confidences d'un bon à rien prêt à tout

charlie

Petite mère, tu m’as parlé. En bon fils, je t’ai écouté. Dans les tourments du quotidien et dans les inquiétudes permanentes qu’une mère entretient pour ses enfants, tu me demandes si je vais bien, si ma vie est telle que je l’avais imaginée et si la solitude dans laquelle je plonge fréquemment mon regard m’accompagne en permanence.

Vois-tu petite mère, je crois que tu vas me comprendre. Si les chats ne font pas des chiens, tu ne pourras pas nier m’avoir transmis quelques uns de tes gênes quand je te dirai que je suis seul plus souvent que tu ne l’imagines.

Mais rassures toi, je le vis bien. Cette solitude est devenue une charmante compagne, presque un havre de paix, un isoloir de chaque instant dans lequel je prends un plaisir narquois à m’y plonger, même quand je suis entouré par autre chose que de l’air ou du vent et que des compagnons en chair et en os m’offrent les joies de l’amitié, de l’amour et des deux à la fois vu qu’il m’arrive d’être chanceux et de jouir de mes amis en même temps que de ma chérie (même si je dois calmer mes ardeurs et ne pas jouir de ma chérie en présence de mes amis ou alors pas sans la distance visuelle qu’impose une porte close, une buée de hammam ou de tout écran opaque de quelque nature soit-il).

C’est un trait de notre généalogie que je partage avec toi. Tu connais ce regard livide que j’ai parfois. Tu n’ignores surement pas que ces yeux errant dans le vide ne sont rien d’autre que le symbole de cette volonté égoïste que j’ai de ne pas échanger mes pensées avec quelqu’un d’autre que moi-même. D’aucuns trouveraient cette démarche égocentrique et triste. Le cynisme qui me guide répondrait à ces partouzeurs des paroles dans le vide que mes pensées, je préfère les garder pour moi plutôt que les exposer à un auditoire lambda qui serait gêné d’être infichu de les comprendre ou à des proches qui n’ont pas forcément envie de m’entendre débiter les doutes qui m’assaillent.

J’ignore d’où me vient cette sensation de paix quand je scrute le fond de moi et il va de soi qu’il s’agit d’une image. Je ne me sens léger que quand j’ai l’occasion de me taire. C’est assez paradoxal. Ceux qui partagent un bout de ma vie ne me caractériseraient pas comme quelqu’un d’éteint. Je ne le suis d’ailleurs pas.

Mais sais-tu combien c’est bon, quand on vient de parler, quand on vient de raconter sa vie, sa dernière anecdote ridicule, quand on possède les gens de les faire rire ; sais-tu combien c’est bon de se taire soudain et de regarder la comédie de la vie s’extasier sous ses yeux ? Je crois que c’est pour ça que j’aime le silence, que j’aime le calme de la solitude, il me permet de voir les choses, de voir clair, de voir à découvert le fond des autres, de tout ce qu’ils ont à m’offrir, de tout ce que je reverrais d’avoir et de tout ce que je n’aurai jamais.

Petite mère, si ton fils te parait seul, c’est parce qu’il a besoin de ça pour voir où il met les pieds. J’ai besoin de ça pour comprendre. Pour comprendre un peu mieux je veux dire – ce n’est pas à toi, le témoin privilégié de mes gamelles, de mes sottises d’adolescent, de mes cauchemars d’enfant et de mes trahisons d’adulte que je vais faire croire que ma vie est un long chemin paisible comparable à un champs rwandais sans mine au seul prétexte que je cherches à comprendre le sens des choses avant de m’y soumettre à corps perdu…

Pardonnes moi petite mère d’être aussi peu expressif parfois. Souvent. Cette rétention de parole n’est pas volontaire. Et je te vois venir avec tes gros sabots de maman délicate prête à porter toute la misère du monde pour soulager son fils. Maman, ne me tentes pas. La misère du monde ne suffirait pas à étouffer ton souffle de mère courage. Tu as les épaules larges certes mais je ne compte pas me cacher derrière ce bouclier d’amour que tu dresses comme un étendard.

