Couché-Debout-Mort

Fabrice Lomon

Couché-debout-mort.

Je m’appelle Pierre Bérenge. J’ai pris une baffe dans la gueule qui m’a littéralement couché et un coup de savate dans les reins qui m’a relevé. Finalement c’est un peu comme si il ne s’était rien passé.

Pour le type qui m’a fait ça, avant j’avais de l’estime et maintenant j’ai de l’indifférence. Je ne sens pas les coups, je ne sens rien. Je constate les hématomes et une fois la semaine, quand j’y vais, je contemple les zones jaunies de mon corps décharné. Quand je vais à la douche, quand le SAMU social me ramasse quand les flics me cueillent et me renvoient pour une nuit à l’hébergement d’urgence.

La plupart des gens pensent que je suis un type barjot, barjot et inoffensif. Je ne suis ni l’un ni l’autre.

Une fois, le type qui m’a fait ça, m’a fourré dans son coffre de bagnole et m’a déposé en plein champ une nuit plus tard, en me sonnant la tronche de deux baffes monumentales. Je suis revenu deux jours plus tard.

Quand j’ai vu sa voiture s’éloigner, je me suis dit que ce type là était bien, avant, mais qu’il tournait mal petit à petit. Sa vie était devenue un enfer le jour où il s’était mis à retaper des logements pour les louer.

J’avais travaillé pour lui gratuitement, il me filait le litron et tout allait bien comme-ça.

On m’avait encagé pour trois grammes d’alcool dans le sang, on m’avait dégrisé. Enfin trois grammes, c’est quand même moins glorieux que trois tonnes d’héroïne à la frontière, non, les flics d’ici jouaient dans la cour des petits. Est-ce que trois grammes vous enflent l’estomac ?

Je ne sentais plus ma joue, vous savez comme après une anesthésie dentaire. Il faut dire que ce type là avait une paluche comme une pelle de maçon. Pour les côtes, j’ai boitillé un peu en m’éloignant.

Le soir quand je suis revenu il était plus là, alors j’ai voulu faire peur à la petite locataire du rez-de-chaussée. J’ai sorti mon canif, me le suis passé sur le cou doucement en lui tirant la langue, un peu comme les vrais sadiques. Elle est jolie, elle est blonde avec des petits seins, une petite voiture noire, elle décore son appartement comme le magasin IKEA.

Quand elle sort, elle regarde à droite et à gauche, elle passe sa main sur son front et elle s’enfuie. Elle a peur de moi, enfin de nous car parfois j’ai mon copain Christophe qui est deux fois plus fou que moi, et soixante deux fois plus violent. Un jour il a littéralement explosé six flics et quand le renfort est arrivé, sur les vingt deux, il en a mouché quatre. Ils l’ont fini au Taser X26. Il a fait couik ! Comme un cochon grillé. J’ai applaudi.

Ce soir il est revenu avec moi pour déposer les ordures devant l’immeuble. Je fais ça environ deux fois par semaine rien que pour emmerder l’autre type. Pénalement je risque pas grand-chose ; j’ai jamais dépassé les limites, enfin sauf l’histoire de mon couteau à la petite blonde.

Quand j’y vais je prends le maximum de précaution, c'est-à-dire que je me mets une bouteille de rouge dans le cornet, pour tuer la douleur. Et l’autre y peut toujours cogner, je sens rien. J’ai juste l’inventaire à faire les jours qui suivent.

Il parait qu’un type de la police lui a dit qu’une baffe mal ou bien donnée pouvait faire une paralysie faciale, ou la mort aussi, mais lui en fait il vise pas vraiment bien ; tout juste bon à vous faire pisser le nez. Et il ose dire que son truc c’est les baffes. Tout ça finira mal pour lui.

Quand je pense à l’univers, aux étoiles et à toutes ces connexions entre les êtres, je me dis que ce type n’aurait jamais dû jouer au propriétaire, plutôt aurait-il dû voyager, étudier les fonds marins, ou se payer des filles avec des talons hauts. Mais non, cet imbécile rénove des appartements pour les louer et moi je les fais fuir tous ces gens qui ont peur de moi.

Moi je voulais une fin idéale, mais malgré le grand respect que j’ai pour la vie, tout est parti en vrille, tout a mal fini sauf pour moi. J’ai toujours eu de la chance dans la vie.

Je suis arrivé avec Christophe, on avait vidé chacun vingt six bouteilles de pinard ou cinquante deux ou plus enfin je sais plus bien ; j’étais plus lucide quoi. Pour le rendre fou je lui ai dit qu’il avait pas de couilles et que c’était rien qu’une tafiole. Y m’a décroché un coup de boule, j’ai cru que j’avais embrassé un taureau de foire. Après on est parti déposé des montagnes de bouteilles vides devant l’immeuble. Les voisins nous ont lancé des pierres, des assiettes et des verres, enfin ceux des étages plus hauts. J’avais un bout d’assiette planté dans le crane ça faisait beau. Christophe a hurlé, il a défoncé la baie vitrée de la petite blonde et il est ressorti avec elle qui touchait pas terre, mais la fille était tellement terrorisée qu’elle avait perdu tout la pigmentation de sa peau en trois minutes, elle était pâle comme une morte. L’autre malade la baladait comme un pantin. J’ai trouvé une pelle je lui en ai balancé un coup dans la gueule avec une force que je ne soupçonnais pas chez moi. Avant de mourir dans mes bras, il a dit un truc comme je savais bien qu’on peut toujours compter sur ses amis quand y a un petit coup de main à donner, enfin il mort avant de tout dire, alors j’ai essayé d’imaginer la suite. Après, et cela juste avant que les flics arrivent, le type est arrivé et m’a foutu deux tartes dans la gueule, je suis tombé sur le bitume, j’ai senti le morceau d’assiette se piquer dans mon cerveau, ça devait être de la faïence de Gien, de la qualité quoi, et puis dans tout ce merdier, j’ai entendu le type pleurer en se penchant sur mon corps. Son avenir était foutu, on fait pas justice soit même dans un pays civilisé. J’ai vu le ciel s’illuminer en bleu, les pimpons et les gyrophares, on aurait dit du Mozart, c’était comme un opéra joué par le New York Philharmonic avec Lorin Maazel à la baguette. Ça m’a rappelé quand je passais mes nuits à rédiger des essais philosophiques,  quand dans mon amphithéâtre, je pouvais regarder des dizaines de belles filles qui avaient devant elles un avenir aussi brillant que le mien. Je crois que j’ai atteint le nirvana, je suis couché-debout-mort, enfin je ne sais plus très bien.

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