Conte de Noël

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Conte de Noël

L'hiver avait revêtu son manteau blanc, les rues étaient éclatantes, le matin le soleil vous brûlait la vue... Le soir les lumières d'artifices réchauffaient les passants comme elles pouvaient.

Sophie revenait de son marché les bras chargés, un sourire irradiait sur son visage . Elle adorait ces gamins qui se chamaillaient à coups de boule de neige, elle qui n'en avait pas encore. La neige recouvrait tout, les rires des enfants emplissaient la rue car il n'y avait pas école, alors que les parents pestaient, car comment aller au travail ?

Elle arriva devant sa porte d'entrée, posa ses paquets pour récupérer ses clefs dans la poche intérieur de son sac.

- Ah non ! C'est pas du jeu ! T 'avais pas le droit !

Sophie tourna la tête et à la vue du bambin le visage en blanc, son sourire s'agrandit encore, il était victime des joies de l'hiver. Cependant elle cherchait et cherchait encore, qu'avait-elle fait de ses clefs ? Elle prenait toujours soin de les ranger à la même place, de surcroît quand elle faisait son marché. Elle s'agitait intérieurement, mais luttait pour garder son calme. Fouiller à nouveau, consciencieusement. Tranquillement.

Soudain elle sentit qu'on l'observait. Elle tourna la tête, et à une centaine de mètres de là, entre deux boutiques, un homme, emmitouflé dans une couverture, était assis dans le renfoncement d'une porte. Ils s'observèrent quelques instants. L'homme détourna les yeux. Sophie retrouva ses clefs. Elle ouvrit la porte, prit ses paquets, l'intrigue sur le visage, et rentra rapidement chez elle se mettre au chaud.

Les jours suivants, Sophie observa que l'homme était présent à côté de la boulangerie tous les matins. Il faisait sa manche, puis peu avant midi il s'éclipsait, devant les ouvriers passant s'acheter à manger. Un matin après son marché elle s'arrêta et lui parla. L'homme était peu disert, évitant les questions, mais lui répondant avec gentillesse. Elle lui laissa quelque chose, et repartit timidement.

Le soir elle pensait toujours à cette rencontre. Il était jeune encore, même si la rue délabrait son apparence. Elle voulut savoir comment il vivait, où il allait après sa manche... curiosité, pitié, peur aussi. Elle vivait seule, après tout.

Le lendemain, vers onze heures elle alla à la boulangerie. Elle en ressortit avec deux sandwichs et une baguette sous le bras.

- Bonjour, je peux m'asseoir un instant avec vous ?

Le mendiant la dévisagea. Cela dura avant qu'il ne réagisse, puis se bougea un peu et lui fit signe la main. Sophie s'installa, les fesses à même le béton.

- C'est beau toute cette neige, non ? Ca me fait toujours retomber en enfance, à voir les routes bloquées, les enfants jouer... j'adore.

Son interlocuteur ne répondait pas. Sous sa couverture, ses mains s'agitaient, et finalement il les montra. Sophie l'observait, elle avait entendu un clic qui l'inquiétait.

- Vous aussi, je suppose, c'est peut-être pour ça que vous aimez vous trouvez ici ? essaya-t-elle.

Elle osait à peine le regarder, alors elle lui tendit le sandwich. Sa main tremblait. L'homme posa ses yeux sur elle. Il attendait qu'elle lui rende son regard.

- J'ai pensé qu'on pourrait partager un repas... Vous et moi... bredouilla-t-elle.

Lentement, il s'empara du sandwich, retira le film étirable, et croqua dedans. Sophie attendait toujours.

- Merci, répondit-il après sa première bouchée. Poulet, mes préférés.

Sophie respirait à nouveau. A son tour elle ouvrit son sandwich, et se mit à manger. Arrivé à mi-parcours, il marqua une pause.

- Oui, c'est vrai, votre quartier possède un charme singulier dans cette ville... Les enfants y sont pleins de vie...

- Elle cherchait quoi répondre, perçevant la brèche.

- Je n'ai pas grandi ici, je me dis souvent que ces petits sont des chanceux. Un peu plus haut il y a une autre rue, qui grimpe dur, idéale pour faire de la luge..-

- Je sais, coupa-t-il. Ils s'y rassemblent après l'école, font les fous avant de rentrer à la maison.

- Ecoutez... elle hésitait, manquait de courage ou redoutait de le blesser. Ecoutez , j'ai besoin de quelqu'un pour quelques travaux. Mes amis n'ont pas assez de temps pour m'aider, et j'aurai bien besoin de bras car seule j'aurai des difficultés...

- Passez une annonce...

- Bien sûr. Mais j'ai vu que vous aviez du temps, je commence par vous.

