planning établi avec tant de soin… C’est pourquoi en attendant tout le monde Cathy et moi sommes allées nous dégourdir nos jambes alourdies par ce si long voyage. Même sur cette aire d’autoroute, le paysage alentour était magnifique, plein de verdure et de couleurs… Bien différent de la grande ville, ou même de la banlieue assez froide où nous vivions ! Rien que sur cette aire d’autoroute, on sentait déjà comme un parfum de vacances ; mélange de bonheur et d’inconnu.

            Mais nous, nous allions plus loin encore, plus avant dans l’inconnu. Nous continuions notre route sur l’autoroute A666, jusqu’à la maison dans laquelle nous passerions les deux prochaines semaines ; cet endroit où nous dessinerions nos plus beaux souvenirs de vacances.

            Nous avions repris la route et dans la voiture, il régnait une bonne ambiance sans égale. Papa avait allumé la radio, et nous chantions tous en chœur des airs entraînants aux parfums d’été et de soleil. A sept dans la voiture, avec toutes nos énormes valises, nous étions, il est vrai, assez serrés, mais nous n’en avions que faire ; tant la perspective réjouissante des bons moments que nous allions passer une fois arrivés nous réjouissait.

            Le trajet était long, mais en valait la peine, et nous ne nous rendions compte rien. Nous étions ensemble, vraiment tous ensemble, comme nous ne l’avions pas été depuis tellement longtemps… S’il le fallait, nous pouvions rester là, indéfiniment, nageant dans cette douce euphorie qui annonciatrice de bonheur.

            Un peu plus de deux heures plus tard, aux alentours de midi et demie, arriva l’heure de notre deuxième arrêt, qui par la même occasion apportait avec lui celle du repas. Papa était aux anges ; nous nous étions arrêtés dans le relais routier qu’il avait prévu, en respectant à la minute près ses horaires… Rien ne pouvait être plus parfait.

-       Nous repartons à quatorze heures précises ! Et n’oubliez pas le repas ! cria-t-il à la volée, tandis que nous partions dans toutes les directions, que ce soit pour explorer les environs, aller faire nos premiers menus achats des vacances ou tout simplement aller faire un tour aux toilettes.

            Une fois que nous eûmes tous fini de nous disperser et partir en tous sens,  nous revînmes à la voiture, que Papa avait garée sur une des places de parking après avoir fait le plein d’essence. Lui et Maman se regardèrent, et ce fut elle qui entreprit de fouiller dans les valises pour en tirer notre trésor : le repas de midi.

            Si Papa était l’expert en matière d’itinéraires, de temps et de destinations, Maman, elle, restait la reine des fourneaux. Quand l’envie lui en prenait, elle nous cuisinait de délicieux bons petits plats, qui nous donnaient l’occasion d’être savourés en famille comme il se devait… Oui, vraiment, j’adorais quand Maman cuisinait. C’était un fait rare, mais qui n’en avait que plus de valeur.

            Cela arrivait toujours sans prévenir ; elle enfilait son tablier de cuisinière, se plantait devant le placard à victuailles et commençait à concocter une recette fabuleuse. Quelques heures plus tard, elle nous appelait tous et, alors que nous nous mettions à table, ébahis, elle murmurait juste « C’est prêt ».

            Parfois même, il arrivait qu’on ne la voie pas en train de cuisiner. Nous descendions simplement à l’heure du repas, et nous n’avions plus alors qu’à nous régaler. C’était un peu le cas, aujourd’hui ; personne ne savait vraiment que c’était Maman qui avait concocté notre repas de midi, mais personne ne s’en plaignait non plus.

            Du coffre de la voiture, elle sortit un grand panier, et elle s’avança vers une table de pique-nique non loin de là. Nous la suivions tous, comme hypnotisés. Elle posa le panier au centre de la table, et nous nous assîmes tout autour, contemplant l’objet comme une relique sacrée. Elle souriait, amusée de nous voir ainsi si ridicules.

-       Ce n’est qu’un panier de pique-nique ! fit-elle remarquer de sa voix cristalline, en riant.

            Elle ouvrit le dit panier et en sortit plusieurs plats, tous plus alléchants les uns que les autres. Nous échangeâmes des regards admiratifs ; cette fois-ci, elle s’était vraiment surpassée !

