Contre-temps

petisaintleu

De l'autre côté de la vitre, les gouttes de pluie venaient me provoquer de leurs tapotements. Elles s'harmonisaient avec le tic-tac de la pendule à coucou. Tous les quarts d'heure, elle me sortait de mes pensées par la ronde de ses figurines. Le crépitement de la bûche, le craquement des poutres et le ronronnement de mon chat installé sagement sur mes genoux me rappelaient combien il existait un monde matériel et simple.

Tout débuta le jour du drame qui changea le monde. Le Levant était devenu le crépuscule des idiots. Je ne reviendrai pas dessus, dans la mesure où je m'en suis désormais totalement détaché, sans ressentiment. Je devrais même l'en remercier. Je réalisai que me battre avec mes mots, ma haine de l'injustice et mes maladresses ne menait qu'à une somme d'incompréhensions et à une perte colossale d'énergie.

L'écriture m'avait fait deviner qu'il existait un état au-delà de ce que nous percevons. Ce que d'aucuns appellent l'inspiration. Elle n'était que l'expression involontaire d'un esprit de pleine conscience. Pas-à-pas, je lâchai prise avec la réalité. Non pas par égoïsme ou par folie, mais parce que modeler des personnages dans un monde scriptural qui tenait de l'onirisme me permit de les sublimer. Une fois redescendu sur Terre, j'en gardai suffisamment la fragrance pour la transposer un tant soit peu sur la peau de mon entourage. Je m'aveuglai de mes souvenirs et je me laissai berner en les habillant de vertus.

La duperie ne dura qu'un moment. Pour m'illusionner, il fallut augmenter la dose. Vint alors le moment où mon imagination fut en incapacité de coucher assez d'histoires pour me donner le change. Je me sentis comme un vieux cheval de labour éreinté. La canasson exsangue que j'étais devenu tira un trait final et je fis mes adieux au monde.

Je décidai de m'exiler. La France rurale ne manquait ni de charme, ni de coins isolés, ni de manoirs abandonnés. Je jetai mon dévolu sur la Marne. J'aurais pu choisir l'Ariège, la Creuse ou la Lozère. Mais ces départements auraient attiré des connaissances en mal de campagne et de beaux paysages. Le peu d'attrait pour un environnement désespérément entouré de champs de betteraves et à la pluviométrie dantesque fut comme une arche d'alliance avec l'isolement et le silence. Il rebuta quiconque de se laisser tenter d'une visite impromptue.

Je trouvai une demeure qui ne me coûta guère plus de 50 000 euros. Le propriétaire dut même s'en frotter les mains, tant il était improbable de trouver un repreneur dans ce désert médical, professionnel et numérique. De mon côté, je me suffis de ce cottage de poche qui répondit à mes attentes d'y caser un lit, ma bibliothèque et un chesterfield.

Mon quotidien peut désormais être qualifié de cistercien. Je me lève à quatre heures. Tous les matins, c'est le même rituel. J'allume la radio sur France culture. À cette heure hantée d'insomniaques, je prends plaisir à y découvrir d'improbables rediffusions des fantômes de voix dont la profondeur des pensées enterre les posts, les podcasts et leurs florilèges de commentaires dénués de toute espèce de réflexion. À six heures, j'entame mes premières lectures. En général un roman qui berçât mes jeunes années. J'y découvre des sens que mon immaturité ne sut percevoir. J'y établis un parallèle avec le fil de mon existence. Invariablement, je rumine sur mon passé et de tous les chemins qui me menèrent vers des impasses.

Ainsi se déroule ma journée jusqu'aux complies, en général quelques réflexions de Bossuet, de Fénelon ou de Montesquieu. Je suis alors armé pour entamer une nuit qui sera habitée de questions existentielles et de regrets. J'ai fait de l'ennui mon meilleur rempart.

Demain, Je me lèverai de mon fauteuil. Tel Lazare sortant du tombeau, je reprendrai le train de la vie.

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