Maman, je ne partage pas avec toi certaines visions de la vie. J’ai grandi dans un autre monde que le tien. Mais je te connais et je sais que tu relies beaucoup les événements du présent à ceux du passé. C’est une tentation facile à l’heure où la télé réalité nous fait tous stars, on pourrait croire qu’on a tous la possibilité d’être les Freud de demain…

Rassures toi. Avoir brisé mon silence, m’avoir fait parler n’est pas la raison exclusive du mutisme dans lequel je m’enferme quelques fois aujourd’hui. Je dis « raison exclusive » car je serais bigrement burné d’affirmer que rien en moi n’est brisé depuis. Mais qui mieux que moi connais l’ampleur des souffrances d’hier ? Moi qui aie avalé mon honneur, mon orgueil, ma dignité et mes idées d’avenir durant une période, je peux t’assurer que ce qui n’est qu’une légère fêlure maintenant avait des allures de sale plaie ouverte autrefois. Et une vilaine plaie. Même Jack l’éventreur, pourtant pas réputé pour être révulsé par la vision du sang en aurait trempé ses guenilles…

Tu as été formidable. Tu l’es toujours d’ailleurs mais s’agissant de cet épisode de nos vies, je ne te remercierai jamais assez de ton amour et de cette forme inconditionnelle d’acharnement que tu as mis à nous sortir du fond du trou dans lequel nous avions été poussés.

Alors oui, je garde quelques traces de la chute. Mais tu sais à quoi elles me servent dorénavant ? À constater l’embellie de ma vie, à constater mon retour aux affaires, à apprécier les choses simples. C’est horrible peut être à dire (ou à entendre) mais si je devais changer quelque chose à tout cela et revenir en arrière, je ne changerai peut être que ce fichu radio réveil qui nous extirpait de notre sommeil les jours d’école avec la voix mécanique d’un coq qui n’aurait jamais vu le soleil de sa vie foireuse de gallinacé inutile. On a vu des voyages dans le temps avoir plus d’incidences sur le cours des choses…

C’est un peu ma drogue personnelle. Je jouis des petites choses. J’ai beau avoir des rêves de grandeur, un rien m’amuse, un simple bonheur suffit à illuminer un repas croque-monsieur/salade devant la roue de la fortune. Je mesure la chance que j’ai de jouir de si peu. Si je reste silencieux parfois, si je semble loin à ces instants, c’est aussi parce que je décide de profiter d’un peu de ce que la vie réserve de félicité.

Mais si je dois être parfaitement honnête, je suppose que cette solitude contre laquelle je me débats parfois, je la mérite un peu aussi. Tu me connais, je ne suis pas homme de concession et de compromis. Je garderai mon pantalon bien ceinturé à la taille avec mes certitudes, mes jugements hâtifs à deux francs, mes névroses et mes opinions. Il faudra qu’il ou elle soit solide celui ou celle qui voudra me soumettre aveuglément à son point de vue, à sa vérité ou à sa vision de la vie.

J’entretiens savamment une forme de cynisme brutal comparable à la finesse d’un postérieur d’obèse dans un string taille 38. Il va de soi que ma façon un peu brusque de ne pas chercher à comprendre les cons, à bousculer les hiérarchies de bonnes familles, les codes de conduite de culs-bénis (sûrement plus pervers que moi) et les rudiments de la politesse quand elle m’est servie sur le plateau de l’hypocrisie, ne me permet guère de me faire des amis au premier abord.

Je suis comme un postier dans un centre de tri (quand il ne fait pas grève j’entends), je suis contraint de faire une sélection entre les publicités mensongères, les lettres de vacances crachant du bonheur au nez de la misère, les factures à vous rappeler que tout a un prix et les petites boites en carton disgracieuses dans lesquelles se cachent peut être des trésors de sentiments, de promesses et de plaisirs innocents. Je recherche ça. Je recherche ceux qui, en passant outre cette première impression d’homme con comme ses pieds que je peux donner parfois, auront eu le mérite de venir me parler de nouveau, créant ainsi la première chose que j’attend des autres : leur capacité à y regarder à deux fois.

