Confession d'une meurtrière encore en liberté.

lull

Je l'ai tuée un jeudi. C'était l'après-midi,  soleil plombant, comme souvent par ici. J'avais pris le temps de regarder le ciel, un peu par envie, beaucoup par ennui. Faire passer le temps. Voilà un paradoxe maintenant que j'y pense. Et après on s'étonne qu'il passe trop vite. On le fait passer, on manque souvent d'idée pour, mais à force il y prend goût, et ça devient une habitude. Quand on s'en rend compte, il file déjà et ne dit même plus bonjour. Je ne sais déjà plus où j'en suis. Ah oui. Le ciel. Finalement à force d'y lever les yeux, je crois que je ne voyais plus rien. Le klaxon de la 106 blanche que ma mère traînait comme une fierté me sortait de mon égarement.
Quand je suis arrivée à l'endroit en question, je ne savais pas encore que ce serait l'endroit en question. J'ai déposé mon sac qui me complexait. Un sac tout noir, pas délavé, aucune inscription, pas même une fermeture difficile. Un sac comme ça, ça peut filer des complexes. Un sac tout propre qui dit " elle n'a pas d'amis, pas même de vie, puisqu'elle a le temps de penser à le laver". Les sacs ne disent pas tous la même chose mais les objets parlent bien mieux de soi que tout le reste. Donc, ce sac je le jette. Sur le canapé. J'appuie sur[i] play[/i]. Je descends les quelques marches menant à la cave de mon passé. La nostalgie avait séché depuis longtemps.
Je la vois. Je ne m'y attendais pas mais j'ai su à cette seconde que c'était le moment. Que ce n'était pas le hasard qui m'avait poussée dans ces recoins jusqu'alors peu explorés. Elle avait une longue chevelure bouclée. Blonde, rousse, ce serait trop facile de dire châtain. Sa chevelure était hétérogène. Parfaitement hétérogène, et je crois que la seule chose qui me chiffonne depuis ce meurtre c'est l'idée que ses cheveux puissent mourir sans leur suicide naturel qui vient avec le temps. Elle était d'un calme perturbant, presque insolant. Ce calme apparent qui enrage tout le monde. Elle était assise à son bureau, entourée de photos dont le verso était recouvert de scotch. Double face, pour que ça tienne mieux. Ça, pour tenir ça tenait bien. Trop bien. Elle était belle, belle seulement lorsque elle était seule. Belle parce que personne ne la trouvait jolie. Une beauté bien cachée, sans doute trop, une beauté tellement brute que personne ne voulait s'écorchait les yeux à s'y frôler. Que dire de plus, je ne parlerai pas de ce qu'elle aimait, ni de ce qu'elle était, ni de ce à quoi elle aspirait. Par respect pour elle, elle l'a bien trop fait. Je me contenterai de ses cheveux. Certains ne sont que des seins, ou des fesses, elle, elle était ses cheveux. Et ce n'est pas plus mal.
Elle était dos à moi et face au mur blanc. Enfin, blanc c'est beaucoup dire.  Elle ne m'avait pas entendue, elle était sereine. Pourtant, nombreuses sont les fois où je l'ai menacée. Je lui ai dit de courir vite et de ne pas regarder derrière parce qu'alors je serais là. Je lui ai fait du chantage aussi mais ça n'a pas marché. Elle était tellement sûre de m'échapper. Tellement certaine que me  rire au nez me repousserait. Elle a usé de plusieurs stratagèmes. La colère. La révolte. L'ironie. La mauvaise foi. L'auto persuasion. L'illusion. Elle a été inventive. Je l'admire finalement. C'est peut-être pour ça que je l'ai tuée. L'admiration restera intacte.
Quand je me suis approchée d'elle, j'ai entendu les battements réguliers de son cœur mal rangé. Ça m'a rassuré. Elle ne cherchait plus à me fuir, elle attendait juste que je la trouve. Quelques secondes, un coupe-papier plus tard, elle gisait là. Ses doigts tâchés d'encre. La musique flottait encore.

Depuis je souris les jeudis après-midi.

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