            Le repas fut un vrai régal, à tous points de vue. Il y avait, bien sûr, tout ce qu’avait cuisiné Maman, mais ce n’était pas ça, le meilleur. Le meilleur, c’était ce goût de bonheur, discret mais affirmé, qui planait autour de nous. Ce goût d’été, de famille enfin réunie, d’évasion, qui nous enveloppait comme une aura de lumière et nous emplissait tous d’une joie, une même joie profonde qui nous reliait.

            Nous finîmes de manger aux alentours d’une heure et demie ; Papa déclara que nous avions le temps d’aller nous promener, chacun dans notre coin, de faire nos emplettes ou ce que nous voulions. Pendant ce temps, lui remettrait toutes les affaires dans la voiture et se préparerait au départ ; nous devions être de retour à quatorze heures moins cinq précisément, afin de partir, comme il l’avait prévu, à quatorze heures, zéro minute, zéro seconde.

            Je fis le tour du relais routier, allai acheter quelques provisions pour le reste du trajet, puis retournai m’allonger dans l’herbe tendre et fraîche ; cette herbe si moelleuse et si verte qu’on ne trouvait réellement qu’en pleine nature… Emily me rejoignit assez vite, et nous entamâmes un semblant de conversation, aussi loin que mes faibles connaissances en anglais me le permettaient. Bientôt arrivèrent Kévin, puis Cathy et son jeu de cartes. Nous entamâmes une partie, rythmés par les cris de victoire et de joie, dans un désordre euphorique et bien peu discret – tous ceux qui passaient à proximité nous regardaient d’un air entre le désespoir et l’exaspération.

            Papa arriva à son tour, tout sourire ; s’amusant des réactions des vacanciers présents sur l’aire d’autoroute plutôt que de s’en formaliser ou de nous gronder.

-       Vous avez vu l’heure ? nous gronda-t-il gentiment.

-       Il est deux heures moins cinq ! s’exclama Cathy. C’est bon, on a encore le temps !

            Il acquiesça en grommelant, et nous fit clairement comprendre qu’il valait quand même mieux nous presser. Nous rassemblâmes donc nos affaires et, à quatorze heures moins deux minutes précisément, nous étions tous les quatre, ainsi que Papa bien sûr, devant la voiture.

-       Où est Maman ? demanda alors Kevin.

            Nous le regardâmes tous, haussant les épaules.

-       Elle n’était pas restée avec toi ? demandai-je, en me tournant dans la direction de Papa.

            Il secoua la tête, les yeux commençant à se voiler d’une once d’inquiétude.

-       Au contraire, elle m’a dit qu’elle allait d’abord aux toilettes ; j’ai cru ensuite qu’elle vous avait rejoints… Où peut-elle bien être ? ajouta-t-il, comme pour lui-même Elle sait, pourtant, que je n’aime pas traîner, que quand on fixe un planning, c’est pour le respecter !

            Nous attendîmes encore, silencieux comme jamais, Papa faisant les cent pas autour de la voiture. Nous ne savions que faire… Ou pouvait-elle bien être ?

-       C’est bon, déclarai-je précipitamment, en me levant. J’y vais ; je vais voir où elle est.

            Papa secoua la tête, et me fit signe de rester, de manière on-ne-pouvait plus autoritaire.

-       Toi, Anna, tu restes ici. Elle va arriver dans une minute ; ce n’est pas la peine.

            Et nous attendîmes, encore et encore… La minute passa, puis deux, puis trois, puis cinq… Au bout d’un quart d’heure, Papa commença à perdre patience :

-       Les enfants, restez là, près de la voiture, nous intima-t-il sur un ton qui n’admettrait pas de réplique. Je vais la chercher, moi, finit-il, plus bas.

            Il partit en direction du relais, jetant des coups d’œil en tous sens, cherchant désespérément du regard Maman qui, vraisemblablement, avait tout bonnement disparu.

            Nous attendîmes pendant de longues minutes, sans oser parler ; commençant un peu à prendre peur. Au bout de ces instants infinis, Papa revint, blême.

-       Je ne la retrouve pas… Je ne sais pas où elle est… Je ne sais pas ce qui lui est arrivé… Je ne sais pas…

            Il commençait à pleurer ; les larmes coulaient sur ses joues, sans qu’il s’en aperçoive, juste de peur et d’angoisse. Il nous regarda, d’un air désemparé, comme si  nous pouvions lui répondre, lui dire où elle se trouvait…

-       Ne t’en fais pas, Papa ! le rassurai-je. Elle va revenir. Elle va revenir, c’est obligé ! Elle n’a pas pu aller bien loin. Elle a dû… Oublier l’heure…

-       Ta mère ? répondit-il d’un air encore inquiet. Non, je ne pense pas… Elle n’aurait pas pu oublier. Cela fait bien vingt ans que nous vivons ensemble… Elle sait que cela me met mal à l’aise quand on oublie les horaires… Non, vraiment, elle n’a pas pu oublier, ou sinon… Et puis je l’aurais vu, je l’aurais trouvée…

            Il y  avait dans ses yeux une angoisse immense, la peur d’un enfant désemparé, impuissant face aux évènements.

