Conte de jardinier
laracinedesmots
Il existait jadis, ô il y a fort longtemps, un jardin magnifique. Dans cet Eden terrestre se côtoyait de multitudes de fleurs de toutes espèces, de toutes couleurs et de toutes senteurs. Les fleurs sont, vous le savez bien, extrêmement jalouses et toutes désireuses d'être plus belle que la Merveille. D'un bourgeon vagabond, apporté par une douce brise de printemps, naquit entre deux roses un petite fleur sans prétention. D'allure banale, elle déployait cependant sur ses pétales une couleur lumineuse : Toute d'ambre, ciselé ci et là par des rainures doré et argenté.
Tout en grandissant et s'épanouissant, elle remarqua qu'elle n'était pas de taille à rivaliser contre ses voisines les roses, plus grandes, plus rouges et plus odorantes. Plus majestueuses. Son petit cœur de fleur palpitait d'envie et plus elle grandissait, plus elle découvrait toute les fleurs du jardin. Le choc de son étonnement égala sa détresse. Elle ne ressemblait à aucune autre. Elle était banale et si fade ... Et les autres fleurs, dignes déesses de beauté ne lui adressaient pas un regard, essayant par tout les moyens de lui cacher le soleil avec leurs pétales. La petite fleur pâlit de cette sournoiserie.
Pourtant, sa couleur était si brillante que le soleil tomba instantanément amoureux de ses reflets argenté qui lui rappelait sa Dame, la Lune. Il voulait plus que tout la toucher de ses rayons, la faire étinceler comme l'or le plus pur. Il souhaitait la réchauffer de son amour priant pour qu’ainsi il atteigne la Lune, le soir tombé. Mais la fleur ne savait rien de tout cela, plongée dans ses pensées négatives : "Ma tige est bien plus épaisse qu'Orchidée, et je n'aime pas les fines épines qui la parcourent. Je ne suis pas jolie, je ne sens pas le printemps. Je suis laide."
Chaque jour elle maudissait le vent de l'avoir déposé dans cette galeries de reines multicolores et parfaites.
Un matin, le jardin se réveilla plus tôt et les bavardages furent plus électrique qu'à l'accoutumée. « C'est l'heure de la cueillette, c'est l'heure de la cueillette ! » disait-on.
- Et ce n'est pas n'importe laquelle, murmurait sa commère de voisine, décidée à l'occasion de la faire exister. Le fils de l'herboriste va se marier et exige pour sa femme la plus belle des fleurs. J'ai ouï dire par la vieille Marguerite que la noce se déroulera la nuit tombée, au clair de lune. Il ne faut pas seulement qu'elle soit belle, mais lumineuse ! Une fleur qui pourra égaler la beauté de sa propriétaire. Une fleur ... comme moi ! Désolé fillette, souffla-t-elle, un sourire carnassier peint sur son visage floral.
Les heures s'égrenèrent longuement et la haine avait déferlé sur l'Eden où de nombreuses fleurs périrent sous les épines de leurs rivales. L'heure fatidique approchait et notre jolie fleur maudissait déjà le jeune époux qu'elle jugeait d'ores et déjà stupide et présomptueux. Il pénétra au sein du jardin et la fleur oublia. Elle vit ses grandes mains calleuses, ses yeux vifs, sa bouche souriante et gourmande. « Il doit me cueillir ! »
Une vague de confiance l'envahit et lentement, pour ne pas attirer l'attention de ses voisine, charmées par le visiteur. La fleur se déploya, lâcha son doux parfum, presque imperceptible et délecta le soleil qui put, enfin, embraser ses couleurs encore vives de jeune pousse.
- Tiens père, cette fleur n'est d'aucune sorte présente dans ce jardin. Vous avez pris un coup sur la tête et avez décidé d'innover pour une fois ? Dit-il un sourire ironique sur les lèvres.
Elle avait capté son attention. Plus loin, un rire tonitruant se fit entendre.
- Certes non mon fils. Je ne suis pas prêt de changer, les habitudes ont la vie dure. D'ailleurs je ne l'avais jamais remarqué avant. Elle est rudement jolie non ?
- Elle serait parfaite dans les cheveux de Sylve, ça fera ressortir le mordoré de sa chevelure.
- Fais gaffe jeunot, ne mésestime pas le pouvoir du feuillage. Cette petite que tu t'apprête à cueillir, banale au premier abord, pourrait faire de l'ombre à ma future belle-fille. Au grand dam de celle-ci je parie !
Le rire retentit de nouveau tandis que le jeune homme leva les yeux au ciel. Une main ridée s'approcha de la fleur et la cueillit délicatement. Un filet de magie parcourut sa tige et elle plongea dans le sommeil. Avant de fermer les yeux, elle vit ses rivales pleurer de rage et un rire papillon secoua ses pétales.