Confession d'une naissance particulière
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J’aurais aimé une naissance des plus douces, dans une ambiance feutrée, avec des gestes empreints de tendresse et de professionnalisme. Mais, ma venue au monde fut une apocalypse sans nom. Ames sensibles, émotifs retroussaient mots et phrases jusqu’à la majuscule initiale. Intrépides, casse-cou, lecteurs 4x4 qui faisaient fi de ce conseil, tant pis pour vous.
Ma mère ne se plaignait jamais et ne geignait pas plus ; sa patience était légendaire, tout comme son courage, du reste. Mais bien qu’elle ait une patience fort élastique, au dixième mois de grossesse, tout de même, elle montra quelques signes d’inquiétude et d’impatience. Nuit et jour, elle rêvait de la sainte délivrance, c’était devenu son obsession. Quant à mon père aussi doux qu’un carré Hermès, et de caractère lymphatique, il ne trouvait rien de mieux à lui dire : « Que veux-tu chérie, il est trop bien pour sortir….Nourri, logé… Il a déjà tout compris, le bougre. »
Le gynécologue qui suivait ma mère, n’avait encore jamais vu gestation si longue et si curieuse, en vingt ans de métier. A chacune de ses visites, la même litanie.
« Madame, il nous faut provoquer l’accouchement, vous ne pouvez pas continuer de la sorte, voyons… » Lançait-il outré par cette situation grotesque.
- Eh bien, non ! Je désire que mon fils vienne au monde par les voies naturelles, gardez vos césariennes et vos péridurales pour d’autres. Rétorquait ma mère sur un ton incisif et des plus déterminés.
Au bout du onzième mois, maman était devenue la risée de tout le quartier. Les quolibets allaient bon train et les commères ne mégotaient pas pour balancer leurs immondices. Un vrai feu d’artifice !
« Pas encore né, et aussi fainéant que son père » ou encore, « c’est une misère de voir ça, encore un assisté ». Ces propos infamants mirent un terme aux sorties de ma mère. Désormais elle restait cloîtrer à la maison, de l’aurore au crépuscule. Du coup, j’étais moi aussi privé de balade, aussitôt je lui montrai mon vif désaccord, en lui envoyant quelques coups de pieds bien sentis. Sale gosse va !!
Lors de ces promenades, j’aimais ô combien me glisser jusqu’à son nombril, et de cet orifice naturel, zyeuter le monde extérieur. Mais si ! Je vous l’assure, on peut voir d’un nombril, mais de l’intérieur uniquement. Faites-moi confiance !
Que de merveilles, de beautés, j’ai pu observer lors de ces balades maternelles, seule ombre au tableau, l’Homme…Vous, moi, eux…Sans ce bipède immonde, cet homo sapiens sapiens de mes deux, le monde se porterait beaucoup mieux.
Bon plus de virées, il va falloir trouver un nouveau passe temps…Et pourquoi pas m’essayer au cordon ombilical, en voilà une belle corde à sauter.
Le douzième mois, le caractère de ma mère changea du tout au tout. Elle d’ordinaire si douce, si aimante, si prévenante devint acariâtre, acrimonieuse, hargneuse, arrogante…Une vraie harpie ! Mon père avait beau la rassurer du mieux qu’il pouvait, elle devenait au fil des jours de plus en plus distante, lointaine, et….insupportable.
Ce calvaire, à tout moment, elle pouvait y mettre terme. Mais son bel orgueil l’en empêchait. Sa mère, sa grand-mère avaient accouché toutes par voie basse, elle se devait, elle aussi d’en faire de même, question de fierté, d’honneur imbécile.
Mon père supportait de moins en moins bien cette situation…Ces collègues de travail ne se privaient pour le charrier « Alors comme va le petit Arlésien ce matin, le verrons nous un jour ! »
Au treizième mois, mon paternel eut une saillie cérébrale, une idée…Une idée d’enfer, pour me déloger de mon petit Paradou. Une idée, soit dit en passant, des plus retors. Ma mère était des plus réticente quant au stratagème du pater familias putatif.
« Tu as perdu la tête mon pauvre Albert… s’emporta maman, et d’ajouter tendrement, les yeux larmoyants « Comment pourrais-je faire ça à mon fils… »
- Mais enfin, Adèle, tu ne vas le porter jusqu’à sa majorité, ce morveux, ce fainéant. Ce n’est pas une vie, voyons… Je ne te reconnais plus…J’ai l’impression que je vis avec une étrangère…Tu as tellement changé.
- Pardonne-moi, mon chéri ! Mais ton idée est absurde, comme d’habitude.
- Il faut en finir, et au plus vite…Tout le monde se moque de nous, bon sang ! s’empourpra papa.
- Notre fils sortira au moment opportun, et peu importe les médisances du le voisinage… C’est clair !