-       Tu as sûrement mal cherchée, ou bien tu l’as manquée… Ne t’en fais pas, nous allons t’aider à la retrouver. Nous allons tous partir la chercher et dans un quart d’heure, nous serons ici… Avec elle.

            Il hocha la tête, penaud, mal assuré, comme un enfant qui aurait perdu sa Maman.

-       D’accord… Tu… Tu as raison, sûrement. Je vais partir avec vous…

            Nous nous répartîmes les recherches, afin de n’omettre aucun coin du relais routier, et de la retrouver le plus vite possible. Pour ma part, j’allai explorer les alentours ; peut-être était-elle simplement allée se promener, et s’était-elle assoupie au pied d’un arbre, elle qui aimait tant les arbres et la nature. Peut-être s’en était-elle un instant laissée aller, et avait sombré dans les bras de Morphée…

            Je cherchai dans tous les recoins, appelai, plusieurs fois… Rien. elle n’était pas là, c’était sûr… Mais alors, où pouvait-elle bien être ? Que lui était-il arrivé ? Voilà que je commençais à ressentir une sorte d’inquiétude, d’angoisse ; comme un pressentiment étrange et oppressant…

            Je chassai bien vite ces idées de mon esprit. C’était ma maman. Il était impossible qu’il lui soit arrivé quelque chose… Impossible ! Elle était trop forte, trop vive… Sûrement s’était-il passé autre chose que ce à quoi j’avais pensé ; sûrement était-elle allée ailleurs, avait-elle fait autre chose que ce que je m’étais imaginé… Je regardai ma montre ; cela faisait un peu plus de dix minutes que je la cherchais. Il était donc temps de rejoindre Papa et les autres.

            Je me dirigeai d’un pas calme vers l’endroit où nous nous étions, me marmonnant à moi-même quelques mots à voix basse, destinés à me rassurer. Calme-toi, me disais-je, calme-toi ; il ne lui est rien arrivé. Tu vas revenir à la voiture, elle sera là, et toute la petite famille repartira ensemble dans la joie et la bonne humeur les plus complètes.

            Je ne cessais de me répéter cette phrase, machinalement, comme pour me calmer un peu après toutes ces émotions et ce faisant, je m’égarai un peu et ne retrouvai pas la voiture où nous avions rendez-vous. Une nouvelle fois je commençai à paniquer, jusqu’à ce que j’aperçoive Papa, Cathy, Kévin et Emily, réunis autour d’une table de pique-nique… Sans Maman.

            Je me dirigeai vers eux ; la boule d’angoisse recommençant à se former dans mon ventre.

-       Maman n’est pas avec vous ? Moi aussi, j’ai bien failli me perdre… Je ne suis pas arrivée à retrouver la voiture !

            Papa me regarda avec des yeux où l’on sentait une fatigue immense, mélangée à de l’inquiétude et de la peine… Des yeux qui faisaient peur.

-       Elle a disparu, lâcha-t-il dans un soupir.

-       Elle a disparu ? répétai-je. Qui donc ?

            Il soupira une nouvelle fois, secoua la tête d’un air las :

-       A ton avis.

-       La voiture ? C’est stupide, elle ne peut pas…

-       Pas seulement la voiture, Anna… La voiture et ta mère…

            Ces nouvelles me sidérèrent et me laissèrent ébahie. Maman, disparaître… Ainsi que la voiture ? Il y avait vraiment quelque chose d’étrange ; quelque chose de malsain et d’effrayant, qui se passait en ce moment, sur ce relais routier au bord de l’autoroute A666.

-       Vous en êtes sûrs ? insistai-je.

            Il hocha la tête, et me tendit un papier ; tout ce qui restait à la place de notre vieille voiture adorée sur la place de parking, tout ce qui pouvait potentiellement nous procurer des indices sur ce qui était arrivé à Maman. Un papier, sur lequel étaient tout simplement inscrits cinq petits mots : « Roulez plutôt vers l’imprévu ».

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