Conte de Noël
patrick-eillum
Mon nom et mon passé sont sans importance.
C'est mon histoire que je dois vous raconter.
Elle commence une veille de Noël où je dealais comme à mon habitude du coté de la rue Jules Guesde à Lille.
Un petit homme vêtu de noir est passé à bicyclette devant notre bande.
S'arrêtant à notre hauteur, il a posé son vélo avant de rentrer en claudiquant dans un des magasins chinois de l'artère.
Ni une, ni deux, j'ai chipé son engin qu'il n'avait pas pris le temps d'attacher.
Après coup, je me souviens d'une légère sensation de chaleur au moment où j'ai enfourché la bécane, un vieux clou anglais de marque four-leaf même pas digne d'être donné à des Rroms.
En filant par le passage qui mène rue de l'hôpital Saint Roch, un souffle d'air chaud a parcouru cette glaciale fin de journée de décembre.
Puis j'ai rejoins mon quotidien fait de misère et d'ennui.
Et dès le surlendemain, ma vie a changé. Tout d'abord un appel de la mission locale qui me proposait, non pas un de leur stages bidons mais un vrai travail rémunéré et en rapport avec mon BTS.
Je commençais le jour-même, ce qui m'évitait la panne d'oreiller.
Évidemment, je m'y rendais en vélo. Et c'est dans le garage à cyclos que je LA rencontrais.
Une fille, belle bien sur, mais aussi drôle, intelligente et écolo.
Aux premiers regards, nous nous sommes aimés, ce genre de choses qu'on ne voit que dans les films à l'eau de rose ou les romans de gare.
Devant d'autres, j'aurais balbutié 3 mots avant de rougir misérablement. Mais là rien. Enfin si, des vrais phrases intelligibles et dignes d'une conversation de philosophe.
Nous nous retrouvâmes le midi à la cantine où elle m'appris qu'elle aussi venait d'être embauchée et que, comme moi elle était célibataire.
Un conte de fées !
Et la machine à bonheur a continué sur sa lancée.
Une invitation à une soirée de réveillon que nous passions à la Maison Folie de Wazemmes.
Une nuit de volupté dans ma mansarde non loin de la place du marché.
Un mois ensuite, une promotion en CDI afin de remplacer le chef de service tombé mystérieusement et subitement malade.
Des projets de mariage et de bébé.
Mais avant, l'envie de nous installer dans un logement rafraîchi du boulevard Montébello repéré dans la gazette de Wazemmes.
C'est le propriétaire, un certain Patrick Depis qui nous fit explorer la maison.
Une odeur âcre et piquante due à la remise à neuf, flottait dans l'air et la lumière du soleil de fin février me donnait l'impression d'être dans une cellule de condamné à mort.
Mon trouble augmentait au fur et à mesure de la visite. Arrivés à la cave remplie d'un brol inimaginable, les remugles que je semblais être le seul à sentir devenaient irrespirables.
Et avant même que j'ai pu manifesté quoique ce soit de mon malaise, ma belle annonçait d'une voix résolue : « On le prends ».
C'est au moment de signer le bail que je m'aperçus que le proprio boitait.
C'était devenu sans importance car le regard de ma déesse me faisait oublier tout ces mauvais présages.
C'est le samedi 1er mars, dans une quasi-euphorie auréolée d'un sympathique retard de règles, que nous emménagions quelques jours avant l'arrivée du printemps.
La première nuit fut accaparée par un cauchemar effroyable. Deux visages me fixaient. D'un coté, un homme aux cheveux longs et moustache blanche avec ses yeux mi-clos au ciel. En face, une femme chauve et contrite, le nez écrasé et le visage, le front et le crâne, percés, tailladés, balafrés. Puis ils se sont mis à me frapper. C'est à ce moment là que je me suis réveillé en sueur tandis que les coups continuaient. Sur les murs.
Pour moi, il s'agissait de travaux du métro tout proche. Ou des premiers commerçants installant leur étals place de la nouvelle aventure pour moi si bien nommée.
N'arrivant pas à me rendormir, j'ai veillé jusqu'au petit matin. Puis j'ai bien vite oublié cette nuit de folie en allant chercher le petit déjeuner de la future maman sur le traditionnel marché dominical.
Mais le même songe dément est revenu la nuit suivante ainsi que celles d'après.
Au bout d'un mois, je n'osais plus aller me coucher tout en cachant mon jeu, au prétexte d'un surcroît de travail. Terrorisé, j'attendais et je comptais les cognements que j'étais le seul à entendre.
67. Chaque nuit, 67 heurts résonnaient dans cette demeure.
Et au matin, à chaque fois, la joie de voir s'arrondir le petit ventre à mes cotés.
C'est une vieille boite remplie de coupures de journaux trouvée lors du rangement de la cave encombrée qui me mit sur la voie.
Parmi elles se trouvait un « Libé » du 24 juillet 2000 à propos du dernier guillotiné sur la place du quartier.
Aussitôt l'article lu, je filais au domicile de Patrick Depis à Lambersart.
Avant même que j'ai pu sonner à cette bâtisse ressemblant à la Bramford House de Polanski, la porte s'entrouvrit.
Du fond du couloir, une voix se fit entendre.
« Entrez mon jeune ami, je sais pourquoi vous êtes ici. A vrai dire, je pensais que vous alliez arriver plus tôt ».
Interloqué, je m'asseyais face au vieillard qui me fit cette étrange confession.
« Je suis l'unique petit-fils du procureur Depis. Mon grand-père a fait condamner à mort Fernand Hubert qui le 1er mars 1937 tua une bonne vieille rentière de Lambersart, Marie Piquet dont il était pourtant l'obligé.
Hubert était innocent. Mon aïeul était l'assassin. Il voulait cette maison que vous habitez et que la famille Piquet refusait de lui céder. C'est avec le vélo que vous m'avez volé qu'il s'est rendu à Lambersart afin de négocier cette vente. La veuve Piquet intraitable a fini par l'insulter. Il l'a exécuté de 67 coups de pompe à vélo. Puis il a maquillé son crime et fait accuser ce pauvre hère qui traînait les estaminets du quartier.
Avant son exécution publique sur la place vergniaud le 28 avril 1938, le condamné, qui avait acquis des pouvoirs magiques d'un fqih, un sorcier marocain qu'il avait sauvé durant la grande guerre, ce qui lui avait d'ailleurs valu une décoration, a jeté un sort sur notre famille.
Nous sommes voués à faire le bonheur de 67 personnes durant 67 ans afin de racheter les mauvaises actions de notre ancêtre. Vous êtes le 67 ème de la liste et libre à vous maintenant de faire de ce maudit vélo volé ce que vous voulez. Car c'est un porte-bonheur pour qui sait s'en servir ».
Mon fils est né depuis quelques semaines et il fait particulièrement froid en cette veille de Noël.
Je l'ai emmené sur le porte bagage de la vieille bicyclette que je me suis enfin résolu à laisser traîner dans un coin du quartier.
Que celle ou celui qui en héritera en fasse aussi bon usage que moi.
Patrick Eillum
Lille Mont de terre
Novembre 2012
« Un Conte de Noël » est une « commande » pour le journal de Wazemmes suite à une interview lors de la sortie du premier recueil. J'ai imaginé cette histoire de condamné à mort car ce quartier était le lieu funeste où se tenaient les exécutions publiques jusque 1938. Mes grand-parents ont été en âge de voir la guillotine fonctionner.
· Il y a plus de 11 ans ·patrick-eillum