Mon père se retira, sans mot dire, la queue entre les jambes, et alla se poser dans son fauteuil fétiche, pour une bouderie XXL. Une rage vive, sourde, lui tenaillait les viscères, et engrossait un peu plus son ulcère.
Durant, deux semaines les relations entre mes futurs parents furent des plus tendues, chacun campant sur ses positions. L’atmosphère à la maison était des plus délétères, et pas la moindre perestroïka en vue. Puis le temps, le temps fit son œuvre, le différend cicatrisa.
Un jour de printemps, quatorzième mois de grossesse au compteur, un type sonna à la porte, mon père alors se précipita pour lui ouvrir. J’aurais dû me douter à son empressement inhabituel, lui si placide d'ordinaire, que quelque chose de louche couvait sous les fagots.
« Entrez vite, je vous attendais…Vous l’avez »
En guise de réponse, l’homme tapota la serviette qu’il tenait de main de maître.
Le gus était râblé comme ramassé sur lui, le cou rentré, les yeux globuleux à souhait, la calvitie flamboyante, le nez camus, le tout engoncé dans un costume anthracite bon marché, il avait tout de l’épouvantail.
« Ma femme se repose à l’étage, alors chuttttt !!!! Pas de bruit !
- Est-elle courant de ma visite et de votre démarche ? s’enquit l’homme de sa
voix nasillarde.
- Eh bien….C’est que….Euhhhhh….
Rien, absolument rien il n’avait rien dit à maman de ses desseins, pour ainsi dire, il lui avait fait un enfant dans dos. Encore !
Il le précéda dans l’escalier, arrivé à l’étage, fit volte face, et se retrouva nez à nez avec monsieur l’épouvantail, et lui balança tout de go.
« Quoi qu’il arrive, faites moi confiance ! »
L’homme opina du chef, tout en mettant son index sur sa bouche. Adèle dormait, plongée dans une profonde léthargie vortex, rêvant sans doute, de la suprême délivrance, de l’enfantement roi.
« Le document, donnez le moi, à présent… » dit mon père à mi-voix.
Sans hésiter, l’homme sortit de sa sacoche une feuille qu’il tendit dans un geste élégant à l’intrigant.
Mon père observait Adèle visiblement ému. Un petit brin de printemps, plein de promesse, l’éclosion en stand by. Alors, il posa la feuille de papier sur le lit, et se pencha délicatement sur elle, déboutonna avec célérité, dextérité les boutons de sa chemise de nuit. Rien, elle ne sentit rien, lorsqu’il écarta du bout des doigts, les pans de sa nuisette, seul un frisson kamikaze parcourut son être. Puis il déposa le recto du document sur le sommet de son ventre proéminent.
« Les premières réactions vont se faire sentir sous peu.» dit l’épouvantail, le regard posé sur sa montre.
Et en effet, apparurent les premières contractions ; ma mère se souleva d’un coup, poussa un ahhhh tonitruant, une main sur chaque flanc.
« Respire ma chérie, respire… C’est ça !!! »
les contractions étaient à présent rapprochées, et les ah avaient cédé la place à un AH majuscule en continu…
Ahhhh…Ohhhh….OOOhhh, je les perds…. Hurla maman.
- Tu perds quoi, ma chérie ! S’exclama papa interloqué.
- Ahhhh….AAAAHHH…les…. les…. OOOHHH !
- Ha les eaux, mais oui ! Quel idiot, fais-je !
Entre une série de ah et de oh, maman parvint tout de même à aligner quelques mots .
- C’est qui ce type ! Et ce papelard sur mon ventre, c’est quoi !
- C’est ça chérie, respire, oui souffle…Concentre toi !
- Non…AHHH…Albert, dis-moi que ce n’est pas Ohhhhh…Vrai. Tu as mis ta satanée idée à exécu…Ahhhhhhhhhhh….Et la feuille c’est….AAAAHHHHHHHH
Jambe écartée, buste relevé, maman haletait façon clebs, et les douleurs se faisaient de plus en plus vives.
- Je crois que je vais attendre dans la salon, je ne suis plus d’aucun secours. Dit l’épouvantail.
- Rendez vous utile, allez chercher des linges dans la salle de bains…Vite !
Sentant, le moment proche, papa se posta au pied du lit, en position demi d’ouverture, prêt à me réceptionner.
Elle lâcha le AAAHHHHH ultime, le râle suprême…et je sortis comme un boulet de canon, pensez dont, quatorze mois de poussée au fesse, ça aide. Papa me bloqua dans ses mains, mais sous l’effet de l’impact, recula, chancela et finalement chut sur le plancher, tout en me brandissant tel un trophée. Moi, je pleurais, criais à fendre l’âme, j’avais perdu mon éden amiotique.
Quant à maman, remise de ses efforts, elle hurlait :
- AAAAAlbert…Le document, dis-moi que ce n’est pas ce que je pense…
- Si ! Un avis d’expulsion !!!
E.Rx.
sacd
Bye bail.
· Il y a plus de 12 ans ·yl5