Oui maman. Parfois, je passe pour un connard. Mais sciemment ! Quand je rentre dans un sauna, moi qui suis galbé comme un épi de blé, et que je balance à des inconnus : « oh mince, il fait plus chaud qu’à Auschwitz ici… », je différencie très vite ceux qui ont un sens de l’humour proche de pi divisé par pi moins un de ceux qui regrettent les chaudes soirées autodafé à la gloire de l’homme à la moustache biseautée.

Plus sérieusement, j’œuvre assez peu pour combler ces moments où je suis seul. Je ne m’ennuie pas et je me trouve d’une excellente compagnie… c’est moins pratique par moments pour se masser le dos mais mis à part ça et me lécher le coude, il n’y a rien que l’on puisse me faire que je ne saurais m’imposer de moi-même. Ça laisse ouvertes un certain nombre de perspectives…

Tout ça pour dire que je vais bien. Je ne changerai rien de ma vie passée et ma vie actuelle ne suffirait pas à combler un panda affamé dans un champ de bambous. Je suis tout naturellement tête en l’air, pensif et rêveur. Et en parfait bon à rien qui se respecte, je suis prêt à tout. Je crève de rêves inassouvis, de désirs inavoués et d’ambitions débordantes. J’en ai tellement dans la tête que ça en devient orgiaque. Je me demande comment je mets tout ça dans ma petite cervelle. Par moments, il me prend des airs de pucelle déflorée qui se demande comment un truc aussi gros a pu venir lui rendre visite alors qu’il y a pas une semaine, elle prenait encore toutes les précautions à s’enfiler un tampon.

Ma tête est une espèce de foire. Une sorte de fête foraine (sans les gens du voyage, ils sont partis en voyage) où je navigue entre la douceur de la barba papa et les remous des montagnes russes.

Je parais peut être seul aussi pour cette raison : parce que je suis prêt à tout et bon à rien et qu’à mon âge (le quart de siècle passé je te rappelle), il serait temps de se définir un domaine d’excellence. Ma gourmandise me conduit probablement à ma perte. A ne pas vouloir choisir quoi faire de mes dix doigts, je vais peut être me condamner à une médiocrité d’ensemble moi qui suis très certainement bâti pour exceller quelque part - je veux dire, si les suédois sont incollables dans le meuble en kit, il y a surement un créneau pour moi.

Voila petite mère. Ça fait beaucoup pour une lettre qui rompt avec les quelques mois qui nous séparent de notre dernière correspondance mais si j’étais un homme de mesure et de tempérance, je n’achèterai pas les plaquettes de chocolat par lot de 5 et les capotes par paquets de 30…

Pardon s’il y a à boire et à manger dans tout cela et je m’excuse si dans ton empressement, tu as ouvert cette lettre à peine l’as-tu récupérée, ce qui, au final, t’as contraint à finir de la lire ailleurs dans un endroit plus confortable à ton séant et plus approprié à tes jambes de quinquagénaire rayonnante (et il va de soi que tu ne rayonnes pas que de la ceinture aux chevilles…).

Ne paniques pas pour moi, je ne me fais pas encore peur… en espérant pouvoir être rassuré de la sorte te concernant. Les quelques kilomètres qui nous séparent, s’ils ne font pas leur œuvre dans mon cœur, parviennent néanmoins à jeter sur nos quotidiens un flou que j’aimerai dissiper afin de savoir si oui ou non, les colères de la vie ont décidé d’aller cracher leur venin sur un autre palier que le tien.

Ton fils qui t’aime (et qui ne pourra probablement pas te réécrire de la sorte avant un moment. Les échéances approchent).

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