Il ne répondit pas, mais Sophie voyait bien sur son visage que des mots fusaient dans sa tête.

- Vous connaissez le quartier, les gens y sont bien, tout comme moi, et je vous l'ai dit, je n'en suis pas originaire.

- ….

- Ne vous méprenez pas, argumentait -t-elle encore.

- Quel genre de travaux ?

- Videz d'anciens meubles, mettre un coup de peinture, et monter le nouveau mobilier. Je travaille chez moi, à mon compte, je rénove mon outil de travail.

- Je ne sais pas.

- Eh bien passez me voir ce soir, disons dix-huit heures, je vous montrerai et nous discuterons. Ma sonnette, c'est celle avec des fleurs dessus. Bonne journée !

Elle se leva du béton gelé, puis lui tendit la main. Il hésita, puis glissa la sienne, glacée, dans ce petit creux chaud. Sophie s'éloigna en direction de chez elle, s'arrêta devant sa porte, vérifiant qu'il la regardait toujours, lui fit un signe de la tête et passa la porte.

Sophie attendait, dix-huit heures avaient sonnées depuis quelque temps. Au début elle en avait profité pour ranger les objets qu'elle jugeait trop ostentatoire, pour camoufler un peu de sa vie. Elle s'était arrêtée en pensant qu'elle allait vite en besogne.

- Mais où ai-je la tête ? Mais qu'est-ce que je fais ?!?

Ses pensées remplissaient l'appartement, elle ne se rendait même pas compte qu'elle parlait tout haut. Un coup de sonnette brisa le cours de celles-ci. Elle se précipita sur l'interphone.

- Ouuui ?

- Vous m'avez demandé de passer. Me voilà.

- Montez. Je vous ouvre.

Quelques instants après, il se présentait devant elle. Depuis la porte de son appartement elle avait écouté chacun de ses pas dans l'escalier, maintenant elle le scrutait dans son accoutrement. Il laissait des traces de neige fondue sur le sol entretenu. Elle se retint de sourire et le fit entrer, lui tendit à nouveau la main.

- Je suis Sophie.

- Je sais. Et moi François, ou comme vous voulez.

Il promenait son regard sur l'intérieur de l'appartement, puis chercha le paillasson pour s'essuyer les pieds. Il hésitait à retirer ses chaussures.

- Venez, je vous montre de suite, dit-elle en cherchant à l'entraîner avec elle.

- Un instant. Je ne sais pas pourquoi je suis venu. Vous aviez l'air gentille, c'est tout.

Sophie s'immobilisa, puis expira l'air qu'elle maintenait dans ses poumons. Evidemment, rien ne sera facile.

- Bon, alors je vous offre quelque chose de chaud pour vous réchauffer, suivez-moi.

Elle servit deux tasses de chocolat brûlant, en lui parlant des travaux, de ce qu'elle voulait, comment qu'elle voyait leur organisation, les délais, le montant qu'elle était prête à lui offrir pour la besogne. Il l'écouta ou du moins en avait donné l'air. Il avait seulement répété deux semaines, et le montant qu'elle comptait lui verser, en hochant la tête à chaque fois. Elle n'avait pas l'impression de l'avoir convaincu. Elle insista :

- J'ai une chambre d'amis, vous pourrez l'occuper si vous le désirez, le temps des travaux...

A ces mots ses yeux s'injectèrent de sang, la colère au bord des lèvres, il se mordait visiblement la langue. Finalement il s'emporta :

- On est en plein mois de février ma p'tite demoiselle, alors c'est quoi ton conte de Noël !?!

Sophie resta interdite, soufflée par cet éclat soudain. Il finit sa tasse et la reposa bruyamment sur la table basse.

- J'ai l'allure d'un entrepreneur, tu penses !?!

Sa politesse s'envola, il la considéra alors pour qui ce qu'elle était, une simple fille de son âge ou presque que la vie avait privilégiée… Il regardait les traces humides que laissaient sur le sol ses grôles fatiguées.

- Ce n'est pas ça... Pourquoi vous vous méfiez ? Pourquoi défiez-vous les gens ? Etes-vous si bien là en-bas !?!

Il la regarda en coin et garda le silence. Il rassembla ses affaires, s'apprêta à partir.

- Ne partez pas. Laissez moi vous offrir un peu de mon confort, partagez ma soirée, s'il vous plaît, prenez le temps d'y réfléchir, vous pourrez dormir chez moi et partir demain. Réfléchissez, dans deux semaines la neige aura fondu, l'hiver commencera à se retirer et vous disposerez d'un peu d'argent, pour trouver un toit, un chez vous. Ou continuer votre route, je ne sais pas...

