Coup de foudre aux ciseaux

Michael Ramalho

Avant je n'aimais pas aller chez le coiffeur

Non loin de chez moi, la vitrine surannée d'un salon de coiffure se propose de domestiquer tous types de cheveux, allant du champ clairsemé qui peine à recouvrir le crâne à la chevelure épanouie qui s'éparpille dans tous les sens, en passant par la coupe aux velléités géométriques qui désespère d'être arrangée. L'expert capillaire se vante de pouvoir tout solutionner. Les photographies jaunies aux coins écornés constituent un échantillonnage de coupes de cheveux informant le chaland des possibilités d'existences rutilantes qui s'offrent à lui. Un visuel original pour repartir du bon pied. Un salon resté dans son jus comme on dit. Disons les années 90. La patronne m'accueille aimablement. Elle termine avec la dame à la tête couverte d'aluminium puis ce sera mon tour. Elle appelle une certaine K. Je ne l'avais pas vu. Elle se trouvait dans mon angle mort, alanguie sur l'un des fauteuils marronnasses abimés. Jambes croisées, Chewing-gum dans la bouche, elle entortille avec un index bagué une mèche de cheveux teinte en rose. Elle me toise d'un air dédaigneux. J'ai honte de ma coupe. Une silhouette élancée vêtue d'un haut rouge laissant apparaître un mignon nombril percé et d'un short en jean minuscule magnifiant des cuisses caramélisées somptueusement galbées, se meut en ma direction. La gauche qu'elle tient légèrement avancée me semble la plus belle. Elle arbore un tatouage. Un de ceux à la mode. Un motif tribal à la signification inconnue ceint une peau lisse et ferme. En se tournant pour attraper la cape de coupe, je ne peux m'empêcher d'admirer ses fesses. Deux délicieux coussins fermes sur lequel je poserais bien ma tête. Je détourne le regard vers la patronne. Peut-être a-t-elle vue ma faiblesse dans le reflet du miroir? K s'approche. Nos regards se croisent. Pour elle, rien. Ses yeux sublimés par deux lignes judicieusement tracées au crayon noir se contentent de demeurer bleus et indifférents. Les miens s'écarquillent face à tant de grâce. Sa lèvre inférieure révèle un autre piercing. Un anneau argentée à la saveur métallique dont je me régalerais au-delà de la satiété. La voilà à quelques centimètres de moi. Nos distances intimes s'interpénètrent. Elle tourne autour de moi pour m'aider à enfiler la cape. Elle exhale une senteur de fruits rouges mêlée à une odeur de tabac froid. Comme si un cuisinier amoureux avait fumé des mûres, des fraises et des framboises pour nourrir sa belle. Ses bras dénudés s'envolent au-dessus de mes épaules. Un autre tatouage sur la partie intérieure de son bras droit. Un serpent aux écailles mordorées rampant du poignet jusqu'à l'épaule. Ses deux pouces aux ongles vernis de noir frôlent mon cou. Je frissonne. D'un air morne, elle m'indique le bac de lavage. Elle passe devant moi. Avant de frotter ma tignasse, la patronne –béni soit elle- lui enjoint de balayer les cheveux qui jonchent le sol. Je m'emploie à la scruter. Mon regard se porte sur ses seins libérés qui s'agitent gentiment, entrainés par le mouvement du balai. Comme ils seraient parfaits dans ma bouche, au bout de ma langue, entre mes dents. Je ferme les yeux. Ma main qui descend le long de son cou, jusqu'à sa poitrine. La caresse d'un sein. Le titillement du mamelon. Le fruit que je porte à ma bouche. Descendre encore. Jouer avec la perle qui couronne son nombril. Glisser jusqu'à son short. Un bouton arraché. Ma main entre ses cuisses. L'âpreté du tissu sur le dos de ma main et la plaisante moiteur au bout de mes doigts. Le parfum de sa fleur qui m'enveloppe. Nos respirations qui s'accélèrent. Le tintement d'un flacon sur une tablette en verre. Elle essaie de les poser sur l'étagère qui surplombe les bacs. Il y a trois places assises. J'occupe celle du milieu. Comme j'aimerais occuper toutes les places. Elle se met sur la pointe des pieds. Elle peine. J'ose un regard. J'aperçois ses appas dressées hauts et fiers, parés de deux rubis étincelants. Je propose pour qu'elle l'atteigne d'utiliser mon corps. L'escalader, l'écraser, le malaxer, le chevaucher. Elle tente encore, un peu de biais, à gauche, à droite. Elle recule. Son haut rouge fouette mon visage comme la muleta du torero énerve le taureau. Je me retiens de l'étreindre. Je coince mes mains sous mes genoux. Enfin, elle y arrive. Son haut a la bonne idée de bailler une ultime fois. Je succombe à nouveau. Ses appas toujours là, toujours divins, toujours purs. Je referme les yeux pour me délecter de ce que je viens de voir. Elle qui s'assoit sur mes genoux et empoigne ma tignasse. Moi qui explore tous les interstices de son corps avec ma bouche, mes dents, ma langue, mes doigts, ma peau, mon membre. Le bruit de l'eau qui tombe fort. Elle ne demande même pas si la température de l'eau me convient. Elle me masse du bout des doigts comme si elle répugnait à toucher cette masse informe dégoulinante et grasse. Il me semble entendre ses pensées. Il pue comme un chien mouillé. Pour terminer, elle me frotte vigoureusement la tête avec une serviette rêche à la couleur indéfinissable. D'un geste, elle me désigne le fauteuil dans lequel j'attendrai la patronne. Je m'y rends péniblement, mes élans refroidies par les gouttes glacées qui se frayent un chemin sous la serviette. J'enlève mes lunettes souhaitant me réfugier au plus vite dans un commode brouillard. Un reflet dans le miroir. Des mots échangés à la va vite avec la patronne. Entre les couches de brumasse épaisse générée par mes yeux fatigués d'observer et de ne jamais participer, je vois qu'elle jette un coup d'œil en ma direction. Un de ces regards que l'on jette à un chien galeux dont on avait oublié la présence et dont on s'aperçoit avec dégoût qu'il est encore là.

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