Il accepta de rester pour la soirée, mais elle ne sut pas ce qui le décida.

Sophie lui fit alors le tour du propriétaire, tentant de le débrider un peu, de l'amadouer complètement. Au fond du couloir, sur la gauche sa chambre à coucher, au milieu la salle d'eau, en face la chambre d'amis. A côté de celle-ci, la pièce qui servait de bureau, et elle le fit entrer pour qu'il puisse estimer le travail à faire. Puis elle l'invita à se détendre, l'emmena vers la salle d'eau et se mit à faire couler un bain. La pièce était grande, assez grande pour qu'il puisse l'observer s'activer à distance. Sophie lui préparait serviette et savon, sans se séparer de son sourire. Mais lui ne bougeait pas, restant dans un mutisme glacé.

- Je sais ce que vous vous dites... mais vous verrez, un bain chaud après une journée dans la neige, c'est du bonheur.

Elle se montrait un peu directive puisqu'il ne bougeait pas, elle ne voulait pas laisser un malaise s'installer, alors que son regard à lui semblait vide, si vide... Elle tira sur sa manche, insistant car elle sentait qu'il pouvait encore rebrousser chemin ... il se laissa faire, mais lui semblait... complexé.

- Allez, je vous aide un peu parce que je vous sens hésitant.

Alors il ôta ses pulls, ses deux tee-shirts qui le protégeaient du froid et s'arrêta, le torse nu... Le sourire de Sophie tomba devant la nudité de l'homme. Enfin elle comprit. Elle se sentit affreusement gênée. Son torse était maculé de plaies qui se refermaient, et ses côtes étaient couvertes de gros bleus qui tiraient au violacé. Sophie tendit la main et s'arrêta avant le contact avec la peau. Son autre main se posa sur sa bouche et un « excusez-moi » passa entre ses doigts. Lui n'avait pas baissé son regard, au contraire, il n'éprouvait plus ni honte ni pudeur. Son regard dur maltraitait Sophie de l'intérieur, jouant avec ses tripes, les malaxant, les nouant ensemble... Elle rabattue sa main.

- Je vous laisse, je vous attends à côté... Prenez votre temps.

Elle battit en retraite, honteuse de s'être laissée porter par ses bons sentiments.

Quand il sortit de son bain, des plats attendaient sur la table, et Sophie était assise à se ronger les ongles.

- Merci pour le bain. Vous aviez raison, ce fut un délice.

Il avait rasé sa barbe, et lui adressa un sourire plus qu'engageant. Sophie pouvait voir son visage dans ses moindres détails, et il ne lui manquait pas grand chose pour être beau, se dit-elle. Sortir de la rue, peut-être. Elle tenta de se détendre. Ils mangèrent. Il lui fit la conversation. Elle n'osait rien lui demander. Lui ne paraissait n'avoir plus aucune gêne. A la fin du repas, il demanda s'il pouvait se retirer, et elle l'accompagna dans la chambre, tira le canapé qui faisait banquette-lit. Il prit les couvertures qu'elle lui apporta , et il la remercia encore...

Sophie rejoignit sa chambre que bien plus tard, rangeant d'abord les restes du dîner et préparant sa journée du lendemain.

Bien plus tard il lui était encore impossible de trouver le sommeil. Trop de choses trottaient dans sa tête. Elle se sentait idiote avec toutes ses manières, mais en même temps une colère sourde la gagnait. Qu'avait fait ce jeune homme à la vie pour endurer ce qu'il endurait ?

Elle se releva de son lit, quittant sa chambre et ses pensées, et en passant dans le couloir elle jeta un œil par la porte de la chambre d'amis qu'il avait voulue ouverte. Elle l'observa tranquillement. Subitement elle désirait le rejoindre, s'allonger à ses côtés, le prendre dans ses bras pour lui donner plus de douceur encore. Elle quitta le couloir pour se préparer un thé dans la cuisine.

Elle retourna vers sa chambre la tasse fumante entre les mains, et fut encore une fois attirée vers la chambre d'amis. Cette fois elle entra, posa son thé au sol, et courageusement se glissa sous la couverture. Elle vint se blottir contre lui, désirant sentir ses bras l'entourer, la ramener contre lui, sans se faire de mal.

Sophie ne savait pas s'il avait dormi, si elle l'avait réveillé ou s'il avait suivi tout son petit manège. Mais il entoura avec beaucoup de précautions son être, et se fut tout ce qui lui importa. Elle s'endormit, contre lui. Plus tard elle se réveilla, et contre son épaule, doucement il expulsait son chagrin, ses larmes chaudes roulant jusqu'au creux ses seins...

fab.le Barrabass

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